R.V. Gronoff
2004-11-01 00:58:52 UTC
JEAN-CLAUDE LARCHET
LA QUESTION DU FILIOQUE
À PROPOS DE LA RÉCENTE «CLARIFICATION» DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA
PROMOTION DE L'UΝITÉ DES CHRÉTIENS From Θεολογία, τ.70, 1999
Dans son homelie du 29 Juin 1995 dans 1a basilique Saint-Pierre de Rome,
en presence du patriarche de Constantinople Bartholomee Ier, le pape
Jean-Pau1 ÉÉ a exprime le desir que soit clarifiee «la doctrine
traditionnelle du Filioque, present dans la version liturgique du Credo
latin, pour pouvoir mettre en lumiere sa complete harmonie avec ce que
le concile ?cumenique de Constantinople, en 381, confesse dans son
Symbole: le Pere comme source de 1a Trinite, seule origine du Fils et du
Saint-Esprit». Le 13 Septembre de 1a meme annee, le «Conseil pontifical
pour la promotion de l'Unite des chretiens» repondait a ce desir en
publiant dans l'Observatore romano une «Clarification» intitulee «Les
traditions grecque et latine concernant 1a procession du Saint-Esprit»
(texte traduit dans la documentation catholique n(o) 2125 du 5 Novembre
1995, p. 941-945).
Ce texte a suscite 1'enthousiasme et 1'adhesion immediate de theologiens
orthodoxes reput~s proches des positions latines. La Documentatßon
catholßque (n° 2130 du 21 Janvier 1996, p. 89-90) s'est empressee de
publier, sous le titre «Vers une vision commune du Mystere trinitaire»,
les r~flexions du P. Boris Bobrinskoy, oßé, bien que faisant part de
quelques r~serves, il affirme: , «Lisant ces lignes, on pourrait
s'etonner que 1a question reste encore posee d'un desaccord dogmatique
entre nos ~glises» (p. 89). Dans son êLiminaire» de 1a revue Contacts
(48, 1°~ trimestre 1996, p. 2-4), O. Clement considere, a propos de 1a
«Clarification» vaticane que «cette, note, admi- rablement argumentee,
pourrait bien marquer 1a fin de 1a querelle du Filioquem (p. 2) et
affirme: «Nous pouvons maintenant comprendre le Filioque dans 1a
perspective de 1'~glise indivise!» (p. 3).
É. HISTORIQUE DES POSITIONS EXPRIMEES PAR LA «CLARIFICATION».
L' accord d' O.Clement etait, peut-on dire, acquis d'avance. La
«Clarification» vaticane est en effet, dans son contenu, moins nouvelle
qu'on pourrait le croire, puisqu'elle est en realite une synthese d'une
serie d'articles du Pere J.-Ì. Garrigues o.p., dont le premier avait ete
publie par les soins d' O. Clement dans le revue Contacts il y a pres de
25 ans(1). Cet article avait suscite l'adhesion enthousiaste de
celui-ci, ce qui avait provoque une vive reaction(2) de la part de
theologiens du Patriarcat de Moscou (auquel O.Clement appartenait
alors), en reponse a laquelle O. Clement affirmait son soutien presque
total aux positions theologiques du P. Garrigues(3). L'article de
J.-Ì.Garrigues publie dans Contacts fut repris et developpe 1'annee
suivante dans un num;ro special d'Istina consacre a 1a question de 1a
procession du Saint-Espirit, ou figuraient egalement les «Theses sur le
Filioquem de Â. Bolotov et une contribution d' O. Clement fortement
marquee par les theses du P.Garrigues(4). Ce dossier donna lieu a un
renouvellement et a une amplification de la reaction critique
orthodoxe(5), mais provoqua egalement celle d'un patrologue catholique
repute pour sa competence, mais aussi pour sa rigueur intellectuelle
dans la pratique du dialogue ?cumenique, le P.Andre De Halleux(6).
Celui-ci n'hesitait pas a ecrire a propos du dossier d'Istina dont
l'article de J.-Ì. Garrigues constituait l'une des pieces maitresses:
«On n'a pas affaire ici a un veritable dialogue, mais plutot a un essai
d'annexion deguisee, dans la ligne des conciles unionistes du Moyen-age.
Aussi n'est-il pas surprenant que cette entreprise apologetique ait deja
provoque, du cote orthodoxe, une violente reaction(7) -et elle ne sera
probablement pas la derniere- contre ce que son auteur qualifie, non
sans raison, d' "integration de la doctrine orthodoxe dans la doctrine
catholique romaine"(8)».
Ayant bien percu que le P. Garrigues est l'inspirateur des theses
exprimees dans la «Clarification» vaticane(9), O.Clement lui renouvelle
son soutien dans son recent «Liminaire» de Contacts «je voudrais
souligner le travail admirable, souvent genial, realise par le Pere
Jean-Miguel Garrigues qui a dit la-dessus tout ce qu'il fallait dire. Je
n'aime pas beaucoup parler de moi, mais, pour une fois, je voudrais
rappeler que j'ai developpe -superficiellement sans doute, comme
d'habitude- des positions convergentes(10)». Dans le meme «Liminaire»,
O. Clement se montre depite que de cet evenement «d'une importance
reelle, peut-etre decisive», presque personne n'ait parle(11).
L'historique que nous avons presente permet de comprendre l'une des
raisons de ce silence du cote orthodoxe. Une autre raison en est sans
doute que ce texte de cinq pages, visiblement redige a la hate et
constitue pour l'essentiel d'une simple synthese d'articles preexistants
et dont le contenu avait deja fait l'objet d'un rejet de la part de bon
nombre de theologiens orthodoxes, d'une part ne saurait pretendre regler
un contentieux theologique qui dure depuis plus de dix siecles et a
connu des developpements extremement complexes, et d'autre part emane
d'une commission vaticane et n'est pas paree d'une autorite qui lui
donnerait un poids suffisant face a la multitude de documents
pontificaux et aux conciles(12) qui, dans l'Eglise catholique, ont erige
en dogme et confirme la doctrine latine du Filioque et qui, au sein de
cette meme Eglise, continueront a faire autorite tant qu'ils n'auront
pas ete remis en cause par des instances d'une nature equivalente.
II. L'ASPECT POSITIF DE LA «CLARIFICATION»
Él serait injuste cependant de considerer que 1a «Clarification»
vaticane n'apporte rien de nouveau.
On y trouve sans doute d'abord une tonalite nouvelle. La «Clarification»
temoigne de 1a volonte sincere qu'a exprimee le pape Jean-Paul ÉÉ dans
sa lettre encyclique Qu ils soient un et dans sa lettre apostolique La
lumiere de l'Ïrient, de voir pleinement considerees et valorisees les
Eglises orientales (meme si ces documents pontificaux presentent une
certaine ambiguite en ne distinguant pas bien les Eglises orthodoxes des
Eglises orientales unies a Rome), et dans le souci qu'il a manifeste
d'autre part d'un authentique rapprochement, 1a ou subsistent des
divergences, de l'Eglise catholique et de l'Eglise orthodoxe en vue de
leur re-union. Él s'agit ici moins de vouloir imposer a l'Eglise
orthodoxe 1a doctrine catholique du Filioque en 1a considerant comme
seule expression de la verite dogmatique (comme ce fut le cas dans les
derniers conciles «d'union»), que de lui faire reconnaitre 1a legitimite
d'une autre «approche» que 1a sienne et son caractere complementaire.
La «Clarification» fait un incontestable effort pour mettre en evidence
la reconnaissance par l'Eglise catholique de ce que l'Eglise orthodoxe
considere comme un principe intangible de sa foi: le fait que le Pere
est dans 1a Trinite la seule cause du Saint-Esprit. Les orthodoxes ne
peuvent que se rejouir de voir proclamer: «L'Eglise catholique reconnait
la valeur conciliaire ?cumenique, normative et irrevocable, comme
expression de l'unique foi commune de l'Eglise et de tous les chretiens,
du symbole professe en grec a Constantinople en 381 par le ÉÉ(e) concile
?cumenique. Aucune profession de foi propre a une tradition liturgique
particuliere ne peut contredire cette expression de 1a foi enseignee et
professee par l'Eglise indivise. Ce symbole confesse sur la base de Jn
15, 26 l'Esprit «ôï åê ôoõ ðáôñüò åêðoñåõüìåíoí» («qui tire son origine
du Pere»). Le Pere seul est le principe sans principe (áñ÷Þ Üíáñ÷ïò) des
deux autres personnes trinitaires, l'unique source (ðçãÞ) du Fils et du
Saint-Esprit. Le Saint- Esprit tire donc son origine du Pere seul (åê
ìüíoõ ôoõ ðáôñüò) de maniere principielle propre et immediate(13)».
Cette declaration parait de prime abord tout a fait satisfaisante au
regard de la foi orthodoxe et semble rallier ses expressions les plus
strictes. Ainsi le P.Boris Bobrinskoy note: «Quand le texte dit que "le
Saint-Esprit tire son origine du Pere seul de maniere principielle,
propre et immediate", n'y reconnait-on pas le langage du saint
Patriarche Photius qui affirmait, dans sa Mystagogie du Saint-Esprit que
le Saint-Esprit procede "du Pere seul"? Cette formule tellement decriee
par l'apologetique romaine fut suivie unanimement par toute la
dogmatique orthodoxe, depuis saint Gregoire Palamas, saint Marc d'Ephese
et jusqu'a nos jours(14)».
III. PREMIERES RESERVES
L'enthousiasme que peut manifester un lecteur orthodoxe a premiere
lecture doit cependant etre tempere.
On peut premierement remarquer que l'Eglise catholique, a de rares
exceptions pres(15), a toujours reconnu «la valeur conciliaire
?cumenique, normative et irrevocable, comme expression de l'unique foi
commune de l'Eglise et de tous les chretiens, du symbole professe en
grec a Constantinople en 381 par le deuxieme Concile ?cumenique», de
meme qu'elle a toujours reconnu 1a valeur normative et irrevocable des
definitions de foi des autres conciles que, en commun avec l'Eglise
orthodoxe, elle reconnait comme ?cumeniques. Les defenseurs latins du
Filioque ne voyaient pas la d'inconsequence puisque l'un de leurs
arguments habituels etait que le Filioque ne contredisait pas le Symbole
de la foi mais s'accordait au contraire avec lui, et en constituait une
simple explicitation; cette these a ete presentee recemment encore par
l'inspirateur de la «Clarification», le P.Garrigues, lorsqu'il appelait
cette derniere de ses voeux en indiquant quel devait etre son esprit:
«Él serait souhaitable que le pape et les eveques catholiques
rappellent, a la suite du pape Leon ÉÉÉ, que 1a version dogmatique du
Symbole de Nicee-Constantinople est l'original grec confesse par les
conciles et que celui-ci contient deja en lui la plenitude de 1a foi
catholique dans le Saint-Esprit dont le Fßlioque est une explication
latine qui ne pretend rien ajouter au dogme conciliaire(16)».
On peut deuxiemement remarquer que l'affirmation que «le Saint-Esprit
tire donc son origine du Pere seul (åê ìüíoõ ôoõ ðáôñüò) de maniere
principielle, propre et immediate» n'est pas, dans sa deuxieme partie,
sans ambiguite. Le «principiel» fait evidemment penser «principalite»
augustinien; rapprochement confirm/ par la reference explicite, quelques
lignes plus loin, a la formule celebre de l'eveque d'Hippone selon
laquelle «le Saint-Esprit tire son origine du Pere "principalßter"(17)».
Or cette affirmation n'empehe pas saint Augustin d'affirmer
conjointement (ce que la «Clarification» ne dit pas, mais permet a un
lecteur catholique de sous-entendre aisement) que le Saint-Esprit
procede du Pere et du Fils «communiter», ce qui justifie precisement le
Filioque(18).
L'affirmation que le Saint-Esprit procede du Pere seul d'une maniere
«immediate» parait egalement ambigue a qui connait la doctrine latine du
Fßlioque. Celle-ci en effet reconnait volontiers que le Saint Esprit
procede du Pere seul d'une maniere «immediate», mais cela ne l'empeche
pas d'affirmer conjointement (et la «Clarification» permet encore ici a
un lecteur catholique de le sous-entendre) que 1'Esprit- Saint procede
du Fils d'une maniere «mediate», autrement dit que le Fils est mediateur
dans la procession du Saint-Esprit. Saint Gregoire Palamas fut amene a
refuter a plusieurs reprises cet argument classique des Latins(19).
Les affirmations que «le Pere seul est le principe sans principe (áñ÷Þ
Üíáñ÷ïò) des deux autres personnes trinitaires, l'unique source (ðçãÞ)
et du Fils et du Saint-Esprit» et que «le Saint-Esprit tire donc son
origine du Pere seul», qui paraissent s'accorder parfaitement avec la
foi orthodoxe, ne sont elles-memes pas sans ambiguite sous 1a plume d'un
theologien catholique. En effet, l'affirmation que le Pere est «principe
sans principe» n'implique pas necessairement que le Saint-Esprit ait le
Pere comme unique principe, ni que le Fils ne soit pas pour le
Saint-Esprit lui aussi un principe, ayant recu du Pere d'etre principe
en commun avec lui: par exemple le concile de Florence (qui fut rejete
par les orthodoxes), aussitot apres avoir professe que le Pere «est
principe sans principe» affirme que le Fils «est principe (issu) du
principe», avant d'affirmer que le Pere et le Fils «ne sont pas deux
principes du Saint-Esprit mais un seul principe(20)». De meme
l'affirmation que le Pere est l'unique source du Saint-Esprit peut-elle
signifier que le Pere est la source premiere sans exclure que le Fils
soit source seconde: ainsi en est-il dans la doctrine filioquiste
classique, et deja dans le «principaliter» augustinien evoque ci-dessus(21).
L'affirmation que «le Pere est l'unique Cause trinitaire du
Saint-Esprit» appelle 1a meme remarque: elle peut sous-entendre en effet
que le Pere soit cause premiere et ne pas exclure que le Fils soit cause
seconde(22). Un theologien catholique qui a consacre une grande partie
de ses travaux a defendre la position filioquiste la plus traditionnelle
n'hesitait pas a ecrire recemment: «Nous pouvons reconnaitre ensemble un
sens tres juste de l'a Patre solo, en percevant l'immanence du Filioque
dans l'a Patre solo»(23). Et de se referer a cette remarque de Thomas
d'Aquin lui-meme: «Meme si le passage [de l'Ecriture] ou il est dit que
le Saint-Esprit procede du Pere portait cette clause qu'il procede du
Pere seul, le Fils n'en serait pas exclu pour autant(24).»
On pourra nous croire excessivement soupconneux et nous accuser de faire
a la «Clarification» un proces d'intention.
Mais la suite du document confirme malheureusement nos soupcons et nos
craintes puisqu'elle consiste precisement dans une tentative pour
concilier les affirmations precedentes avec la doctrine latine du
Filioque. Le desir du pape Jean-Paul ÉÉ que fut clarifiee «la doctrine
latine du Filioque, present dans 1a version liturgique du Credo latin,
pour pouvoir mettre en lumiere sa complete harmonie avec ce que le
Concile ?cumenique de Constantinople, en 381, confesse dans son
Symbol(25)», annoncait a vrai dire assez clairement 1a nature et 1a
finalite de 1'entreprise: montrer 1a compatibilit~ de 1a doctrine latine
du Filßoque avec le Symbole de Constantinople, finalite que 1a
«Clarification» assume parfaitement et reconnait clairement(26).
Celle-ci rappelle ainsi un document episcopal relativement recent qui se
proposait de montrer au clerge et aux fideles de l'Eglise catholique de
Grece, avec des arguments identiques puises visiblement a la meme
source(27), que la recitation du Credo sans le «Filioque» etait
parfaitement compatible avec la doctrine latine du Filioque et ne
signifiait nullement qu'on y renoncat(28)».
Él convient donc d'examiner les principaux arguments qu'avance la
«Clarification» en vue de parvenir au but qu'elle vise.
IV. LES ARGUMENTS DE LA «CLARIFICATION»
1. Les differences d'expressions linguistiques.
La «Clarification» reprend 1a theorie que le P. Garrigues avait elaboree
et exposee dans ses articles(29) (theorie qui fut reprise egalement par
l'«Instruction pastorale de l'episcopat catholique de Grece»(30)): la
divergence entre l'Eglise orthodoxe et l'Eglise latine sur la question
du Filioque ne serait pas une divergence proprement dogmatique, mais
tiendrait a un malentendu linguistique, dont l'elucidation permettrait
de constater que les deux Eglises confessent (et ont toujours confesse)
deux expressions complementaires de ce qui est au fond la meme foi, de
constater autrement dit que la doctrine latine du Filioque est au fond
compatible avec la foi exprimee dans le Symbole professe a
Constantinople en 381.
Selon cette theologie telle qu'elle est reprise par 1a «Clarification»,
les Peres grecs designeraient par le terme d'åêðüñåõóéò «la relation
d'origine de l'Esprit a partir du Pere seul», la distinguant de la
«procession que l'Esprit a en commun avec le Fils» qu'ils designeraient
par un autre terme: ôo ðñïúÝíáé(31). C'est «pour cette raison [que]
l'Orient orthodoxe a toujours refuse la formule ôï åê ôoõ Ðáôñüò êáé ôïõ
õéoý åêðoñåõüìåíoí(32)». Mais «si l' åêðüñåõóéò grecque ne signifie que
la relation d'origine par rapport au seul Pere en tant que principe sans
principe de 1a Trinite», «en revanche, la processio latine est un terme
plus commun signifiant la communication de la divinite consubstantielle
du Pere au Fils et du Pere par et avec le Fils au Saint-Esprit. En
confessant le le Saint-Esprit "ex Patre procedentem", les Latins ne
pouvaient donc que supposer un Filioque implicite qui serait explicite
plus tard dans leur version liturgique du symbole(33)». La
«Clarification» explique alors que la confession de ce Filioque dans le
Credo s'est repandue en Occident a partir du V(e) siecle. Les Byzantins
en furent choques losqu'ils en eurent connaissance, comme le montre un
episode datant du VII(e) siecle rapporte par saint Maxime le
Confesseur(34). Mais il y avait alors un malentendu, qui se renouvela
ulterieurement dans le refus des orthodoxes d'admettre le Filioque: en
voyant le ex Patre Filioque procedentem traduit en grec: ôï åê ôoõ
ðaôñüò êáé ôoõ õéïý åêðoñåõüìåíoí, les Byzantins rapportaient, selon
leurs habitudes verbales, le åêðoñåõüìåíoí a l'origine du Saint-Esprit
alors que les Latins avaient en vue «1a communication de 1a divinite au
Saint-Esprit a partir du Pere et du Fils dans leur communion
consubstantielle», ce qu'il aurait fallu rendre en grec non par
åêðïñåõüìåíïí mais par ðñïúüí. De leur cote les Latins etaient victimes
du malentendu oppose, puisque, de meme que Jn 15, 26 (ðáñÜ ôoõ ðaôñüò
åêðïñåýåôáé) avait ete traduit dans la Vulgate par «qui a Patre
procedit», le åê ôoõ ðaôñüò åêðïðåõüìåíïí du Symbole de
Nicee-Constantinople avait ete traduit par «ex Patre procedentem»; «il
se creait ainsi une fausse equivalence a propos de l'origine eternelle
de l'Esprit entre la theologie orientale de l'åêðüñåõóéò et 1a theologie
latine de la processio»(35).
Selon la «Clarification», qui suit toujours la theorie du P. Garrigues,
si elles ne sont plus faussement tenues pour des equivalents mais sont
referes a leur tradition theologique respective, l'åêðüñåõóéò grecque
(qui exclut le Filioque) et la processio latine (qui l'implique)
expriment deux points de vue legitimes et parfaitement conciliables,
parce qu'ils correspondent a des realites non pas exclusives mais
complementaires. La «Clarification» cite ici le Catechisme de l'Eglise
catholique (dont le maitre d'?uvre fut, rappelons-le, un proche du P.
Garrigues, disciple comme lui du P.J.-Ì. Le Guillou, Mgr Christoph íon
Schonborn, actuellement archeveque de Vienne): «Pour l'Eglise
catholique, la tradition orientale exprime d'abord le caractere
d'origine premiere du Pere par rapport a l'Esprit. En confessant
l'Esprit comme "tirant son origine du Pere"(åê ôoõ ðáôñüò åêðïñåõüìåíoí,
cl. Jn 15, 26), elle affirme que celui-ci tire son origine du Pere par
le Fils.
La tradition occidentale exprime d'abord la communion consubstantielle
entre le Pere et le Fils en disant que l'Esprit procede du Pere et du
Fils (Filioque). [...] Cette legitime complementarite, si elle n'est pas
durcie, n'affecte pas l'identite de 1a foi dans la realite du meme
mystere confesse»(36).
2. La presence de la meme conception que la tradition latine au sein de
la tradition orientale.
a)L'equivalence du διά τoυ υιoύ et du Filioque.
Selon la «Clarification» (de meme que selon le P.Garrigues) le point de
vue latin serait aussi celui d'une partie de la tradition orientale.
Elle cite des textes de saint Basile de Cesaree, de saint Maxime le
Confesseur, de saint Jean Damascene, ainsi que la profession de foi de
saint Taraise, qui affirment que l'Esprit Saint procede du Pere par le
Fils (äéÜ ôoí õéüí), les trois derniers textes utilisant meme le terme
åêðoñåõüìåíoí (åê ôoõ ðáôñüò äéÜ ôoõ õéoý åêðïñåõüìåíoí). La
«Clarification» note que cette formule exprime de maniere heureuse une
«relation eternelle entre le Fils et le Saint-Esprit a partir du Pere»
et suggere que cette relation serait la meme que celle qu'expriment les
Peres latins par le Filioque, «l'ensemble doctrinal» manifeste par les
textes precedemment cites «temoign[ant] de la foi trinitaire
fondamentale telle que l'Orient et l'Occident l'ont professee ensemble
pendant l'epoque des Peres»(37).
b) Accord de la tradition alexandrine avec la tradition latine.
La tradition alexandrine telle qu'elle s'exprime notamment a travers
deux de ses plus illustres representants, saint Athanase et saint
Cyrille, serait en accord plus explicite encore avec la tradition
latine. Immediatement apres avoir rappele que «le Filioque a ete
confesse en Occident a partir du V(e) siecle [...] pour affirmer la
consubstantialite trinitaire» puis s'y est progressivement repandu(38),
la «Clarification» affirme qu'«une theologie analogue s'etait developpee
a l'epoque patristique a Alexandrie a partir de saint Athanase» et que
«comme dans la tradition latine, elle s'exprimait avec le terme plus
commun de procession (ðñïúÝíáé) designant la communication de la
divinite au Saint-Esprit a partir du Pere et du Fils dans leur communion
consubstantielle»(39).
c) Accord de la tradition latino-alexandrßne avec la tradition
cappadocienne.
La «Clarification» distingue donc d'une part la tradition cappadocienne
pour laquelle le Saint-Esprit a son origine du Pere seul, et d'autre
part la tradition «latino-alexandrine»(40) pour laquelle le Saint-Esprit
procederait «du Pere et du Fils dans leur communion
consubstantielle»(41). Elle considere qu'il s'agit de deux
«approches»(42) differentes, mais qu'elles sont neanmoins non seulement
conciliables, mais complementaires. Selon la «Clarification», saint
Maxime «articule ensemble les deux approches -cappadocienne et
latino-alexandrine- de l'origine eternelle de l'Esprit: le Pere est le
seul principe sans principe (en grec áéôßá) du Fils et de l'Esprit; le
Pere et le Fils sont source consubstantielle de la procession (ôo
ðñïúÝíáé) de ce meme Esprit»(43), lorsqu'il ecrit dans son Opuscule
theologique et polemique X: «Sur la procession, ils [les Romains) ont
amene les temoignages des Peres latins, en plus, bien sur, de saint
Cyrille d'Alexandrie dans l'etude sacree qu'il fit sur l'Evangile de
saint Jean. A partir de ceux-ci ils ont montre qu'eux-memes ne font pas
du Fils la Cause (áéôßá) de l'Esprit -ils savent, en effet, que le Pere
est la Cause unique du Fils et de l'Esprit, de l'un par generation, de
l'autre par åêðüñåõóéò- mais ils ont explique que celui-ci provient
(ðñoúÝíáé) a travers le Fils et montre ainsi l'unite et l'immutabilite
de l'essence»(44). Él est a noter que c'est ce texte, rencontre par
J.-Ì. Garrigues lors de ses travaux sur saint Maxime, qui fut a
l'origine de sa theorie, exprimee dans ses differents articles que nous
avons cites, et reprise en substance par 1a «Clarification».
d) Accord des definitions du IV(e) concile du Latran (1215) et du
concile de Lyon (1274) avec la tradition «latßno-alexandrine».
La «Clarification» veut montrer que les definitions du IV(e )concile du
Latran (1215) et du concile de Lyon (1274) se situent dans la ligne de
cette tradition (et inversement contribuent a l'eclairer). Selon le
premier concile: «le Pere, en engendrant eternellement le Fils, lui a
donne sa substance. [...] Él est evident qu'en naissant le Fils a recu
la substance du Pere sans qu'elle fut aucunement diminuee, et qu'ainsi
le Pere et le Fils ont meme substance. Ainsi le Pere, le Fils, et le
Saint-Esprit qui procede a partir des deux, sont une meme realite»(45).
Selon le second concile evoque, «le Saint-Esprit procede eternellement
du Pere et du Fils, non pas comme deux principes, mais comme d'un seul
principe (tanquam ex uno principio)»(46). La «Clarification», se
souvenant que les definitions du concile d'union de Lyon furent refusees
par les orthodoxes et que la formule citee encourt l'objection de ces
derniers de faire proceder l'Esprit Saint de l'essence, veut interpreter
cette formule d'une part a la lumiere de la definition du concile du
Latran qu'elle cite auparavant (selon laquelle «la substance n'engendre
pas, n'est pas engendree, ne procede pas, mais c'est le Pere qui
engendre, le Fils qui est engendre, le Saint-Esprit qui procede, en
sorte qu'il y ait distinction dans les personnes et unite dans la
nature»(47)) et d'autre part selon l'interpretation du Catechisme de
l'Eglise catholique: «L'ordre eternel des personnes divines dans leur
communion consubstantielle implique que le Pere soit l'origine premiere
de l'Esprit en tant que "principe sans principe" ([concile de Florence]
Denzinger 1331), mais aussi qu'en tant que Pere du Fils unique il soit
avec lui "l'unique principe dont procede l'Esprit Saint" (ÉÉ(e) concile
de Lyon)»(48). On retrouve dans ce dernier texte, sous la plume de Mgr
Christoph von Schonborn(49), la tentative qu'avait faite son ami J.-Ì.
Garrigues pour rectifier dans sa forme une justification du Filioque
critiquee comme essentialiste non seulement par des theologiens
orthodoxes, mais par certains theologiens catholiquesh(50), et pour la
resituer dans un contexte personnaliste(51), tentative qui avait en son
temps trouve un echo favorable chez certains theologiens orthodoxes(52).
Sans entrer dans la reflexion critique sur ces arguments, on se
demandera, en passant, ce que vaut, d'un strict point de vue
methodologique, le procede consistant a interpreter un concile a la
lumiere d'un concile anterieur dont la visee et le contexte sont tout
autres. On constatera, d'autre part, en toute objectivite, que les
definitions du concile de Lyon subissent ici une edulcoration(53), de
meme que celles du concile de Florence. Le Catechisme et la
«Clarification» cherchent manifestement a donner une forme acceptable a
ces definitions dont ils savent qu'elles ont ete rejetees par les
orthodoxes en leur forme originelle, mais auxquelles ils ne sont
nullement disposes a renoncer.
4. La mediation du Fils dans la procession du Saint-Esprit.
La tentative que nous venons d'evoquer revient a justifier la mediation
du Fils dans la procession du Saint-Esprit a partir du Pere en utilisant
cet argument (longuement presente auparavant dans deux articles du Pere
Garrigues)(54): le Pere est Pere du Fils et a ce titre ne peut pas
impliquer le Fils quand il fait proceder le Saint-Esprit. Él est a noter
que cet argument, qui peut paraitre nouveau a ceux qui ne connaissent
pas les details de l'histoire de la controverse du Filioque, est en
realite un argument ancien, comme en temoinge la refutation qu'en fait
saint Gregoire Palamas dans ses Traites apodictiques. Él est a noter
aussi que cet argument a ete souvent utilise par les theologiens
«orthodoxes» latinophrones, et qu'on le trouve notamment dans les
«Theses sur le Filioque» de Â. Bolotov(55). Toujours est-il que la
«Clarification», sensible a l'echo positif que cet argument a (re)trouve
dans les milieux «orthodoxes» latinophrones actuels a la suite de sa
reprise et de son developpement par le P. Garrigues s'y arrete
longuement. Elle affirme ainsi de maniere tres nette que «dans l'ordre
trinitaire, le Saint-Esprit est consecutif a 1a relation entre le Pere
et le Fils puisqu'il tire son origine du Pere en tant que celui-ci est
le Pere du Fils unique»(56). On voit ici comment l'affirmation,
plusieurs fois repetee dans la «Clarification», que le Pere est 1a seule
origine du Saint-Esprit - affirmation qui, presentee d'abord de maniere
isolee semblait s'accorder avec la position orthodoxe- trouve ici ce qui
n'est pas seulement un complement, mais un correctif, qui clarifie» en
effet la facon dont elle etait des le depart entendue. Le Pere est la
seule source du Saint-Esprit, mais puisqu'il est Pere du Fils, il
implique necessairement le Fils quand il fait proceder l'Esprit, et donc
l'Esprit procede du Pere et du Fils: CQFD [ce qu'il fallait demontrer].
On retrouve ici la vieille conception filioquiste de la necessaire
mediation du Fils dans la procession du Saint-Esprit a partir du Pere(57).
La «Clarification» va meme plus loin, puisque, dans la logique de la
theorie du P.Garrigues qu'elle adopte(58), elle va jusqu' a subordonner
la relation de «parti-filiation du Pere avec le Fils» (le fait pour le
Pere d'engendrer le Fils et le fait pour le Fils d'etre engendre par le
Pere) au fait que le Fils contribuerait a faire proceder l'Esprit Saint:
«Le Pere n'engendre le Fils qu'en spirant (ðñïâÜëëåéí en grec) par lui
l'Esprit Saint, et le Fils n'est engendre par le Pere que dans la mesure
ou la spiration (ðñoâoëÞ en grec) passe par lui(59)»; «le Pere n'est
pere du Fils Unique qu'en etant pour lui et par lui l'origine du
Saint-Esprit(60)». Cette affirmation est reprise par la suite: «La
spiration de l'Esprit a partir du Pere se fait par et a travers (ce sont
les deux sens de äéÜ en grec) l'engendrement du Fils(61)». On voit
comment la «Clarification» a ici totalement perdu de vue la distinction
qu'elle avait etablie entre une pretendue approche cappadocienne et une
pretendue approche latino-alexandrine, pour retrouver un point de vue ou
ekporese a partir du Pere seul et procession a partir du Pere et du Fils
se trouvent confondues au profit de cette derniere, et pour retrouver
aussi 1a classique conception filioquiste qui pretend assimiler le äéÜ
ôoõ õéïý grec (ou encore l'affirmation patristique que le Saint- Esprit
repose dans le Verbe(62)) au Filiogue latin (assimilation qui depuis de
nombreux siecles beneficie, au sein de l'Eglise orthodoxe, de l'aíal du
courant latinophrone). Él est d'ailleurs significatif que, apres la
publication de la «Clarification», J.-Ì. Garrigues ait pu aisement
montrer a des lecteurs catholiques qui s'etaient inquietes d'une
certaine difference de vocabulaire entre la «Clarification» et les
definitions du concile de Florence, que, quant au fond, celle-la est en
accord avec celles-ci(63).
La «Clarification» affirme dans le meme temps et de maniere tout a fait
consequente dans le cadre de sa propre logique que «c'est dans l'Esprit
que [la] relation entre le Pere et le Fils atteint elle- meme sa
perfection trinitaire(64)», la spiration du Saint-Esprit a partir du
Pere «par et a travers l'engendrement du Fils» caracterisant cet
engendrement «de maniere trinitaire(65)». On voit pointer dans cette
idee une these classique des theologies augustinienne et thomiste, qui
trouvait son expression chez Augustin dans l'affirmation bien connue que
le Saint-Esprit est l'amour du Pere et du Fils. Et en effet la
clarification fait reference quelques lignes plus loin a «une tradition
remontant a saint Augustin», et evoque par 1a suite «l'amour divin qui a
son origine dans le Pere repose dans "le Fils de son amour" pour exister
consubstantiellement par celui-ci dans la personne de l'Esprit, le Don
d'amour(66)»; elle parle aussi par 1a suite du «caractere original de la
personne de l'Esprit comme Don eternel de l'amour du Pere pour son Fils
bien-aimeh(67)». Ces dernieres expressions montrent que la
«Clarification» situe sa conception dans l'ordre theologique, tout en
faisant apparaitre ses implications et ses prolongements dans l'ordre
economique, auquel renvoient tres clairement de nombreuses references
scripturaires. On voit apparaitre ici l'idee sous jacente a la doctrine
latine du Filioque selon laquelle l'ordre theologique se revele dans
l'ordre economique, et selon lequel l'ordre economique permet de
connaitre l'ordre theologique dont il est l'expression.
V. CRITIQUE DE LA THEORIE EÔ DES ARGUMENTS PRESENTES PAR LA «CLARIFICATION»
1. La difference des positions orthodoxe et catholique romaine ne
consiste pas en un simple matentendu linguistique.
La theorie linguistique elaboree par J.-Ì. Garrigues et reprise par la
«Clarification» est excessivement schematique et artificielle. J.-Ì.
Garrigues en a eu l'idee en lisant le passage de l'Opuscule theologique
et polemique X de saint Maxime le Confesseur ou celui-ci dissipe un
malentendu en incriminant «le fait [pour les Latins] de ne pouvoir
exprimer sa pensee dans d'autres mots et en une autre langue comme dans
les siens, difficultes que nous [les Grecs] nous rencontrons aussi», et
explique qu'en disant que «l'Esprit Saint procede aussi du Fils
(åêðoñåýåóèáé êáê ôoõ õéoý ôï ðíåýìá ôo Üãéïí)» (formule qui suscitait
la critique de certains Byzantins) le pape Theodore É(er) et les
theologiens de son entourage «n'ont pas fait du Fils la cause du
Saint-Esprit -car ils savaient le Pere cause unique de Celui-la selon la
generation et de Celui-ci selon la procession (êáôÜ ôçí åêðüñåõóéí)-,
mais qu'ils ont íoulu manifester le fait [pour l'Esprit] de sortir par
Lui [le Fils] (ôï äé'áõôoý ðñoúÝíáé)(68) J.-Ì. Garrigues en a tire la
conclusion que pendant des siecles un malentendu s'etait maintenu a
propos de la question du Filioque parce qu'une fausse equivalence
s'etait etablie entre l'åêðüñåõóéò greque et la processio latine, cette
derniere correspondant en fait au ðñïúÝíáé grec. En realite le
malentendu que dissipe Maxime ne se limite pas, loin de la, a un
probleme de vocabulaire(69), et a fortiori la controverse sur le
Filioque ne s'explique-t- elle pas et n'est-elle pas susceptible de se
resoudre en des termes aussi simples; penser le contraire, c'est faire
injure a la culture et a l'intelligence des th;ologiens des deux bords
qui pendant plus de douze siecles ont confronte de maniere detaillee
leurs positions sur ce sujet.
Cette theologie linguistique est particulierement reductrice et
simplificatrice. Un theologien catholique qui est 1'un des meilleurs
connaisseurs de la pensee et du vocabulaire des Peres, le P. Andre De
Halleux ecrit notamment a son propos: «La reconstruction historique du
P.Garrigues parait d'une ingeniosite trop artificielle pour etayer ses
conclusions doctrinales(70)». Nous voudrions simplement faire remarquer
qu'a la lecture des textes patristiques tant latins que grecs, le
vocabulaire ne parait pas aussi rigide que le pretend la «Clarification»
a la suite du P.Garrigues, mais possede au contraire une certaine
souplesse, et c'est justement ce qui rend parfois difficile
l'interpretation de certaines formules dont seul le contexte peut
permettre de determiner le sens. S'il est vrai que les mots grecs
åêðüñåõóéò et åêðoñåýåóèáé ont un sens plus restreint que les mots
latins processio et procedere et se rapportent le plus souvent a
l'origine de l'existence personnelle du Saint-Esprit a partir du Pere,
ils peuvent aussi, chez les Peres grecs, avoir un sens assez large et
servir a exprimer la procession du Saint-Esprit entendue dans une
perspective economique (celle de son envoi, comme don ou grace dans le
monde)(71) ou dans une perspective energetique (celle de sa
communication ou de son rayonnement eternels comme energie); inversement
les mots ðñïúÝíáé, ðñïÝñ÷åóèáé, ðñï÷åßóèáé, qui sont le plus souvent
utilises dans un sens economique ou energetique, peuvent aussi se
rapporter, sur le plan theologique, a l'origine personnelle du Saint-
Esprit(72). Quant au procedere latin, dont le sens est, il est vrai,
tellement large qu'il est parfois utilise pour designer l'engendrement
du Fils, il est evidemment employe aussi de maniere frequente par les
Peres latins dans un sens etroit correspondant au sens etroit de
l'åêðïñåýåóèáé grec.
La theorie, elaboree sur la base de la distinction linguistique
precedente, selon laquelle, sur le plan proprement theologique, les
termes åêðüñåõóéò et processio /ôo ðñoúÝíáé exprimeraient deux
traditions theologiques differentes et complementaires, n'est pas recevable.
1) Premierement, le sens le plus commun du ðñoúÝíáé grec, qui est
economique ou energetique, ne correspond pas au sens particulier du
procedere auquel la «Clarification», a la suite du P.Garrigues, entend
l'assimiler: celui d'une communication de consubstantialite, ou pour
parler plus clairement, d'une transmission de l'essence ou de la nature
divine du Pere et du Fils (ou par le Fils) au Saint-Esprit, les Peres
latins etant d'ailleurs loin de tous s'accorder sur ce sens du mot
procedere privilegie par la doctrine filioquiste.
2) Deuxiemement cette theorie suppose que chaque partie en cause ne
percoive qu'une partie de la verite, n'apprehende qu'un aspect de la vie
trinitaire et ignore l'autre: ainsi l'åêðüñåõóéò grec percevrait et
exprimerait la procession du Saint-Esprit selon l'hypostase (ou son
origine hypostatique) a partir du Pere, tandis que le procedere latin
percevrait et exprimerait sa procession selon l'essence ou la nature
divine a partir de Pere et du Fils. Outre ce que cette seconde
affirmation a de contestable en pretendant attribuer , aux Peres latins,
sous couvert d'uniformite linguistique, une conception que tous n'ont
pas partagee, une telle dissociation est irreelle. Les Pere grecs n'ont
aucunement separe 1a procession ou l'ekporese selon l'essence de
l'ekporese ou la procession selon l'hypostase, de meme que tous les
Peres latins n'ont pas separe 1a procession selon l'essence de la
procession selon l'hypostase. Comme l'ecrit le P. A. De Halleux: «si la
processio latine n'est pas synonyme de l'ekporese grecque, il ne
s'ensuit pas que chacun de ces concepts exprime exclusivement l'un des
deux aspexts complementaires du mystere, le premier portant sur la
communion consubstantielle et le second sur le caractere hypostatique.
Ce decoupage en definitions abstaites a peu de chance de traduire la
complexite vivante de la pensee patristique, pour laquelle la procession
connotait sans doute l'origine personnelle, et l'ekporese, la
participation essentielle. Pourquoi donc chacune des deux parties de la
chretiente n'aurait-elle saisi qu'une moitie du donne revele(73)»?
3) Troisiemement on retrouve dans cette theorie adoptee par 1a
«Clarification» la tendance a vouloir isoler la position des
Cappadociens en l'opposant a la tradition latine et a la tradition
alexandrine ces deux dernieres etant presentees non seulement comme
convergentes mais comme constituant une meme tradition de pensee
(lorsqu'on par le d'une tradition latino-alexandrine). La tendance a
isoler la tradition cappadocienne etait plus nette encore dans les
articles du P.Garrigues et etait poussee a l'extreme dans un livre de
son maitre le P. J.-Ì. Le Guillou qui ne cachait d'ailleurs pas son
hostilite a l'egard de cette tradition(74). En fait il y a un accord de
fond entre la position des Cappadociens et celle des grands Alexandrins
(meme si ceux-ci ont un vocabulaire souvent plus large, plus souple et
moins precis, et aussi plus essentialiste). En revanche, nous l'avons
deja signale, on ne trouve pas dans la tradition latine l'unanimite que
la «Clarification» y voit a la suite du P.Garrigues. L'idee d'une
procession du Saint- Esprit selon la substance ou la nature divine a
partir du Pere et du Fils se trouve bien en effet chez Augustin et ses
disciples, et avant Augustin chez un Pere latin a qui la triadologie
augustinienne doit beaucoup: Tertullien(75). Mais cette position, qui
non seulement est partielle -nous le concedons volontiers a la
«Clarification et au P. Garrigues- mais erronee, est loin d'etre
partagee par tous les Peres latins non seulement anterieurs, mais
posterieurs a Augustin (comme saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise
de Milan, et meme comme saint Leon le Grand et saint Gregoire le
Grand(76)). Et il est probable que la position latine que saint Maxime
le Confesseur defend comme orthodoxe dans son Opuscule theologique et
polemique X temoigne de l'existence, a son epoque, au sein de l'Eglise
latine, d'un courant theologique parallele au courant augustinien et en
desaccord avec lui(77).
2. Dissociation inacceptable de l'ekporese selon la personne et de la
procession selon Éa nature.
Él nous faut examiner ici plus longuement la dissociation qu'opere la
«Clarification» entre ekporese selon l'hypostase et procession selon la
nature -bien qu'elle s'exprime de maniere plus discrete et moins
tranchee dans sa terminologie que dans les articles du P.Garrigues dont
elle s'inspire - car elle est une piece maitresse de son argumentation.
On peut remarquer qu'une telle dissociation est en realite inexistante
non seulement entre la representation orientale et la representation
occidentale, mais au sein meme de la pensee des Peres grecs (et des
Peres latins qui sont en accord avec eux). Au plan proprement
theologique, le Saint-Esprit (de meme que le Fils) procede du Pere seul
non seulement selon l'hypostase, mais selon l'essence (ainsi les Peres
soulignent parfois ce dernier aspect en notant que le Saint- Esprit
procede «du Pere selon l'essence(78)». Él recoit du Pere seul son
essence en meme temps qu'il recoit de lui seul son hypostase. La
monarchie du Pere, sur laquelle insistent particulierement les
Cappadociens, signifie que le Pere est la seule source non seulement de
l'hypostase mais de l'essence des deux autres personnes trinitaires.
L'hypostase et la nature sont recues en meme temps et indissociablement
et par le Fils et par le Saint-Esprit. Selon un principe affirme par
saint Maxime et reaffirme par saint Jean Damascene, il n'y pas
d'hypostase sans nature ou sans essence(79). Quand les Peres disent que
le Saint-Esprit recoit du Pere son existence personnelle, ils
n'entendent pas par la qu'il recoive seulement son hypostase: il existe
a partir du Pere immediatement et indissociablement non seulement comme
Saint-Esprit mais comme Dieu, comme une personne de nature divine, comme
Saint-Esprit qui est Dieu(80). De meme quand les Peres affirment que le
Saint-Esprit recoit du Pere son etre (par exemple lorsque saint Gregoire
de Nysse ecrit que le Saint-Esprit «tient son etre [åßíáé] attache comme
a sa cause au Pere dont il procede(81)»), ils entendent a la fois et
indissociablement son hypostase et son essence. De meme donc que le Fils
est engendre du Pere seul directement et sans intermediaire, recevant du
Pere seul d'exister comme Fils different de lui et comme Dieu identique
a lui, le Saint-Esprit procede du Pere seul directement et sans
intermediaire, recevant du Pere seul d'exister comme Esprit different de
lui et comme Dieu identique a lui. La monarchie du Pere sur laquelle
insistent les Cappadociens signifie non seulement que le Pere est seul
principe et cause et du Fils et de l'Esprit Saint, mais qu'il est aussi
le seul principe de leur difference hypostatique (etant la cause du Fils
par engendrement et celle de l'Esprit par procession) et en meme temps
le seul principe de leur identite de nature(82), etant la seule source
de la divinite que l'un et l'autre recoivent de lui seul(83). On doit
seulement faire la distinction suivante: le Pere cause l'hypostase du
Saint-Esprit, tandis qu'il lui communique l'essence divine, de meme
qu'il cause l'hypostase du Fils et lui communique l'essence divine, car
sinon il serait la cause de sa propre essence, l'essence qu'il
communique a l'un et a l'autre etant la sienne. Mais cette distinction
n'enleve rien a la simultaneite des deux proces, ni surtout au fait que
c'est du Pere seul que le Saint-Esprit tient tant son essence que son
hypostase(84).
3. Affirmation inacceptable de la mediation du Fils dans la procession
du Saint-Esprit.
a. «L'Esprit Saint procede du Pere par le Fils».
La «Clarification» reprend l'argument filioquiste ancien d'une mediation
du Fils dans la procession du Saint-Esprit a partir du Pere. Dans la
ligne de la pensee filioquiste telle qu'elle s'est exprimee au concile
d'union de Florence, la «Clarification» affirme l'identite fondamentale
de l'expression latine «l'Esprit Saint procede du Pere par le Fils (äéÜ
ôoõ õéoý)». Les theologiens orthodoxes ont toujours refuse et refute une
telle identification, que les theologiens latinophrones ont cependant
ete portes a admettre, raison pour laquelle sans doute la
«Clarification» se risque a avancer de nouveau cet argument.
Elle le fait en s'appuyant sur trois citations patristiques. La premiere
est de saint Basile: «Par le Fils qui est un, [le Saint-Esprit] se
rattache au Pere qui est un, et complete la bienheureuse Trinite digne
de toute louange(85)». La deuxieme citation est de saint Maxime le
Confesseur: «Par nature le Saint-Esprit selon l'essence procede
substantiellement du Pere par le Fils engendre (ôo ãáñ ðíåýìá ôo Üãéoí,
þóôå öýóåé êáô'oõóßáí õðÜñ÷åé ôoõ èåïý êáé ðáôpüò, oýôùò êáé ôïõ õéoý
öýóåé êáô'oõóßáí åóôßí, ùò åê ôoõ ðáôñüò oõóéùäþò äé'õéoý ãåíínèÝíôoò
áöpÜóôùò åêðoñåõüìåíoí)(86)». La troisieme citation est de saint Jean
Damascene: «Je dis que Dieu est toujours Pere, ayant toujours a partir
de lui-meme son Verbe, et par son Verbe ayant son Esprit procedant de
lui (áåß çí Ý÷ùí åî áõôoý ôoí áõôïý ëüãoí êáé äéÜ ôoõ ëüãïõ áõôoý åî
áõôïý ôo ðíåýìá áõôoý åêðoñåõüìåíoí)(87). La «Clarification» renvoie a
un autre passage de saint Jean Damascene qu'elle ne cite pas mais qui
est le suivant: «C'est la meme intelligence, abime de raison [le Pere],
qui engendre le Verbe et projette, par le Verbe, l'Esprit manifestant
(äéÜ ëüãoí ðñoâoëåýò åêöáíôoñéêoý ðíåýìáôoò). [...] L'Esprit Saint est
la puissance manifestant le secret de la divinite procedant du Pere par
le Fils (åê ðáôñüò ìåí äé'õéïý åêðoñåõoìÝíç) comme lui-meme le sait, et
non par generation(88)».
Le texte cite de saint Basile ne nous parait pas pouvoir etre pris en
consideration dans ce contexte puisqu'il ne traite pas de la procession
du Saint-Esprit qui est un (c'est-a-dire independant selon son
hypostase) tout en etant uni au Pere et au Fils (selon la nature divine
commune). En revanche quelques lignes plus loin, lorsque saint Basile
parle de la procession du Saint-Esprit, il affirme tres clairement que
le Saint-Esprit procede du Pere seul: «on le dit etre de Dieu (le Pere]
(åê ôoõ Èåïý åßíáé), non point a le maniere dont toutes les choses
viennent de Dieu, mais en tant qu'il sort de Dieu [le Pere] (åê ôoõ Èåïý
ðáñåëèüí)(89)».
Le passage de saint Maxime cite par la «Clarification» avait ete maintes
fois presente par le P. Garrigues comme une justification exemplaire de
sa propre theorie; celui-ci considerait notamment que le Confesseur ici
«a reuni les deux intuitions [cappadocienne-orientale et
latine-alexandrine, qui s'expriment respectivement par les expressions
"par le Fils"et "Filioque"] en une seule formule d'une tres grande
densite(90)». Or ce texte, parmi d'autres textes ambigus de Ìaxime(91),
est celui qu'il ne fallait pas citer, car il est le moins apte au role
qu'on veut lui faire jouer: si tel qu'il est presente ici, hors de son
contexte, il peut certes faire illusion et paraitre confirmer tout a
fait la these du P. Garrigues reprise par la «Clarification», replace
dans son contexte il permet au contraire de la refuter. «Je comprends,
ecrit Maxime, qu'ici la sainte Ecriture parle des energies du
Saint-Esprit, donc des charismes de l'Esprit, qu'il appartient au Verbe
d'accorder a l'Eglise en tant que tete de tout le corps. «L'Esprit de
Dieu reposera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de
conseil et de force, esprit de connaissance et de piete; et il le
remplira d'esprit de crainte de Dieu» (Is ll, 2-3). Si la tete de
l'Eglise, selon la pensee de l'humanite, c'est le Christ, alors celui
qui par nature, en tant que Dieu, a l'Esprit, accorde a l'Eglise les
energies de l'Esprit. C'est en effet pour moi que le Verbe est devenu
homme, pour moi aussi qu'il a accompli tout le salut, qu'a travers ce
qui est mien il m'a attribue ce qui selon la nature lui etait propre.
Par ce qu'il a etant devenu homme et comme le tenant de moi, il
manifeste ce qui lui est propre, et il s'attribue a lui-meme la grace
qu'il me fait en tant qu'ami de l'homme, Él inscrit a mon propre credit
la puissance de vertus qui lui est propre par nature. A cause de quoi Él
est dit encore recevoir ce que par nature il possede sans commencement
et au-dela de toute raison. Car de meme que l'Esprit Saint existe selon
l'essence [comme Esprit] de Dieu le Pere, de meme par nature selon
l'essence est-il [Esprit] du Fils, en tant que procedant ineffablement
du Pere, essentiellement, par le Fils engendre, et donnant au
chandelier, c'est-a-dire l'Eglise, ses propres energies comme des
lampes(92)». Él est parfaitement clair a la simple lecture de ce texte
que le propos de Maxime se situe dans une perspective economique, et ne
concerne pas l'origine du Saint- Esprit au sein de la Trinite, mais sa
manifestation, sa communication, son don aux chretiens dans l'Eglise
comme grace ou - Maxime utilise le mot a plusieurs reprises- comme
«energie(93)».
C'est dans une perspective analogue -celle de la manifestation de
l'Esprit Saint comme energie- qu'il faut comprendre le passage du De
fide orthodoxa de saint Jean Damascene auquel renvoie la
«Clarification», puisque celui-ci parle tres clairement de «l'Esprit
manifestant», et precise plus loin que «l'Esprit Saint est la puissance
manifestant le secret de la divinite», le mot puissance (äýíáìéò) etant
un terme souvent utilise par les Peres grecs (notamment Denys
l'Areopagite(94)) pour qualifier les energies divines. Mais saint Jean
Damascene vise ici la manifestation des energies divines issues du Pere,
par le Fils dans le Saint-Esprit non sur le plan economique, dans la
creation, mais au sein de la divinite et autour d'elle. Tout le contexte
de ce passage est d'ailleurs «energetique», puisque le Pere lui-meme est
designe comme «soleil suressentiel, source de bonte, abime d'essence, de
raison, de sagesse, de puissance, de lumiere, de divinite, source
envoyant le bien cache en elle», et que le Fils est lui-meme designe
comme «verbe, sagesse, puissance et volonte» du Pere, noms qui designent
non des qualites propres a telle ou telle hypostase, mais des proprietes
de l'essence divine qui est commune aux trois personnes, qualites ou
attributs se communiquant comme energies d'une personne a l'autre (du
Pere, par le Fils, au Saint- Esprit) et se manifestant comme telles.
C'est sans doute dans le meme sens qu'il faut comprendre la formule de
saint Jean Damascene citee par la «Clarification»: «Je dis que Dieu est
toujours Pere, ayant toujours a partir de lui-meme son Verbe, et par son
Verbe ayant son Esprit procedant de lui», le texte du Contra manichaeos
dont est extraite cette phrase insistant bien par ailleurs sur le fait
que le Pere est seul principe et cause et du Fils et du Saint-Esprit:
«S'il y a trois hypostases, il y a cependant un seul principe. En effet,
le Pere est le principe du Fils et de l'Esprit, non selon le temps, mais
selon la cause. Car le Verbe et l'Esprit sont (issus) du Pere, mais
pourtant pas apres lui. Car de meme que la lumiere est (issue) du feu et
que le feu ne precede pas la lumiere dans le temps -il ne peut en effet
y avoir un feu qui ne soit pas lumineux, et le feu est le principe et la
cause de la lumiere qui est (issue) de lui-, de meme le Pere est-il la
cause du Verbe et de l'Esprit -en effet, le Verbe et l'Esprit sont
(issus) du Pere- sans qu'il precede dans le temps. Je confesse donc que
le Pere est l'unique principe et cause naturelle du Verbe et de
l'Esprit(95)».
On pourrait trouver d'autres textes des Peres ou est evoquee une
mediation du Fils dans la procession du Saint-Esprit, mais ou cette
procession est en fait la manifestation ou la communication des energies
divines, soit eternellement, au sein de la divinite et autour d'elle,
soit temporellement dans la creation. C'est le cas notamment chez saint
Gregoire de Nysse souvent cite a ce propos(96) , ou chez saint Cyrille
d'Alexandrie qui, malgre des expressions en apparence essentialistes,
s'accorde fondamentalement sur ce point avec la tradition
cappadocienne(97). C'est dans une perspective semblable que l'on peut
comprendre aussi les expressions apparemment filioquistes de certains
Peres latins comme saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise de Milan et
meme saint Leon le Grand et saint Gregoire le Grand(98), la ligne de
separation n'etant pas, comme le pense la «Clarification» a la suite du
Pere Garrigues entre la tradition cappadocienne et la pensee latino-
alexandrine, mais entre la tradition a laquelle appartiennent
fondamentalement les Cappadociens, les Alexandrins et les Peres latins
que nous avons evoques, d'une part, et la tradition de pensee issue de
Tertullien, d'Augustin puis de Thomas d'Aquin, d'autre part.
b. «L'Esprit-Saint procede du Pere du Fils».
La «Clarification» propose un autre argument en faveur de la mediation
du Fils dans la procession du Saint-Esprit. Cet argument, exprime de
differentes facons, revient, nous l'avons íu, a affirmer que le Fils
intervient necessairement dans la procession du Saint-Esprit du fait que
le Pere, qui est la source et le principe de la procession du
Saint-Esprit, est Pere du Fils. Cet argument qui, avons-nous remarque,
avait deja ete presente par Â.Bolotov (dont s'est inspire le P.
Garrigues) au debut de ce siecle, et s'est attire recemment encore la
sympathie de theologiens orthodoxes du courant latinophrone(99), etait
deja avance il y a bien longtemps par les defenseurs latins du Filioque
et par leurs sympathisants grecs, comme en temoigne la refutation qu'en
fait saint Gregoire Palamas dans ses Traites apodictiques. Remarquons
tout d'abord que l'argument joue sur les mots (ou sur les concepts).
Comme le montre saint Gregoire Palamas, que «Pere» fasse penser a «Fils»
(ou que le premier concept implique l'autre dans la pensee) n'implique
pas que le Pere implique le Fils en realite quand il fait proceder
l'Esprit. Comme le fait d'ailleurs remarquer le docteur hesychaste, au
plan meme des noms, l'appellation de «Pere», si elle designe dans un
sens etroit le Pere du Fils, le designe «aussi dans un sens plus large
comme Pere de l'Esprit en tant que cause de celui-ci, ce que suggere
l'apotre Jacques lorsqu'il l'appelle le "Pere des lumieres"(Jc l,
l7)»(100), sans que cela implique pour autant que le Saint-Esprit soit
engendre ni que le Pere soit proprement Son Pere. La propriete
hypostatique du Pere en tant que tel ne se limite pas a engendrer le
Fils, mais est aussi de faire proceder l'Esprit. Le Pere est en meme
temps l'engendreur du Fils et l'emetteur (ðñïâoëåýò) du Saint-Esprit.
Lorsqu'ils definissent les proprietes hypostatiques des trois personnes
divines, les Peres soulignent d'ailleurs que celle du Pere est d'etre
«inengendre», et non pas d'engendrer, ce qui exclut que l'on envisage
cette propriete hypostatique par rapport au Fils seulement. Él faudrait
ajouter a cela les considerations de plusieurs Peres comme Denys
l'Areopagite qui soulignent le caractere apophatique de la
«paternite»(101) et excluent que l'on envisage celle-ci dans un sens
etroit, comme le fait la theologie latine.
On ne voit d'ailleurs pas pourquoi le fait d'etre Pere du Fils
impliquerait pour le Pere que le Fils lui fut associe (ou pour le Fils
qu'il fut associe au Pere) pour faire proceder l'Esprit.
En outre, le fait d'etre Pere du Fils n'implique pas pour le Pere une
relation plus etroite avec le Fils qu'avec le Saint-Esprit et ne confere
pas au Fils des privileges que l'Esprit n'aurait pas, en dehors de sa
propriete hypostatique d'etre engendre.
L'argument de la «Clarification» reflete Éa tendance traditionnelle de
la doctrine latine du Filioque a valoriser la relation Pere-Fils par
rapport a la relation Pere-Esprit(102) et a introduire ainsi un certain
desequilibre au sein de la Trinite. Él reflete aussi la tendance de
cette meme doctrine, qui concoit l'ordre theologique a partir de l'ordre
economique, a accorder la priorite a la generation du Fils par rapport a
la procession du Saint-Esprit.
Contre la tendance d'une certaine tradition latine (qui se retrouve dans
la «Clarification»(103)) a concevoir l'existence des personnes
trinitaires selon l'ordre de leur revelation et de leur manifestation
(qui est aussi l'ordre de la priere), et donc a faire du Fils un
intermediaire dans la procession du Saint-Esprit a partir du Pere, les
Peres grecs qui ont refute la doctrine latine du Filioque ont affirme
non seulement l'independance de ces deux ordres (theologique et
economique)(104) mais l'independance de la generation du Fils et de la
procession du Saint-Esprit, non seulement d'un point de vue
chronologique mais d'un point de vue «logique». Ce n'est pas parce que
le Fils est manifeste eternellement et dans le monde, et est cite, dans
la confession de foi (le Credo) ou le signe de la Croix, apres le Pere
et avant le Saint-Esprit qu'il est, quant a son origine, engendre avant
que l'Esprit ne procede, et que l'essence divine lui est communiquee
avant qu'elle ne soit communiquee au Fils. Les Peres grecs soulignent
que de meme que le Fils est engendre par le Pere (recevant de lui son
hypostase et la nature divine) directement, immediatement et sans
intermediaire, le Saint-Esprit procede du Pere (recevant de lui son
hypostase et la nature divine) directement, immediatement et sans
intermediaire(105). Él faudrait ajouter ici tous les arguments
qu'avancent les memes Peres pour montrer que, sur le plan theologique de
l'origine des personnes, est exclue toute intervention du Fils dans la
procession du Saint-Esprit (qui procede du Pere seul quant a son
hypostase et a son essence).
On pourrait objecter que cette conception introduit une dichotomie au
sein de la Trinite: Pere-Fils d'une part, et Pere-Esprit d'autre part,
qui separe d'une certaine facon le Fils et le Saint-Esprit et semble en
tout cas porter atteinte a l'union du Fils et du Saint-Esprit.
Remarquons tout d'abord que la conception que defend la «Clarification»
encourt elle-meme une objection analogue, puisqu'elle etablit une autre
dichotomie: Pere-Fils d'une part, et Esprit d'autre part et semble
porter atteinte a l'egalite des personnes puisqu'elle confere au Fils le
privilege, avec le Pere, de communiquer la nature divine a l'Esprit,
tandis que l'Esprit n'a pas la propriete de communiquer la nature divine
au Fils(106). Remarquons ensuite, selon la conception orientale, que le
Fils et le Saint-Esprit, bien qu'ils recoivent parallelement tant leur
hypostase que la nature divine sont unis entre eux et au Pere par leur
nature qui est commune au trois, et aussi par le fait d'avoir tous deux
dans le Pere leur origine: nous retrouvons ici le sens de la «monarchie»
particuliement chere aux Cappadociens.
Les considerations precedentes concernant la «Clarification» montrent
que celle-ci reste tributaire de la quadruple confusion sur laquelle
repose la doctrine latine du Filioque: l) celle des proprietes
hypostatiques avec le proprietes essentielles; 2) celles des proprietes
hypostatiques entres elles; 3) celle du plan theologique et du plan
economique; 4) celle de l'essence et des energies divines.
4. Confusion des proprietes hypostatiques et de proprietes essentielles.
L'idee de la «Clarification (reprise au P.Garrigues) selon laquelle le
Saint-Esprit recevrait la nature ou l'essence divine (ou, comme le dit
la «Clarification»: «la divinite» ou «la divinite consubstantielle») du
Pere et du Fils ou du Pere par le Fils n'echappe pas au reproche
traditionnellement fait par les theologiens orthodoxes a la doctrine
filioquiste de faire proceder le Saint-Esprit de l'essence divine, et de
confondre ainsi les proprietes hypostatiques et les proprietes de
l'essence. La «Clarification» a bien consciense de se preter a une telle
objection, puisqu'elle cite pour s'en defendre le IV(e) concile du
Latran (l2l5): «La substance n'engendre pas, n'est pas engendree, ne
procede pas, mais c'est le Pere qui engendre, le Fils qui est engendre,
le Saint-Esprit qui procede(107)», reponse qui contourne en fait
l'objection puisqu'elle evite ici de dire qui fait proceder le
Saint-Esprit et de qui le Saint-Esprit procede. Quant a la precision que
donne la «Clarification» elle-meme sur sa propre conception: «le fait
que dans la theologie latine et alexandrine le Saint-Esprit procede
(ðñüåéóé) du Pere et du Fils dans leur communion consubstantielle ne
signifie pas que c'est l'essence ou la substance divine qui procede en
lui mais qu'elle lui est communiquee a partir du Pere et du Fils qui
l'ont en commun», elle apparait comme une vaine tentative pour donner,
en jouant sur les mots, un aspect personnaliste a une theorie qui reste
en son fond essentialiste. La theorie filioquiste n'a du reste jamais
affirme explicitement que le Saint-Esprit procedait de l'essence divine,
mais cela est une consequence logique que les theologiens orthodoxes qui
la refutaient ont mise au jour. Si la «Clarification» se demarque de la
theorie filioquiste la plus stricte, c'est en semblant reconnaitre que
le Saint-Esprit procede du Pere seul selon l'hypostase; elle en reste a
demi tributaire quand elle affirme qu'il procede du Pere et du Fils
selon l'essence (ou recoit de l'un et de l'autre son essence). Rappelons
que pour la theologie orthodoxe, c'est le Pere seul qui fait proceder
l'Esprit-Saint indissociablement selon l'essence (qu'il communique) et
selon l'hypostase (qu'il «cause»), et que faire proceder l'Esprit, tout
comme engendrer le Fils releve d'une propriete hypostatique (et non
essentielle) qui appartient au Pere seul. Si l'on admettait que le Pere
et le Fils puissent, selon l'essence, en commun faire proceder l'Esprit
Saint, il n'y aurait aucune raison de ne pas admettre que le Pere et le
Saint-Esprit puissent ensemble engendrer le Fils selon l'essence (ou,
pour utiliser le langage de la «Clarification», lui communiquer leur
consubstantialite), ce qui serait evidemment une absurdite theologique(108).
5. Confusion des proprietes hypostatiques entre elles.
Lorsque la «Clarification» considere que le Saint-Esprit procede aussi
du Fils, ne fut-ce que selon l'essence, elle confond les proprietes
hypostatiques du Pere et du Fils, puisqu'elle attribue aussi au Fils la
propriete hypostatique, qui n'appartient qu'au Pere, de faire proceder
le Saint-Esprit. Mais cette confusion des proprietes hypostatiques
implique en fait une confusion de celles-ci avec les proprietes de
l'essence, car le Pere et le Fils ne pourraient faire proceder l'Esprit
«en commun» (communiter) ou «comme un seul principe» (tanquam ex uno
principio) que par une propriete qui leur est commune, ce qui ne peut
etre qu'une propriete de l'essence. Derriere l'apparence personnaliste
que prend la «Clarification» se cache donc toujours une conception
essentialiste.
6. Confusion entre le plan theologique et le plan economique d'une part,
et entre le plan de l'essence et le plan des energies d'autre part.
La «Clarification», a la suite du P.Garrigues, pretend appuyer son
interpretation sur des formules non seulement de Peres latins, mais des
Peres alexandrins, de saint Maxime le Confesseur et de saint Jean
Damascene qui semblent confirmer que le Saint-Esprit recoit la divinite
consubstantielle du Pere et du Fils ou du Pere par le Fils(109). Les
formules en questions ont la plupart pour but, comme l'admet d'ailleurs
la «Clarification» d'affirmer la consubstantialite trinitaire, certaines
d'entre elles visant plus precisement a affirmer la divinite du Fils
face aux ariens, les autres visant a affirmer la divinite du Saint-
Esprit face aux pneumatomaques. Ces formules ont un aspect essentialiste
et, quand elles ne sont pas maladroites, sont pour le moins ambigues.
Neanmoins, en les replacant dans leur contexte, il est possible de les
interpreter correctement.
La «Clarification» cite cette formule de saint Cyrille d'Alexandrie:
«L'Esprit procede du Pere et du Fils (ðñüåéóé åê ðáôñüò êáé õéïý); il
est evident qu'il est de l'essence divine (ôçò èåßáò åóôßí oõóßáò),
procedant essentiellement en elle et d'elle (ïõóéùäþò åí áõôç êáé åî
áõôÞò ðñoúüí)»(110), pretendant trouver en elle une justification
patristique d'une «communication de la divinite au Saint-Esprit a partir
du Pere et du Fils dans leur communion consubstantielle»(111). La
«Clarification» malheureusement separe cette formule de son contexte; il
suffit de rappeler tres peu celui-ci, pour s'apercevoir immediatement
que la formule de saint Cyrille s'applique au domaine de l'economie et
non a celui de la theologie: «Lorsque l'Esprit Saint est envoye en
nous(112), Él nous rend conformes a Dieu, car ÉÉ vient du Pere et du
Fils: il est evident qu'Él est de l'essence divine, provenant
essentiellement en elle et d'elle». En fait, l'Esprit designe ici non la
personne de l'Esprit, mais son don, sa grace ou ses energies, qui sont
communiques aux hommes du Pere par le Fils, ou du Pere et du Fils.
Pourquoi saint Cyrille dit-il qu'il est de l'essence divine ou qu'il en
provient essentiellement? Parce que la grace ou les energies divines
sont une manifestation ou un rayonnement de l'essence divine commune. On
peut trouver dans les ?uvres du patriarche d'Alexandrie de nombreuses
formules semblables(113), dont l'ambiguite suscita d'ailleurs quelques
problemes de son temps meme, puisque Theodoret de Cyr craignant que
Cyrille n'eut une position filioquiste lui demanda des explications;
celles-ci firent apparaitre la parfaite orthodoxie de Cyrille(114). Les
specialistes s'accordent aujourd'hui a reconnaitre que ces formules ont
un sens et une portee economique(115). Comme l'a remarque A. De Halleux,
il apparait que dans tous les cas Cyrille s'exprime «dans une visee
d'economie et non de theologie trinitaire, c'est-a-dire qu'il entend
designer ce que les scolastiques appellent les missions temporelles et
non les processions eternelles»(116); «Cyrille ne theologise jamais sur
l'Esprit Saint que dans un contexte soteriologique»(117), et c'est le
«caractere "physique"de la soteriologie alexandrine qui explique le
mieux l'etrange "essentialisme" de certaines designations que Cyrille,
prolongeant le souci athanasien de l'homoousie, aime appliquer a
l'Esprit Saint, au point de paraitre en confiner au second plan le
caractere subsistant ou personnel»(118). Un eminent specialise de la
pensee de Cyrille, le P. G.-Ì. De Durand note dans le meme sens que, «au
fond, la grande preoccupation de Cyrille est de mettre en relief le
rattachement indefectible de l'Esprit a l'essence divine», de montrer
que l'Esprit est au meme niveau que le Pere et le Fils et ne peut etre
une creature; il note egalement que la plupart des textes du grand
Alexandrin «visent a determiner la nature de l'Esprit, non Ses relations
exactes avec les autres personnes»(119).
La «Clarification» evoque aussi saint Athanase d'Alexandrie(120) et
cite(121) l'un de ses textes ou elle croit trouver une legitimation
patristique de sa theorie: «De meme que le Fils dit: "Tout ce qu'a le
Pere est a moi"(Jn 16, 15), de meme nous trouverons que, par le Fils,
tout cela est aussi dans l'Esprit»(122). Cette citation n'est cependant
pas en mesure de jouer le role qu'on veut lui donner: le contexte du
debut de la troisieme lettre a Serapion dont elle est tiree est tres
clairement economique: aussi bien avant qu'apres ce passage, saint
Athanase se refere aux episodes de l'Ecriture ou le Saint-Esprit est
annonce puis donne par le Christ a ses disciples, et ecrit a la fin de
la section ou figure cet extrait(123): «c'est du Fils que l'Esprit est
donne a tous et ce qu'il a appartient au Fils». Dans la section suivante
il note: «C'en serait assez pour dissuader a tout disputeur quel qu'il
soit d'appeler encore creature de Dieu [l'Esprit] qui est en Dieu, qui
scrute les profondeurs de Dieu, et qui, de la part du Pere, est donne
par l'intermediaire du Fils»(124). Saint Athanase a ici en vue l'Esprit
communique ou donne aux hommes en tant que grace ou energie, grace ou
energie qui vient du Pere par le Fils. Les paroles du Christ citees par
saint Athanase: «Tout ce qu'a le Pere est a moi» (Jn 16, 15), peuvent
designer soit la nature divine commune, soit les energies qui s'y
rapportent; mais lorsque saint Athanase ajoute: «de meme nous trouverons
que, par le Fils, tout cela est aussi dans l'Esprit», il montre qu'il a
en vue les biens divins attaches a la nature divine commune qui sont
communiques comme energies du Pere, par le Fils dans l'Esprit. On
pourrait rapprocher ce passage d'un autre passage de la meme ?uvre, qui
se situe encore plus clairement dans cette perspective economique:
«Unique est la sanctification qui se fait du Pere par le Fils dans
l'Esprit Saint. De meme que le Fils est monogene, ainsi aussi l'Esprit
envoye et donne par le Fils est unique et non multiple, ni un parmi
plusieurs, mais l'Esprit unique lui-meme. Puisque unique est le Fils, le
Verbe vivant, unique aussi doit etre son action vivante et son don
parfait et complet, sanctifiant et eclairant, dont on dit qu'Él procede
du Pere parce qu'il rayonne, est envoye et donne par le Fils et que nous
confessons [procedant] du Pere»(125).
Dans la meme note ou elle cite saint Athanase, la «Clarification» se
refere, sans le citer, a un passage du Traite du Saint-Esprit de Didyme
l'Aveugle, pretendant qu'il «coordonne[...] le Pere et le Fils par la
meme preposition åê dans la communication a l'Esprit Saint de la
divinite consubstantielle»(126). On voit le caractere errone de cette
conclusion a la simple lecture du texte de Didyme, dont, sans aucune
ambiguite, le sens est economique et concerne les missions du Saint-
Esprit dans le monde: «S'agissant de l'Esprit de verite qui est envoye
par le Pere et qui est le Paraclet, le Sauveur, qui, lui aussi, est la
verite, dit: "Él ne parlera pas de son propre chef", c'est-a-dire sans
moi et sans le gre du Pere et le mien, car il ne peut etre separe de la
volonte du Pere ni de la mienne puisqu'il ne vient pas de lui-meme, mais
qu'il vient du Pere et de moi, puisque le fait meme qu'il subsiste et
parle lui vient du Pere et de moi. C'est moi qui dis la verite,
c'est-a-dire que j'inspire ce qu'il dit, etant entendu qu'il est
l'Esprit de verite»(127).
L'analyse des textes de Peres latins comme saint Hilaire de Poitiers,
saint Ambroise de Milan et saint Leon le Grand, egalement cites par la
«Clarification»(128), permet d'aboutir aux memes conclusions. La
premiere citation de saint Hilaire: «Que j'obtienne ton Esprit qui est a
partir de toi par ton Fils unique»(129) se situe tres clairement dans un
contexte economique puisqu'il s'agit de la reception de l'Esprit par le
fidele qui prie Dieu de le lui donner, ce don et cette reception se
faisant du Pere par le Fils. Quant a l'autre passage de saint Hilaire
que cite la «Clarification» - «Si l'on croit qu'il y a une difference
entre recevoir du Fils (Jn 16, 15) et proceder du Pere (Jn 15, 26), il
est certain que c'est une seule et meme chose que de recevoir du Pere et
de recevoir du Fils» -, il se situe lui aussi dans un contexte
economique: ce contexte evoque la reception par les hommes du
Saint-Esprit en tant que grace ou energie, l'Esprit, qui communique ses
dons ou energies aux hommes, les recevant du Fils qui lui-meme les
recoit du Pere dont ils sont issus: «Pour le moment, je ne prends point
en consideration la liberte qui pousse certains a se demander si
l'Esprit Paraclet vient du Pere ou s'il vient du Fils. Le Seigneur en
effet, ne nous a pas laisses dans le doute. A la suite des mots
precedemment cites ["Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai
d'aupres du Pere, l'Esprit de verite qui procede du Pere, c'est lui qui
me rendra temoignage"(Jn 15, 26)], Él declare: "J'ai encore beaucoup de
choses a vous dire, mais vous ne pouvez les porter actuellement. Lorsque
viendra cet Esprit de verite, il vous guidera vers toute la verite. Car
il ne parlera pas de lui-meme, mais il dira tout ce qu'il aura entendu
et vous annoncera les realites a venir. C'est lui qui me rendra gloire,
car il recevra de mon bien pour vous le communiquer"(Jn 16, 12-15).
L'Esprit envoye par le Fils recoit donc egalement du Fils, et il procede
du Pere. Et je te le demande: Serait-ce la meme chose: recevoir du Fils
et proceder du Pere? Si l'on voit une difference entre recevoir du Fils
et proceder du Pere, du moins on n'hesitera pas a croire que recevoir du
Fils et recevoir du Pere sont une seule et meme chose. Le Seigneur
lui-meme le precise: "Él recevra de mon bien pour vous le communiquer.
Tout ce qu'a le Pere est a moi. Voila pourquoi j'ai dit: il recevra de
mon bien pour vous le communiquer". Le Fils nous en donne ici
l'assurance: c'est de lui que l'Esprit recoit ce qu'il recoit:
puissance, vertu, science. Et plus haut il nous avait laisse entendre
que tout cela il l'avait recu de Son Pere. Aussi nous dit-Él que tout ce
qu'a le Pere est a lui, et c'est pourquoi il affirme que l'Esprit
recevra de son bien. Él nous enseigne en outre que ce qui est recu de
son Pere est recu pourtant de lui, car tout ce qu'a son Pere est son
bien. Aucune divergence dans cette unite: ce qui est donne par le Pere
n'est pas different de ce qui est recu du Fils, et doit etre considere
comme donne par le Fils»(130). On peut voir clairement dans ce passage
que pour saint Hilaire:
a) L'Esprit est envoye par le Fils et recoit du Fils, mais procede du Pere.
b) Recevoir du Fils n'equivaut pas a proceder du Pere.
c) En revanche recevoir du Pere et recevoir du Fils sont une seule et
meme chose.
d) Ce que le Saint-Esprit recoit du Fils est la meme chose que ce qu'il
recoit du Pere: ce sont les biens qui s'attachent a la nature divine,
qui nous sont communiques comme dons par l'Esprit qui les recoit du Fils
qui lui-meme les a recus du Pere. Ces biens, que deja a l'epoque de
saint Hilaire certains Peres grecs appellent «energies» et certains
Peres latins «operations» divines, sont plus couramment appeles, en tant
qu'ils nous sont communiques, «grace», «charismes» ou «dons» de
l'Esprit. Dans ce texte, saint Hilaire en donne comme exemple la
puissance, la perfection, la science, mais quelques chapitres plus loin
il les presente en detail en se referant a saint Paul (1 Co 12, 8-12)
qui ecrit: «Él y a diversite de done, mais c'est le meme Esprit [...],
diversites d'operations, mais c'est le meme Dieu qui opere en tous» (1
Co 12, 4-7). Él est donc clair que l'on n'a pas ici affaire, comme le
pretend la «Clarification» a une «communication de la consubstantialite
divine selon l'ordre trinitaire» ou a une «communication de la divinite
par la procession», c'est-a-dire une communication de la nature ou de
l'essence divine elle-meme au Saint-Esprit par le Fils a partir du Pere.
La «Clarification» propose ensuite une citation de saint Ambroise de
Milan qui parait a priori plus convaincante: «Le Saint-Esprit, quand il
procede du Pere et du Fils, ne se separe pas du Pere, ne se separe pas
du Fils»(131). Ce texte est habituellement cite par ceux qui voient en
l'eveque de Milan un partisan de la doctrine latine du Filioque. Mais il
suffit de replacer ce passage dans son contexte pour voir immediatement
que saint Ambroise situe cette affirmation dans une perspective
economique: «Le Saint-Esprit n'est pas envoye comme a partir d'un lieu,
ainsi que le Fils lui-meme ne l'est pas quand il dit: "Je suis sorti du
Pere et venu dans le monde"(Jn 8, 42) [...]. Le Fils, ni quand il sort
du Pere, ne s'eloigne d'un lieu ou ne se separe comme un corps se separe
d'un autre, ni, quand il est avec le Pere, n'est contenu par lui comme
un corps l'est par un autre. Le Saint- Esprit lui aussi, quand il
procede du Pere et du Fils (procedit a Patre et a Fßlio) ne se separe
pas du Pere, ne se separe pas du Fils»(132). Saint Ambroise veut
evidemment montrer ici l'unite de nature des trois personnes divines;
plus precisement, il veut faire voir qu'en vertu de cette unite de
nature, les trois personnes ne se separent pas l'une de l'autre quand le
Fils sort du Pere pour etre envoye dans le monde, ou quand l'Esprit
Saint procede ou sort du Pere et du Fils en etant envoye par le Fils de
la part du Pere(133).
La «Clarification» renvoie aussi a un texte de saint Leon le Grand, qui
a souvent ete cite par les partisans du Filioque: la troisieme section
de son premier sermon sur la Pentecote(134). Ce passage merite d'etre
cite et commente. «Gardons-nous de penser, ecrit Leon, que la substance
divine ait apparu dans ce qui s'est alors montre a des yeux de chair. La
nature divine invisible et commune au Pere et au Fils a en effet montre,
sous tel signe qu'elle a íoulu, le caractere de son don et de son ?uvre
(muneris atque operis sui), mais elle a garde dans l'intime de sa
divinite ce qui est propre a sa substance: car le regard de l'homme, pas
plus qu'il ne peut atteindre le Pere ou le Fils, ne peut davantage voir
le Saint-Esprit. Dans la Trinite divine, rien, en effet, n'est
dissemblable, rien n'est inegal; tout ce qu'on peut imaginer de cette
substance ne se distingue ni en puissance, ni en gloire, ni en eternite
(nec virtute, nec gloria, nec aeternitate). Encore que, dans les
proprietes des personnes, autre soit le Pere, autre le Fils, autre
l'Esprit Saint, autre cependant n'est pas la divinite, ni diverse la
nature. S'il est vrai que le Fils unique est du Pere et que l'Esprit
Saint est l'Esprit du Pere et du Fils (siquidem cum et de Patre sit
Filius unigenitus, et Spiritus sanctus Patris Fßliique sit spiritus), il
ne l'est pas a la maniere d'une creature qui serait [creature] du Pere
et du Fils, mais il l'est comme ayant vie et pouvoir avec l'un et avec
l'autre, et comme subsistant eternellement a partir de ce qu'est le Pere
et le Fils (sempiterne ex eo quod est Pater Filiusque subsistens).
Aussi, lorsque le Seigneur, la veille de sa Passion, promettait a ses
disciples l'avenement du Saint-Esprit, il leur disait: "[...] Quand il
viendra, lui, l'Esprit de verite, il vous conduira vers la verite tout
entiere; car il ne parlera pas de lui-meme; mais tout ce qu'il entendra,
il le dira, et il vous annoncera les choses a venir. Tout ce qu'a le
Pere est a moi. Voila pourquoi j'ai dit: c'est de mon bien qu'il prendra
pour vous en faire part"(Jn 16, 13, 15). Él n'est donc pas vrai
qu'autres soient les biens du Pere, autres ceux du Fils, autres ceux de
l'Esprit Saint; non, tout ce qu'a le Pere, le Fils l'a pareillement, et
pareillement l'Esprit Saint; jamais dans cette Trinite, une telle
communion n'a fait defaut, car la, avoir tout, c'est exister toujours
(semper existere). Gardons-nous donc d'imaginer la nul temps, nul degre,
nulle difference; et si personne ne peut expliquer de Dieu ce qu'Él est,
que personne n'ose affirmer ce qu'Él n'est pas. Él est plus excusable,
en effet, de ne pas parler dignement de l'ineffable nature que d'en
definir ce qui lui est contraire. Aussi tout ce que les coeurs fervents
peuvent concevoir de l'eternelle et immuable gloire du Pere, qu'ils le
comprennent en meme temps inseparablement et indifferemment et du Fils
et de l'Esprit Saint. Nous confessons en effet que cette bienheureuse
Trinite est un seul Dieu, parce que dans ces trois personnes il n'y a
aucune difference ni de substance, ni de puissance, ni de volonte, ni
d'operation (nec substarétiae, nec potentiae, nec voluntatis, nec
operationis est ulla diversitas)»(135). On peut remarquer que dans ce
passage:
a) Leon distingue tres nettement le Saint-Esprit comme personne et le
Saint-Esprit comme grace ou don (ou operation, ou energie)(136).
b) Cette grace que le Saint-Esprit communique aux hommes est consideree
comme appartenant a la nature commune aux trois personnes divines.
c) Leon distingue au debut de ce texte la substance (ou l'essence) de la
Divinite, qui est inconnaissable, inaccessible, incommunicable, et ce
qui en est le «signe», la manifestation, et qui correspond, comme il
dit, a son don et a son ?uvre (opus, que l'on pourrait encore traduire
dans ce contexte par «acte» ou «activite»), ou encore a Sa «puissance
(virtus)», a sa «gloire», a son «eternite», a ce que l'on pourrait
encore appeler ses «operations» (mot utilise par Leon lui- meme) ou ses
«energies». On retrouve a la fin du texte la distinction entre la
substance et la puissance, la volonte et l'operation dont Leon affirme
qu'elles sont les memes pour les trois personnes divines(137).
d) L'affirmation que «l'Esprit est l'Esprit du Pere et du Fils» ne
signifie nullement que le Pere et le Fils soient la cause de l'Esprit,
ou que l'Esprit tienne son existence du Pere et du Fils. Cette
expression est tres clairement mise en rapport avec ce que le Pere, le
Fils et le Saint-Esprit ont en commun, a savoir l'essence divine et les
proprietes et energies qui lui appartiennent et qui la manifestent: Leon
dit que «l'Esprit est l'Esprit du Pere et du Fils [...] comme ayant vie
et pouvoir avec l'un et avec l'autre et comme subsistant eternellement a
partir de ce qu'est (ex eo guod est) le Pere et le Fils».
e) Cette expression «subsistant eternellement a partir de ce qu'est le
Pere et le Fils» n'indique pas l'origine du Saint-Esprit a partir d'une
cause commune constituee par le Pere et le Fils ensemble en tant que
personnes(138), ni meme a partir de leur nature commune; elle n'indique
pas non plus que, selon la theorie de la «Clarification», l'Esprit Saint
recevrait du Pere et du Fils son essence; mais elle affirme que l'Esprit
a eternellement la meme nature et donc les memes proprietes, la meme
puissance et la meme operation ou energie que le Pere et le Fils, ce que
tout le contexte de ce passage indique de plusieurs facons. On notera
que subsister eternellement a partir de ce qu'est le Pere et le Fils
semble pose comme un equivalent d'avoir vie et pouvoir avec l'un et avec
l'autre, c'est-a-dire de posseder les memes biens divins attaches a la
meme nature divine commune. Cela est confirme par l'assimilation qui est
faite plus loin entre «exister toujours» et avoir tout, «tout» designant
les «biens» divins qui sont presentes comme etant les memes pour le
Pere, le Fils et le Saint- Esprit.
f) Leon rejette par avance l'interpretation filioquiste de l'affirmation
du Christ: «Él prendra [ou: recevra] de ce qui est a Moi [ou: de Ìon
bien] pour vous en faire part», en soulignant que ce que le Christ
designe comme ce qui est a lui appartient egalement non seulement au
Pere mais au Saint-Esprit, et correspond aux biens attaches a la nature
divine commune qui sont manifestes comme energies ou operations et
communiques comme dons du Pere, par le Fils dans le Saint-Esprit.
Nous retrouvons donc chez saint Leon une conception qui s'accorde avec
celle de saint Ambroise ou de saint Hilaire, et aussi avec celle de
saint Athanase ou de saint Cyrille d'Alexandrie, conception qui, bien
que s'exprimant comme les precedentes en termes plus essentialistes, est
egalement en accord avec celle des autres Peres grecs.
Él nous semble en revanche que cette conception ne s'accorde pas avec
celles de Tertullien et de saint Augustin dont la clarification la
rapproche abusivement. Nous ne nous arreterons pas sur la conception de
Tertullien a laquelle la «Clarification», a la suite du P. Garrigues,
accorde une grande importance: s'il est vrai que la pensee trinitaire de
Tertullien a beaucoup marque celle de saint Augustin, on ne peut la
considerer comme normative, meme pour la tradition latine, pour la
raison que Tertullien a developpe l'essentiel de sa triadologie dans
l'Adversus Praxeam a l'epoque ou, ayant adopte l'heresie montaniste, il
se situait en dehors de l'Eglise. Notons seulement que si les
developpements de Tertullien, s'exprimant dans un vocabulaire fortement
substantialiste, peuvent neanmoins pour une part se comprendre dans une
perspective economique(139), leur principal defaut est de concevoir
l'ordre trinitaire de l'origine des personnes sur le modele de l'ordre
economique de leur manifestation, en considerant que celui-ci reflete
celui-la.
Ce dernier defaut se retrouve dans la triadologie de saint Augustin.
Lors meme que l'eveque d'Hippone concoit la procession de l'Esprit dans
une perspective economique, celle des missions, il considere que
celle-ci correspond a la procession eternelle et la revele(140). De la
vient l'impression que l'on eprouve a la lecture des textes d'Augustin
qui concernent la procession du Saint-Esprit que les perspectives
economiques et theologiques sont pour lui non seulement indistinctes
mais melangees et confondues. Paraissent egalement confondues, au plan
theologique, la procession eternelle de l'Esprit a partir du Fils avec
sa manifestation eternelle par le Fils. Semblent souvent confondues
aussi les proprietes hypostatiques des personnes divines avec leurs
proprietes naturelles. En temoigne notamment l'affirmation bien connue,
immanquablement citee par la «Clarification»(141), que l'Esprit
constitue un lien d'amour entre le Pere et le Fils, affirmation ou se
revele une reduction de la personne de l'Esprit au profit d'un principe
impersonnel qui releve de l'essence commune, ce que confirme par
ailleurs le vocabulaire que l'eveque d'Hippone utilise le plus
couramment dans ce contexte pour designer l'Esprit: societas
dßlectionis(142), unitas, caritas amborum(143), communis caritas Patris
et Filii(144), societas Patri et Filii(145). La «Clarification» tout en
signalant que la position de Thomas d'Aquin se trouve a cet egard dans
la continuite de celle d'Augustin affirme sans ambages: «Cette doctrine
de l'Esprit Saint comme amour a ete harmonieusement assumee par saint
Gregoire Palamas a l'interieur de la theologie grecque de l'åêðüñåõóéò a
partir du Pere seul»(146) et cite ce passage, bien connu egalement, de
l'archeveque de Thessalonique: «L'Esprit du Verbe tres haut est comme un
indicible amour du Pere pour ce Verbe engendre indiciblement. Amour dont
ce meme Verbe et Fils aime du Pere use envers le Pere: mais en tant
qu'il a l'Esprit provenant avec lui du Pere et reposant connaturellement
en lui»(147). Une telle assimilation de la pensee de saint Gregoire
Palamas avec celle de saint Augustin (qui fut deja maintes fois tentee
auparavant tant par les partisans latins du Filioque que par les
«orthodoxes» latinophrones) est tout a fait abusive puisque saint
Gregoire Palamas a en vue la communication de l'amour comme energie
divine qui se fait du Pere par le Fils (ou du Pere et du Fils) dans
l'Esprit(148). Saint Augustin a quant a lui en vue la personne meme de
l'Esprit, dans un contexte theologique ou sont confondus non seulement
l'essence et les personnes divines, mais encore l'essence et les
energies divines. Cette distinction de l'essence et des energies
divines, formalisee par saint Gregoire Palamas mais qui etait deja
presente, d'une maniere plus ou moins explicite, comme nous l'avons íu,
non seulement chez les Peres grecs mais chez beaucoup de Pere latins,
est en revanche exclue par les principes memes de la theologie
augustinienne(149) (elle le sera egalement, et d'une maniere plus
radicale par les presupposes de la metaphysique thomiste).
On trouve par ailleurs chez Augustin une multitude d'expressions qui
temoignent indubitablement d'une doctrine elaboree de la procession du
Pere et du Fils (Augustin utilise tres souvent l'expression: procedit ab
utroque) qui est tres etroitement apparentee avec ce qui sera plus tard
la doctrine latine du Filioque(150) et qui en est sans aucun doute
l'inspiratrice directe. La triadologie de saint Augustin se distingue
nettement par la de celle de Peres latins comme saint Hilaire, saint
Ambroise ou meme saint Leon le Grand et saint Gregoire le Grand. Cela
nous donne l'occasion de redire que la ligne de demarcation entre deux
traditions theologiques ne se situe pas, comme le pretend la
«Clarification» a la suite du P. Garrigues entre la tradition
cappadocienne et une supposee tradition latino-alexandrine, mais entre
la tradition representee par l'ensemble des Pere grecs et des Pere
latins orthodoxes, et une tradition qui (si l'on exclut la position
marginale de Tertullien) est representee par Augustin et ses disciples.
Ce point n'a pas seulement ete souligne par des patrologues
orthodoxes(151), mais par un specialiste catholique de la pensee
augustinienne comme E.Hendricks, qui n'hesite pas a ecrire que
«l'historien du dogme qui, venant des ecrits du IV(e )siecle, debouche
sur l'?uvre d'Augustin» constate que «la ligne de rupture dans le
developpement synthetique de la doctrine trinitaire ne se trouve pas
entre Augustin et nous, mais entre lui et ses predecesseurs immediats»(152).
Cela nous permet de faire retour sur le passage de l'Opuscule
theologique et polemique X ( = Lettre a Ìarin de Chypre(153)) de saint
Maxime le Confesseur, qui constitue le point de depart de la theorie du
P.Garrigues et que cite la «Clarification» en considerant qu'il
«articule ensemble les deux approches -cappadocienne et
latino-alexandrine- de l'origine eternelle de l'Esprit: le Pere est le
seul principe sans principe (en grec áéôßá) du Fils et de l'Esprit; le
Pere et le Fils sont source consubstantielle de la procession (ôo
ðñoúÝíáé) de ce meme Esprit»(154). Nous avons montre dans une etude
detaillee le caractere errone de cette interpretation(155). Pour
resituer le texte de Maxime dans son contexte, rappelons que le pape
Theodore 1(er) avait ecrit dans ses Lettres synodiques(156) que
«l'Esprit procede aussi du Fils (åêðïñåýåóèáé êáê ôoõ õéoý ôo ðíåýìá ôo
Üãéoí)»; cette affirmation avait attire la critique de quelques
theologiens byzantins. Maxime avait alors pris la defense du pape
Theodore et des theologiens de son entourage et, s'appuyant sur des
justifications qu'eux-memes avaient fournies pour faire face aux
attaques dont ils etaient l'objet, avait montre qu'ils entendaient cette
expression dans un sens orthodoxe: «Sur la procession, ils [les Romains]
ont amene les temoignages des Pere latins, en plus, bien sur, de saint
Cyrille d'Alexandrie dans l'etude sacree qu'il fit sur l'Ervangile de
saint Jean. A partir de ceux-ci ils ont montre qu'eux-memes ne font pas
du Fils la Cause (áéôßá) de l'Esprit -ils savent, en effet, que le Pere
est la Cause unique du Fils et de l'Esprit, de l'un par generation, de
l'autre par procession (åêðüñåõóéò) - mais ils ont explique que celui-ci
provient (ðñïúÝíáé) a travers le Fils et montre ainsi la connexion et la
non-difference de l'essence. [...] Voila donc ce qu'ont repondu [ceux de
Rome] au sujet des choses dont on les accuse sans raison valable. [...]
Cependant, suivant ta requete, j'ai prie les Romains de traduire les
[formules] qui leur sont propres afin d'eviter les obscurites des points
qui s'y rattachent. Mais la coutume de rediger et d'envoyer ainsi [les
Lettres synodiques] ayant ete suivie, je me demande si jamais ils y
accederont. Par ailleurs il y a le fait de ne pouvoir exprimer sa pensee
dans d'autres mots et dans une autre langue comme dans les siens,
difficulte que nous rencontrons nous aussi. En tout cas, ayant fait
l'experience d'etre accuses, ils viendront a s'en soucier»(157).
Maxime n'entend nullement concilier ici, comme le pretend la
«Clarification» a la suite du Pere Garrigues, une tradition
cappadocienne qui soulignerait que le Saint-Esprit procede ou a son
ekporese (åêðïñåýåóèáé) du Pere seul quant a son hypostase, ou encore a
le Pere comme seule origine et cause de son existence personnelle, et
une tradition latino-alexandrine qui soulignerait qu'il provient
(ðñïúÝíáé) ou procede (procedit) du Pere et du Fils quant a sa nature
(ou recoit du Pere et du Fils sa consubstantialite). Maxime veut montrer
que l'affirmation que «le Saint-Esprit procede du Pere et du Fils» est
inacceptable si l'on entend par la que le Fils aussi serait la cause du
Saint-Esprit car le Pere seul est sa cause; mais qu'elle est en revanche
acceptable si l'on entend par la que le Saint-Esprit sort ou vient par
le Fils que ce soit l) dans le monde ou il est envoye et communique
comme grace ou don, 2) «autour de l'essence» divine ou il rayonne comme
energie, comme lumiere ou comme gloire, ou 3) au sein meme de la
divinite ou il est communique comme energie du Pere par le Fils, du Pere
dans le Fils, ou du Pere et du Fils. C'est surtout le premier de ces
trois sens (que l'on appelle «economique», et qui concerne les
«missions» du Saint-Esprit) qu'ont en vue les Peres tant latins que
grecs lorsqu'ils evoquent la procession ou la sortie du Saint-Esprit du
Pere par le Fils (voire du Pere et du Fils), bien qu'ils evoquent
parfois en des termes divers, les deuxieme et troisieme sens(158). Nous
avons cependant montre que saint Augustin constituait parmi eux une
exception notable et qu'il n'etait pas inclus parmi les Peres latins que
Maxime evoquait dans le passage cite, sa triadologie ne repondant pas au
critere de recevabilite que Maxime propose, tandis que les triadologies
de saint Hilaire de Poitiers, de saint Ambroise de Milan, de saint Leon
le Grand, ou de saint Gregoire le Grand y repondent de meme que celle de
saint Cyrille d'Alexandrie(159). La formule du pape Theodore 1(er) et
des theologiens de son entourage est selon Maxime a comprendre dans le
meme sens et ne se situe pas sur le terrain de la theologie
augustinienne(160). Cette position temoigne qu'a l'epoque de Maxime la
triadologie augustinienne ne s'etait pas encore imposee en Occident et
que subsistait a cote d'elle dans l'Eglise latine jusqu'au plus haut
niveau, un courant theologique non augustinien en accord profond avec la
tradition orthodoxe commune des Peres grecs et latins, qui excluait que
le «Filioque» ou les expressions analogues fussent compris dans un sens
theologique se rapportant a l'origine du Saint-Esprit dans son hypostase
ou dans son essence.
L'expression utilisee par Maxime -l'Esprit Saint «provient (ðñïúÝíáé) a
travers [ou par] le Fils» - pour reformuler et resumer la position
acceptable du pape Theodore É(er) dans la ligne de la tradition des
Peres grecs et latins a ete d'ailleurs comprise dans un sens economique
non seulement par ses commentateurs byzantins (comme saint Nil
Cabasilas) mais par des commentateurs latins comme Anastase le
Bibliothecaire (qui fut le secretaire et le conseiller des papes Nicolas
(Ier), Hadrien ÉÉ et Jean VII et qui joua un role important dans la
politique de l'Eglise romaine lors de l'affaire photienne). Celui-ci
ecrit: «Saint Maxime fait comprendre que les Grecs nous accusent
faussement, car nous ne disons pas que le Fils est cause ou principe de
l'Esprit Saint, comme ils le pretendent, mais prenant en consideration
l'unite de substance du Pere et du Fils, nous reconnaissons qu'il
procede du Fils, comme du Pere, mais en comprenant certainement le mot
"procession" dans le sens de "mission" (missionem nimirum processionem
intelligentes): saint Maxime traduit pieusement et engage ceux qui
connaissent les deux langues a la paix, car il est evident qu'il nous
enseigne a nous, comme aux Grecs, que le Saint- Esprit d'une certaine
maniere procede du Fils et d'une autre maniere n'en procede pas
(secundum quiddam procedere, secundum quiddam non procedere Spiritum
Sanctum ex Filio), en montrant la difficulte de traduire d'une langue a
une autre sa propriete(161)».
Si a partir de ces textes qui l'evoquent on revient a la question du
vocabulaire, on voit comment la distinction entre l'åêðüñåõóéò et le
ðñoúÝíáé ne correspond ni pour le pape Theodore É(er) (qui a donne de sa
formule une explication dont Maxime a eu connaissance), ni pour Maxime
ni pour son commentateur latin Anastase, a l'ekporese selon l'hypostase
et au procedere de la theologie filioquiste (meme entendu sous la forme
souple que met en avant la «Clarification» d'une communication de la
divinite, du Pere et du Fils au Saint-Esprit) qui seraient pretendument
concilies par Maxime. Maxime n'entend pas non plus affirmer par la
l'equivalent du «Filioque» de la doctrine filioquiste latine (deja
representee par Augustin) et du äéÜ ôoõ õéoý des Peres grecs.
Les deux expressions, celle du pape Theodore I(er) («l'Esprit procede
aussi du Fils [åêðïñåýåóèáé êáê ôoõ õéïý ôï ðíåýìá ôo Üãéoí])» et celle
dans laquelle Maxime la reformule (le Saint-Esprit «provient [ðñïúÝíáé]
a travers [ou par] le Fils») ont toutes les deux en vue la «procession»
ou la «sortie» du Saint-Esprit, entendue dans un sens economique, du
Pere par le Fils. Ce qui a choque les theologiens byzantins qui ont
proteste contre la formulation du pape, c'est l'usage du verbe
åêðïñåýåóèáé reserve generalement en grec (mais non systematiquement,
nous l'avons íu) au sens proprement theologique de la procession alors
que le verbe latin procedere est utilise couramment dans les deux sens,
theologique et economique. Les theologiens byzantins ont peut-etre aussi
ete choques par l'usage de l'expression «et aussi du Fils» moins
courante parmi les theologiens grecs que l'expression «par le Fils»
(mais egalement acceptable si elle est entendue dans un contexte
economique, comme n'hesiteront pas a l'admettre, ulterieurement, saint
Photius et saint Gregoire Palamas).
Mais pourquoi alors, si le verbe åêðïñåýåóèáé etait parfois utilise en
grec pour designer la procession dans un sens economique, les
theologiens byzantins se sont-ils indignes de la formule du pape
Theodore É(er)? On peut incriminer un manque de culture, mais la raison
la plus probable est que ces theologiens, qui etaient gagnes a l'heresie
monothelite, visaient a deconsiderer l'Eglise de Rome qui etait alors la
seule a defendre la foi orthodoxe, et aussi a priver Maxime (qui etait
leur principal adversaire) de son principal soutien. Maxime s'etonne
d'ailleurs de leur reaction (sur le plan theologique, mais non sur le
plan «politique») et les presente comme «des chercheurs de pretextes(162)».
Nous pouvons donc constater par cet autre biais que la theorie
linguistique mise au point par le P. Garrigues (sur la base d'une fausse
comprehension de ce texte de Maxime) et sur laquelle la «Clarification»
fonde pour une grande part sa position, est irrecevable.
Él reste cependant un point a debattre: Maxime note que le pape Theodore
É(er) et les theologiens de son entourage, en affirmant que le
Saint-Esprit procede aussi du Fils «ont voulu manifester le fait [pour
l'Esprit] de sortir par lui [le Fils] (ôï äé'áõôïý ðñïúÝíáé) et etablir
par la la connexion et la non-difference de l'essence (ôo óõíáöÝò ôçò
oõóßáò êáé áðáñÜëëáêôïí)». S'il a en vue la procession (ou sortie, ou
manifestation) du Saint-Esprit dans l'ordre economique, comment peut-il
utiliser cette derniere expression, de caractere essentialiste? Celle-ci
ne se refere-t-elle pas a ce qui se passe in divinis, et ne
concerne-t-elle pas necessairement l'essence divine elle-meme? On peut
repondre que pour les Peres orthodoxes -les Peres cappadociens ont
beaucoup insiste la-dessus dans le cadre de leur refutation des
positions d'Eunome, mais Denys l'Areopagite encore plus, et Maxime est
sur ce point leur heritier- l'essence divine en elle-meme est
inconnaissable et ce qui concerne Dieu nous est revele par les energies
divines. Les energies divines qui rayonnent eternellement comme gloire
ou qui nous sont communiquees comme grace de Dieu, a partir du Pere, par
le Fils, dans le Saint-Esprit, se rapportent a l'essence commune aux
trois personnes divines. Une est l'energie du Pere du Fils et du
Saint-Esprit parce que une est leur essence. Puisque les energies se
rapportent a la nature, il n'y a pas des energies propres au Pere, des
energies propres au Fils et des energies propres au Saint-Esprit, mais
ce sont le memes energies qui ont le Pere comme source, sont
communiquees au Fils, et du Pere par le Fils, ou du Pere et du Fils, au
Saint-Esprit. Cette communication revele ainsi, comme le dit saint
Maxime, «la connexion et la non-difference [ou, pour adopter une autre
traduction: l'unite et l'identite] de l'essence». Les Peres qui ont
íoulu montrer, contre les pneumatomaques, que le Saint-Esprit lui aussi
est Dieu, ont tout simplement montre que toutes les energies communes au
Pere et au Fils, le Saint-Esprit devait lui aussi les avoir, en commun
avec eux et par nature; de meme que les Peres qui avaient íoulu montrer,
contre les ariens, que le Fils est Dieu, avaient montre qu'il a toutes
energies du Pere, en commun avec lui et par nature.
CONCLUSION
La «Clarification» semble de prime abord temoigner d'une eíolution dans
la position catholique romaine a l'egard du Filioque et se rapprocher de
la position orthodoxe.
Les points les plus tranches de la doctrine latine (comme l'affirmation
que le Saint-Esprit procederait du Pere et du Fils «comme d'un seul
principe», ou que le Pere et le Fils seraient la cause de l'hypostase du
Saint-Esprit) semble abandonnes. La «Clarification» s'efforce d'adopter
une perspective plus personnaliste et moins essentialiste.
Cependant la «Clarification» continue a temoigner de son attachement a
la triadologie augustinienne de meme qu'a la triadologie thomiste,
soulignant l'accord de l'une et de l'autre avec les positions qu'elle
defend(163). Elle affirme d'autre part l'accord de ces memes positions
avec les definitions du concile de Lyon et de Florence (tout en
edulcorant le sens, comme l'avait fait le Catechisme de l'Eglise
catholique)(164), semblant oublier que si ces definitions obtinrent dans
un premier temps l'accord des Grecs latinophrones, elles furent rejetees
par l'Eglise orthodoxe comme definitivement etrangeres a sa foi, les
premieres solennellement au concile des Blachernes tenu en 1285 sous la
presidence de saint Gregoire de Chypre(165), les secondes, non pas comme
le pretend J.-Ì. Garrigues, «en raison du manque de liberte des eveques
orientaux du aux conditions politiques de l'Empire byzantin(166), mais
grace a l'activite et a l'?uvre dogmatique de saint Marc d'Ephese puis
de Georges (Gennade) Scholarios.
Si la «Clarification» semble admettre que le Pere seul est la cause de
l'existence personnelle du Saint-Esprit, elle ne fait cependant que la
moitie du chemin en continuant a affirmer que c'est le Pere et le Fils
ensemble qui lui communiquent la nature divine. La demarche de la
«Clarification» est a cet egard inacceptable a plusieurs titres:
l) Elle dissocie dans le Saint-Esprit son hypostase et son essence et
affirme pour celui-ci une double origine: selon l'hypostase et selon
l'essence.
2) Elle fonde cette theorie sur une theorie linguistique artificielle
qui, de maniere inacceptable:
a) reduit le probleme du Filioque a un simple malentendu linguistique;
b) separe une tradition pretendument cappadocienne d'une tradition
pretendument latino-alexandrine (alors que la vraie ligne de partage
passe entre la tradition representee par Tertullien, Augustin et ses
disciples d'une part et les Peres orthodoxes, grecs et latins, d'autre
part).
c) affirme que chacune de ces traditions ne possede qu'une partie de la
verite et est donc complementaire de l'autre.
La «Clarification» vise en fait a relativiser la foi orthodoxe, a en
faire-forte de l'appui, sur ce point, de certains theologiens orthodoxes
latinophrones- un theologoumenon (c'est-a-dire une simple opinion
theologique n'ayant pas valeur de dogme).
Elle cherche dans le meme temps a rendre acceptable aux orthodoxes la
doctrine latine du Filioque:
a) en tentant de lui faire admettre qu'il s'agit la d'un point de vue
complementaire de celui de la tradition cappadocienne (faussement isolee
du reste de la Tradition orthodoxe) et non pas incompatible avec elle;
b) en affirmant l'identite fondamentale de l'affirmation latine que «le
Saint-Esprit procede (procedit) du Pere et du Fils» comprise dans un
sens filioquiste et de l'affirmation, que l'on trouve chez les Peres
grecs, que le Saint-Esprit procede (ou sort: ðñïúÝíáé) du Pere par le
Fils», faussement interprete dans le meme sens filioquiste.
Le point de vue de la «Clarification» reste pour une grande part un
point de vue essentialiste dans la continuite des conciles de Lyon et de
Florence et reste incompatible dans son expression actuelle avec la foi
orthodoxe.
Ce point de vue reste tributaire des confusions qui sont a la base de la
theorie filioquiste «traditionnelle»:
a) la confusion des proprietes hypostatiques et des proprietes de
l'essence (bien que cette confusion se trouve dans la «Clarification»
attenuee par rapport a ses expressions anterieures);
b) la confusion des proprietes hypostatiques entre elles;
c) la confusion entre le plan theologique de l'origine du Saint- Esprit
et le plan economique de son envoi, de sa mission, de sa communication,
de son don dans la creation; de cette confusion resulte une mauvaise
interpretation d'une partie des textes patristiques cites, les formules
que les Peres utilisent dans un sens economique etant faussement
comprises dan un sens theologique;
d) la confusion de l'essence et des energies divines qui fait rapporter
a l'essence divine ce qui concerne les energies, lesquelles rayonnent et
sont manifestees eternellement «autour de l'essence», ou sont
communiquees au sein de la divinite du Pere par le Fils, ou du Pere et
du Fils, au Saint-Esprit; de cette confusion resulte une mauvaise
interpretation d'une autre partie des textes patristiques cites, les
formules que les Peres utilisent en ayant en vue la communication des
energies divines (designees par les Peres orthodoxes tant latins que
grecs sous des formes differentes, mais equivalentes) etant faussement
comprises comme «une communication de la divinite consubstantielle»,
soit de l'essence divine elle-meme, du Pere par le Fils, ou du Pere et
du Fils au Saint-Esprit.
Bien que l'affirmation que «le Saint-Esprit procede du Pere et du Fils»
soit etrangere aux Peres grecs, les theologiens orthodoxes ont fait de
gros efforts pour definir des conditions de recevabilite d'une telle
formule, en considerant notamment ce qui pouvait la rapprocher de
l'affirmation, que l'on trouve chez les Peres grecs, que «le
Saint-Esprit vient du Pere par le Fils», au risque d'exagerer
l'importance de cette derniere formule (dont les occurrences dans les
textes patristiques restent somme toute assez rares) et au risque aussi
de laisser a l'arriere- plan l'immense majorite des textes excluant
l'intervention du Fils dans la procession du Saint-Esprit.
Acceptant de reconnaitre que ces deux formules peuvent avoir un sens non
seulement economique (sens cependant le plus frequent) mais aussi
theologique, la theologie orthodoxe ne peut aller plus loin que de
considerer que ce sens theologique concerne les energies divines.
Le dialogue entre l'Eglise orthodoxe et l'Eglise catholique est jusqu'a
present reste bloque sur ce point parce que la triadologie de l'Eglise
catholique est pour l'essentiel fondee sur la theologie augustinienne et
sur la theologie thomiste. Or la distinction entre l'essence et les
energies divines (qui, rappelons-le, a ete dogmatisee par plusieurs
conciles de l'Eglise orthodoxe et est donc consideree par elle comme une
verite de foi) est exclue par les principes memes de la theologie
augustinienne et de la theologie thomiste, qui -quoique pour des raisons
differentes- affirment toutes deux l'identite de l'essence et des
energies divines: la theologie augustinienne adopte sur ce point les
positions eunomiennes(167), tandis que la theologie thomiste prend pour
base la metaphysique aristotelicienne qui definit Dieu comme «acte pur»
et affirme l'identite en lui de l'essence et de l'energie.
Pour autant que l'Eglise catholique veuille conserver le «Filioque» en
lui donnant un sens acceptable pour la theologie orthodoxe, une
evolution de sa triadologie et un rapprochement veritable de celle-ci
avec la triadologie orthodoxe ne seront possibles que lorsque les
theologies augustinienne et thomiste auront perdu leur hegemonie en son
sein, autrement dit lorsque la theologie latine aura retrouve et
revalorise, en les interpretant dans leur perspective propre (et non a
travers des grilles de lecture augustinienne ou thomiste) les autres
courants theologiques appartenant a sa tradition et se revelant
profondement en accord avec la pensee des Peres grecs. Un espoir se
dessine par la perte d'influence de la theologie thomiste au cours de
ces dernieres decennies et par le recul critique que prennent de plus en
plus de theologiens catholiques vis-a-vis de l'augustinisme, mais aussi,
et plus positivement, par l'attention depassionnee que des patrologues
et theologiens catholiques de grande envergure portent a la theologie
palamite en constatant que celle-ci se situe dans la continuite
traditionnelle de la theologie des Peres grecs anterieurs, dont elle ne
fait qu'expliciter et souligner certains principes(168).
NOTES
1. «Le sens de 1a procession du Saint-Esprit dans 1a tradition latine du
premier millénaire», Contacts, 23, 1971, p. 283-309; «Procession et
ekporèse du Saint-Esprit», Istina, 1972/3-4, p. 345-366 (reprend et
développe Ι'article précédent); «Point de vue catholique sur 1a
situation actuelle du problème du Filioque», dans L. Visher (éd), La
théologie du Saint-Esprit dans le dialogue entre l'Orient et l'Occident
(Document Foi et Constitution no 103), Paris, 1981, p. 165-178;
«Réflexions d'un théologien catholigue sur le «Filioque», dans Le II
concile œcuménique, Signifιcation et actualité pour le monde chrétien
d'aujourd'hui, Chambésy-Genève, 1982, p. 289-298. Ces trois derniers
articles sont repris dans L'Esprit qui «Père!» et le problème du
Filioque, Paris, 1981, avec un article qui les précédait et ébauchait
déjà leur thèse centrale: «Théologie et monarchie, L'entrée dans le
mystère du "sein du Père"», Istina, 15, 1970, p. 435-465.
2. Voir Μoine Hi1arion, «La question du Filioque et de la procession du
Saint-Esprit», Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe
occidentale, 75-76, 1971, p. 171-178;
3. «Ne manquons pas aux bienséances pour des querelles de mots»,
Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 75-76,
1971, p. 179-190. O. Clément écrivait notamment «Je tiens ce jeune moine
pour un génie théologique»; «en ce qui concerne son article sur le
Filioque, oui, à quelques détails près, je suis d'accord» (p. 187-188).
4. «Grégoire de Chypre, "De l'ekporèse du Saint-Esprit"», p. 443- 456.
5. Voir L. Ouspensky , «Quelques remarques à propos d'articles récents
sur la procession du Saint-Esprit», Bulletin orthodoxe, Nouvelle série,
5-7, 1973; Moine Hilarion, «Réflexions d'un moine orthodoxe à propos
d'un "Dossier sur la procession du Saint-Fsprit", publié récemment»,
Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 81-82,
1973, p. 8-34; Hiéromoine Athanase Jevtich, «Introduction à la théologie
du Saint-Esprit chez les Pères Cappadociens», Messager de l'exarchat du
Patriarche russe en Europe ocidentale, 83-84, 1973, p. 145-161;
Archiprêtre V.Palachkovsky, «La controverse preumatologique», Messager
de l'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 85-88, 1974, p.
71-98; Archimandrite Amphilochios Radovitch, «Le Filioque et 1'énergie
incrée de 1a Sainte Trinité selon la doctrine de saint Grégoire
Palamas», Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe
occιdentale, 89-90, 1975, p.11-44; «Le mystère de la Sainte-Trinité
selon saint Grégoire Palamas», Messager de l'exarchat du Patriarche
russe en Europe ocidentale, 91-92, 1975, p. 159-170.
6. Voir «Du personnalisme en pneumatologie», Revue théologique de
Louvain, 6, 1975, p. 3-30, repris dans Patrologie et œcuménisme,
Louvain, 1990, p. 396-423.
7. Ιl s' agit de 1'article du Moine Hilarion cité à 1a note 5.
8. «Du personnalisme en pneumatologie», p. 19 (412).
9. «On retrouve tout l'essentiel des recherches du Père Garrigues dans
1a note du 13 septembre» («Liminaire», Contacts, 48, p. 3).
10. Contacts, 48, 1996, p.3.
11. Ibid, p. 2.
12. Notamment ceux de Bari, 1098 (Mansi, t. 20, col. 947-952); du
Latran, 1215 (Denzinger 800, 805); de Lyon, 1274 (Denzinger 850); de
Florence, 1439 (Denzingeτ 1300-1301).
13. «Clarification», p. 941b.
14. «Vers une vision commune du Mystère trinitaire», p. 89.
15. Ainsi, lorsque, au plus fort de la polémique sur le Filioque,
certains théologiens latins accusaient les Grecs d'avoir enlevé le
«Filioque» du Symbole de foi.
16. «Réflexions d'un théologien catholique sur le Filioque», p. 168.
Souligné par nous.
17. De Trinitate, XV, 25 PL 42, 1094-1095.
18. «Le Saint-Esprit, écrit Augustin, procède principellement
[principaliter] du Père et, par le don intemporel de celui-ci au Fils,
du Père et, le don intemporrel de celui-ci au Fils, du Père et du Fils
en communion [communiter]» (ibid). Saint Augustin explique le
Saint-Esprit procède du Père; mais il ajoute que «le Père a accordé au
Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme il procède de lui-même»
(Tract. in lo., XCIX, 9, PL 35, 1890 = De Trin., XV, 27,48 PL 42,1095;
voir aussi De Trin., XV, 26,47, PL 42, 1094-1095; XV, 1729, PL 42, 1081;
Tract. in lo., XCIX, 8, PL 35, 1890).
19. Traités apodictiques, Ι, 7-8, 11, 23, 28, 32-34, 37. Le texte grec
figure dans le tome 1 de l'édition P.Christou, Suggrammata,
Thessalonique, 1988. Ιl a été traduit en français sous le titre Traités
apodictiques sur procession du Saint-Esprit, Éditions de l'Ancre
[diffusion Cerf] Paris, 1995. Grégoire évitait l'ambiguité de Ιa
première formule latine en précisant que «l'Esprit Saint procède du Père
seul directement et sans médiation (προσεχώς και αμέσως)» (Traités
apodictiques, Ι, 7, éd. Christou, p. 34).
20. Denzinger 1331.
21. La «Clarification» citera elle même plus loin passage du Catéchisme
de l'Église catholique qui, peu après avoir affirmé «le caractère
d'origine première du Père par rapport à l'Esprit», affirme que
«celui-ci tire son origine du Père par le Fils» («Clarification», p.
943b; Catéchisme § 248).
22. C'est ainsi que les défenseurs latins du Filioque avaient l'habitude
d'interpréter les affirmations des Pères orientaux que «le Père est la
seule cause», du Saint-Esprit (voir J. Grégoire, «La relation éternelle
de l'Esprit au Fils d'après les écrits de Jean de Damas», Revue
d'histoire ecclesiastique, 64, 1969, p.717).
23. Β. de Margerie, «L'Esprit qui dit "Père» Orientalia christiana
periodica, 49, 1983, p.162. L'idée d'une compatibilité, aux yeux de la
théologie catholique romaine, entre le Filioque et l'affirmation que le
Saint-Esprit procède du Père seul est également développée par le même
auteur dans un autre article: «L'Esprit vient du Père par le Fils.
Réflexions sur le monopatrisme catholique», Orientalia christiana
periodica, 60, 1994, p. 337-362. Pour ce théologien, la finalité du
dialogue œcuménique et d'amener les orthodoxes à souscrire aux
définitions du concile de Florence (voir «L'Esprit qui dit "Père"», p.
156-157, 161).
24. Somme théologique, Ι.36.2.1, cité par Β.de Margerie, «L'Esprit qui
dit "Père"», p.162-163.
25. Cité dans son introduction par la Documentation catholique, no 2125,
(no) 5 novembre 1995, p. 941.
26. Voir p. 942b.
27. À savoir le articles du P. Garrigues, qui a significativement
reproduit ce texte dans le livre où il les a ressemblés (L'Esprit qui
dit «Père» et le problème du Filioque, Paris, 1981, p. 117-125).
28. «Instruction pastorale de l'episcopat catholique de Grèce», Les
Quatre fleuves, 9, 1979, p. 75-78.
29. Cités à 1a note 1.
30. Loc. cit., p. 76-78.
31. «Clarification», p. 941b.
32. Ibid., p. 942a.
33. Ibid, p. 942b.
34. Nous y reviendrons ci-dessous.
35. «Clarification», p. 942b.
36. Ibid., p. 943b; Catéchisme § 248.
37. «Clarification», p. 942a.
38. Ibid, p. 942b-943a.
39. Ibid, p. 943a. La «Clarification» cite ici un passage de saint
Cyrille lui paraissant aller dans ce sens (Thesaurus, PG 75, 585A).
40. «Clarification», p. 943a.
41. Ibid, L'expression figurait déjà dans le Catéchisme de l'Église
catholigue (§ 248) et de multiples fois dans le artieles du P. Garrigues.
42. «Clarification», p. 943a.
43. Ibid.
44. Th. Pol.,X=Lettre à Marin de Chypre, PG 91,136AΒ.
45. «Clarification, p. 943b. Denziger 805.
46. «Clarification, p. 943b. Denziger 850.
47. «Clarification, p. 943b. Denziger 804.
48. «Clarification», p.943b; Catéchisme 248.
49. Le cardinal von Schönborn, actuellement archevêque de Vienne est en
effet, avec le cardinal Ratzinger (bien connu au sein du catholicisme
comme un rigoureux gardien du dogme), le principal rédacteur du
Catéchisme de l'Église catholique. Rappelons que C. von Schönborn fut, à
l'Institut catholique de Paris, le disciple du Père J.-Μ.Le Guillou et
le condisciple du Père J.-Μ. Garrigues.
50. Comme A. de Halleux , «Du personnalisme en pneumatologie», Revue
théologique de Louvain, 6, 1975, p. 3-30.
51. Voir J.- Μ.Garrigues «Point de vue catholique sur la situation
actuelle du problème du Filioque», p.165-178.
52. Comme O. Clément , à en juger par les modifications apportées à la
section intitulée «Le problème du Filioque» dans l'édition de 1991 de
L'Église orthodoxe, p. 55-77. Voir aussi Β.Βobrinskoy , Le mystère de la
Trinité, Paris, 1986, p. 305.
53. Comme le note le P. Β. Βobrinskoy , «Vers une vision commune du
Mystère Trinitaire», p. 89.
54. «Point de vue catholique sur la situation actuelle du problème du
Filioque», p. 167 s.; «Réflexions d'un théologien catholique sur le
Filioque», p. 293 s.
55. Que le maître du P. Garrigues, le P. J-Μ. Le Guillou a remises en
lumière, dans une perspective qui n'était évidemment pas innocente, en
les plaçant en tête du dossier sur le Filioque qu'il a constitué pour la
revue Istina, 17, 1972, p. 271-272. Le passage concerné des «Thèses» est
cité par J.-Μ. Garrigues , «Point de vue catholique sur la situation
actuelle du problème du Filioque», p. 167-168. Dans son rappel des
principaux contributeurs au débat sur le Filioque depuis le début du
siècle, le P.A. De Halleux présente Β. Βolotov comme le principal
représentant du «courant unioniste» russe («Du personnalisme en
pneumatologie», p. 4 [397], n. 3).
56. «Clarification», p. 944a.
57. Dans le commentaire qu'il fait de la «Clarification», J.-Μ.
Garrigues souligne d'ailleurs l'accord de cet argument avec la
conception de saint Augustin, d'une part, et avec les définitions des
conciles de Lyon ΙΙ et de Florence, d'autre part («La Clarification sur
Ιa procession du Saint-Esprit et l'enseignement du concile de Florence»,
Irénikon, 68, 1995, p. 503).
58. Voir J.-Μ. Garrigues , «Réflexions d' un théologien sur le
Filioque», p. 289-298.
59. «Clarification», p.944a.
60. Ibid. Souligné par nous.
61. Ibid.
62. La «Clarification» donne une citation de saint Jean Damascène p. 944a.
63. «La Clarification sur la procession du Saint-Esprit et
l'enseignement du concile de Florence», p.501-506.
64. «Clarification», p. 944a.
65. Ibid.
66. Ibid.
67. Ibid, p. 944b.
68. Th.Pol., X, PG, 91,133D-136c.
69. Voir infra et le long commentaire que nous fait du texte de Maxime
dans notre livre Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et
l'Occident, Paris, 1998, chapitre 2: «La question du Filioque».
70. «Du personnalisme en pneumatologie», p.20.
71. Par exemple saint Jean Damascène utilise εκπορεύεσθαι pour signifier
la venue du Saint-Esprit à partir du Père par le Fils dans un sens
économique (De fide orth., I, 12, PTS 12, p.36), de même que saint
Maxime le Confesseur (Thal, LXII, PG 90, 672C, CCSG 22, p. 155). Le mot
peut avoir un sens beaucoup plus large encore comme le souligne saint
Grégoire Palamas en citant des passages de l'écriture où il est utilisé
dans les sens les plus variés (Traités apodictiques ΙΙ, 73-74).
72. Ainsi non seulement saint Cyrille d'Alexandrie dit tenir προχείσθαι
pour un équivalent de εκπορεύεσθαι (Ep., IV, PG 77, 316D), mais saint
Grégoire de Nazianze utilise προϊέναι pour dire que le Saint-Esprit
tient du Père seul son existence personnelle (Disc.,XX, 11, SC 270,
p.78; XXX, 19, SC 250, p. 266; XXXΙX, 12, SC 3589, p.174), de même que
saint Cyrille d' Alexandrie (loc. cit.).
73. «Du personnalisme en pneumatologie», p. 22.
74. Le mystère du Père, Paris, 1973, p. 59-130. Voir A.De Halleux, «Du
personnalisme en pneumatologie», p.23: «Le P.Garrigues semble devoir son
appréciation péjorative de la théologie cappadocienne au P. Le Guillou,
lui-même inspriré en partie par la thèse du P.A. Malet sur saint Thomas
d'Aquin».
75. On peut se demander cependant dans quelle mesure la triadologie de
Tertullien, élaborée pour l'essentiel durant sa période montaniste, a
pour la tradition latine elle-même une valeur normative.
76. Voir notre livre Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et
l'Occident Paris, 1998, chapitre 2: «La question du Filioque».
77. Voir ibid Signalons que la critique moderne a établi que la Lettre
de Léon le Grand à Turribius d'Astroga (Denzinger 284), régulièrement
citée par les partisans du Filioque (et par la «Clarification») comme
une référence patristique majeure a été composée par un faussaire après
le concile de Braga (563) (voir A. Κustle , Antipriscilliana, Fribourg
1905, p.126, signalé et admis par l'introduction de Denzinger 284).
78. Voir par exemple saint Jean Damascéne , De fide orthodoxa, Ι,8, PG
94, 817-820, PTS 12, p.24: «seul le Saint-Esprit, procédant de l'essence
dur Père, n'est pas engendré mais procède (μόνoν το πνεύμα το άγιoν
εκπoρευτόν εκ της oυσίας τoυ πατρός ου γεννώμενoν αλλ' εκπoρευόμενoν).»
79. Maxime le Confesseur, Th. Pol., XXXΙΙΙ, PG 91, 264A. Jean Damascène
De fιde orth., ΙΙΙ, 9, PG 94, 1016-1017, PΤ'S 12 p. 128.
80. On peut encore noter à ce propos ce que dit V. Lossky: «Si les
personnes existent, c'est justement parce qu'elles ont la nature; leur
procession même consiste à recevoir la nature du Père» (Théologie
mystique de l'Église d'Orient, Paris, 1944, p. 61).
81. Chez saint Basile de Césarée, Ep., XXXVIII, 4, éd. Courtonne, t. Ι,
p. 85.
82. Voir par exemple Grégoire de Νazianze , Disc., XX, 7, SC 270, p. 70;
XXΙ, 14, SC 250, p. 302-304.
83. Ainsi saint Jean Damascène écrit: «Le Père a l'être par lui-même et
il ne tient d'un autre rien de ce qu'il a. Au contraire, il est la
source et le principe pour tous de leur nature et de leur manière
d'être. [...] Donc tout ce qu'ont le Fils et l'Esprit et leur être même,
ils le tiennent du Père» (De fίde orth., Ι, 8, PTS 12, p. 26).
84. Saint Marc d'Éphèse, ayant sans doute en vue une théorie analogue à
celle du P. Garrigues et de la «Clarification» aνancée par les Latins de
son époque, avait pris soin de préciser: «Ce n'est pas du Fils que
l'Esprit Saint tire Son existence ni qu'il recoit Son être (ουκ άρα εκ
τoυ Υιού υφέστηκεν oυδέ τo είναι έχει το Πνεύμα το άγιον)», le premier
terme se référant à l'hypostase et le second à l'essence (Conf. fιdei,
Ι, PO XVII, p. 438 [300]).
85. De Spir. Sanct., XVIII, 45, SC 17bis, p. 408.
86. Τhal., LXIII, PG 90, 672C, CCSG 22, p.155.
87. Dial. contr. Μanich., 5, PG 94. 1512Β. PΤS 22. p. 354.
88. De fide orth., I,12, PG 94, 848D-849A, PTS 12, p. 36.
89. De Spir. Sanct., XVIII, 46, SC l7bis, p. 408.
90. «Point de vue catholique sur 1a situation actuelle du problème du
Fίlioque», p. 170-171.
91. Que nous avons commentés dans notre étude: Maxime le Confesseur,
médiateur entre l'Orίent et l'Occident, chapitre 2: «La question du
Filioque».
92. Thaλ, LXII, PG 90, 672C-D CCSG 22, p.155.
93. On trouvera un commentaire détaillé de ce texte et des autres textes
de Μaxime sur le même sujet dans notre étude: Maxime le Confesseur,
médiateur entre l'Orient et l'Occident, chapitre 2: «La question du
Filioque».
94. Voir notre article: «Nature et fonction de la théologie négative
selon Denys l'Aréopagite», Le Messager orthodoxe, 116, 1991, p. 4-7.
95. Dial. contr. Μanich., 5 PG 94, 1510C-1512A, PTS 22, p.354.
96. Voir A. De Halleux , «"Manifesté par le Fils". Aux origines d'une
formule pneumatologique», Revue theologique de Louvain, 20,1989, p.3-31,
repris dans A. de Halleux , Patrologie et œcuménisme, Leuven, 1990,
p.338-366.
97. Voir A. De Halleux , «Cyrille, Théodoret et le Filioque», Revue
d'histoire ecclésiastique, 74, 1979, p. 597-625.
98. Comme nous l'avons montré dans notre étude: Maxime le Confesseur
médiateur entre l'Orient et l'Occident, chapitre 2: «La question du
Filioque».
99. Ainsi les théologiens de toutes confessions réunis à Klingenthal
(23-27 mai 1979) à l'initiative de la commission «Foi et Constitution»
du C.O.E., ont officiellement adopté l'idée, fortement soutenue par le
P.Garrigues dans la communication qu'il a présentée lors de cette
réunion, que «l'Esprit procède du Père qui engendre le Fils». Se
référant à cette réunion, O. Clément note: «Un accord semble possible
par le rapport des relations toujours uni-trinitaires en Dieu,
c'est-à-dire par l'affirmation que l'Esprit procède du Père du Fils»
(L'Église orthodoxe, Paris, 1991, p.57).
100. Traités apodictiques, I, 21, éd. Christou, Suggrammata, t.1, p. 50.
101. Pseudo-Denys, De divinis nominibus, ΙΙ, 8, PG 3, 645C.
102. Ce reproche était déjà fait aux Latins par Nil Cabasilas, Sur la
procession du Saint-Esprit Ι, 33.
103. «Clarification», p. 944a.
104. Voir notamment le longues démonstrations de saint Grégoire Palamas,
Traités apodictiques, Ι, 23, 26, 28, 32-37.
105. Cela est souligné et démontré maintes fois, contre les positions
latines, par Grégoire Palamas , Traités apodictiques, Ι, 7, 8, 11, 18,
23, 26, 28, 32, 33, 37; ΙΙ, 20, 50, 52, 55, 56, 70, 75, 76, 81. Grégoire
se réfère aux enseignements de Pères grecs qui l'ont précédé, rappelant
notamment cette remarque de saint Grégoire de Nysse: en ce qui concerne
les personnes humaines, «les causes sont nombreuses et différentes»,
mais «il n'en va pas de même en ce qui concerne la Sainte Trinité. Car
il y a une seule et même personne, celle du Père, de laquelle le Fils
est engendré et dont l'Esprit procède» (Ad Graecos Ex communibus
notionibus, PG 45, 180BC, GNO ΙΙΙ,1, p.25).
106. Cette objection s'applique plus encore a la conception filioquiste
la plus stricte selon laquelle le Saint-Esprit recevrait du Père et du
Fils ensemble, non seulement la nature divine mais son hypostase.
107. «Clarification», p. 943b.
108. Ce qui retient la théologie latine de tirer une telle conséquence
est qu'elle considère l'ordre: Père-Fils-Saint-Esprit comme un ordre
d'origine des personnes (et non comme la théologie orthodoxe, de leur
manifestation) devant être absolument respecté.
109. «Clarification», p. 942b-943a.
110. Thesaurus, PG 75, 585A.
111. «Clarification», p.943a.
112. Souligné par nous.
113. Nous en avons cité et commenté un certain nombre dans notre étude
Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et l'Occident Paris,
1998, chapitre 2: «La question du Filioque».
114. Voir l'excellente étude de A. De Halleux , «Cyrille, Théodoret et
le Filioque Revue d'histoire ecclésiastique, 74, 1979, p.597-625.
115. Nous rejoignons leur avis dans les commentaires des textes de
Cyrille que nous proposons dans notre étude Maxime le Confesseur,
médiateur entre l'Orient et l'Occident, Paris, 1998, chapitre 2: «La
question du Fίlioque».
116. A. De Halleux , «Cyrille, Τhéodoret et le Filioque», p. 614; voir
le détail de l'argumentation p. 614-617. Voir aussi J. Μeyendorff, «La
procession du Saint- Esprit chez les Pères orientaux», Russie et
chrétienté, 2,1950, p. 164-165. Cyrille va jusqu'à comprendre l'ekporèse
elle-même dans un sens économique (cf. A. De Halleux, op. cit.,p.615).
117. A. De Halleux , op.cit., p. 614. Cette interprétation confirme
celle de J. Meyendorff, op. cit., p.164-165.
118. A. De Halleux, op. cit., p. 616.
119. Introduction à Cyrille d'Alexandrie, Dialogues sur la Trinité, t.
1, SC 231, p. 66.
120. P. 943a.
121. Note 4, p. 945a.
122. Lettres à Sérapion, ΙΙΙ, 1, PG 26, 625Β.
123. 624C-628A.
124. Lettres à Sérapion, ΙΙΙ, 2, PG 26, 628A. Souligné par nous.
125. Ibid, Ι, 20, PG 26, 577C-580A.
126. Note 4, p. 945a.
127. Traité du Saint-Esprit, 153, PG 34, 106A, SC 386, p. 284-286.
128. Note 2, p. 944b-945a.
129. De Trinitate, XΙΙ, PL 10, 471.
130. Ibid., VIII, 20, PL 10, 250C-252A.
131. De Spiritu Sancto, I, 11, 120, PL 16, 733A/762D.
132. Ibid, 11, 120, PL 16, 762C-763A.
133. La signification «économique» de ce passage est honnêtement
reconnue par Th. Camelot qui se montre pourtant un fervent partisan de
la dotrine latine du Filioque («La tradition latine sur la procession du
Saint-Esprit "a Filio" ou "ab utroque"», p. 185).
134. Alias Serm., 62 (LXXV), 3, SC 74, p. 146-147.
135. Serm., 62 (LXXV), 3, SC 74, p.146-147.
136. Cette distinction se retrouve très mettement dans le sermon suivant
où Léon écrit: «le cinquantième jour après la résurrection du Seigneur,
le dixième après son ascension, le Saint-Esprit promis et espéré fut
répandu sur les disciples du Christ. [...] Que les dons divins se
répandent donc dans tous les cœurs» (Serm., 63 (LXXVI), 1 SC 74, p.149).
Voir aussi ibid., 4 p.151: «Les bienheureux apôtτes eux-mêmes, avant la
Passion du Seigneur n'étaient pas privés du Saint-Esprit, pas plus que
la puissance de cette vertu n'était absente des œuvres du Sauveur».
137. Voir aussi Sernι., 63 (LXXVI), 1, SC 74, p.149: «L'immuable
divinité de cette bienheureuse Trinité est une dans sa substance,
indivisée dans son action (indivisa in opere), unanime dans sa νolonté,
pareille dans sa puissance, égale dans sa gloire». Cf ibid, 3, p.151.
138. «Εx eo quod» indique très clairement l'essence ou ce qui s'y
rapporte, et non pas les personnes comme voudrait le laisser supposer le
traducteur de l'édition des Sources chrétiennes, dans l'intention
probable de favoriser un interprétation filioquiste, en traduisant
inexactement: «à partir de ce qui est le Père et le Fils» (loc.cit, p.146).
139. Ce que reconnaît J.-Μ. Garrigues , «Procession et ekporèse du
Saint- Esprit», p. 356.
140. Citons à titre d'exemple cette remarque caractéristique que lorsque
le Christ souftlait sur ses Apôtres en leur disant «Recevez l'Esprit
Saint", «Ιl montrait ouvertement ce qu'il donnait par Sa spiration dans
le secret de la vie divine» (Cont. Μax., XIV, 1, PL 42, 770).
141. «Clarification», p. 944.
142. De Τrin., IV, 9,12, PL 42, 896.
143. Ibid., VI, 5, 7, PL 42, 928.
144. Serm., LXXI, 12, 18, PL 38, 454.
145. Ibid., 20, 33, PL 38, 463-464.
146. «Clarification» p. 945b, note 11.
147. Capita physica, XXXVI, PG 150, 1144D-1145A.
148. Voir le commentaire détaillé de cette formule palamite par Mgr
Amphilochios Radovitch, «Saint Grégoire Palamas et la doctrine du
Filioque», Le Messager orthodoxe, 110, 1989, p.76-79.
149. Voir J. Romanidis, Franks, Feudalism and Doctrine, Brookline, 1981,
p. 60-98.
150. Voir parmi les textes plus connus: De Trin., V,14, PL 42, 921; XV
17,29 PL 42, 1081; 26,47, PL 42, 1094-1095; Tract. in lo., XCIX, 8, PL
35, 1890; 67, PL 35, 1888-1889; Contr. Max., II, XIV, 1, PL 42, 770-771.
151. Voir notamment J. Romanidis, Franks, Romans, Feudalism and
Doctrine, p. 60-98.
152. Introduction à œuvres de Saint Augustin, 15, La Trinité, Paris
1955, p.22
153. Texte cité à la note 37.
154. «Clarification», p. 943a.
155. Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et l'Occident,
Chapitre 1: «La question du Filioque».
156. Professien de foi traditionnellement envoyée par le pape et les
patriarches à leurs pairs lors de leur élection.
157. Th. Pol., X= Lettre à Marin de Chypre, PG 91, 136AΒ.
158. Voir notre étude: Maxime le confesseur, médiateur entre l'Orient et
l'Occident, chapitre 2: «La question du Filioque».
159. Ibid
160. Comme le remarque le P. Placide Deseille , «Saint Augustin et le
Filioque», Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe
occidentale, 109-112, 1982, p.68-69.
161. Ad lo. diac., PL 129, 560-561A.
162. Th.Pol, X, PG 91, 136Β.
163. Notons en passant que dans un article postérieur à la publication
de la «Clarification», J.-Μ. Garrrigues évoque «les impasses de la
justification filioquiste scolastique», pour mieux se livrer à une
apologie de la triadologie thomiste («À la suite de la clarification
romaine: le Filioque affranchi du «filioquisme», Irénikon, 59, 1996, p.
189-212).
164. «Clarification», p. 943b. Voir aussi J.-Μ. Garrigues , «La
Clarification sur la procession du Saint-Esprit et le concile de Florence».
165. Voir A.Papadakis, Crisis in Byzantium. The Filioque Controversy in
the Patriarchate of Gregory of Cyprus (1283-1289), New-York, 1983.
166. «La Clarification sur la procession du Saint-Esprit et le concile
de Florence», p.502.
167. Voir J. Romanidis, Franks, Romans, Feudalism and Doctrine, p.77 s.
168. Nous avons en vue en particulier les travaux du cardinal C. Journet
(«Palamisme et thomisme», Revue thomiste, 60, 1960, p. 437-441, et du
P.A. de Halleux (voir notamment «Du personnalisme en pneumatologie»,
Revue théologique de Louνain, 6, 1975, p. 3-30).
LA QUESTION DU FILIOQUE
À PROPOS DE LA RÉCENTE «CLARIFICATION» DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA
PROMOTION DE L'UΝITÉ DES CHRÉTIENS From Θεολογία, τ.70, 1999
Dans son homelie du 29 Juin 1995 dans 1a basilique Saint-Pierre de Rome,
en presence du patriarche de Constantinople Bartholomee Ier, le pape
Jean-Pau1 ÉÉ a exprime le desir que soit clarifiee «la doctrine
traditionnelle du Filioque, present dans la version liturgique du Credo
latin, pour pouvoir mettre en lumiere sa complete harmonie avec ce que
le concile ?cumenique de Constantinople, en 381, confesse dans son
Symbole: le Pere comme source de 1a Trinite, seule origine du Fils et du
Saint-Esprit». Le 13 Septembre de 1a meme annee, le «Conseil pontifical
pour la promotion de l'Unite des chretiens» repondait a ce desir en
publiant dans l'Observatore romano une «Clarification» intitulee «Les
traditions grecque et latine concernant 1a procession du Saint-Esprit»
(texte traduit dans la documentation catholique n(o) 2125 du 5 Novembre
1995, p. 941-945).
Ce texte a suscite 1'enthousiasme et 1'adhesion immediate de theologiens
orthodoxes reput~s proches des positions latines. La Documentatßon
catholßque (n° 2130 du 21 Janvier 1996, p. 89-90) s'est empressee de
publier, sous le titre «Vers une vision commune du Mystere trinitaire»,
les r~flexions du P. Boris Bobrinskoy, oßé, bien que faisant part de
quelques r~serves, il affirme: , «Lisant ces lignes, on pourrait
s'etonner que 1a question reste encore posee d'un desaccord dogmatique
entre nos ~glises» (p. 89). Dans son êLiminaire» de 1a revue Contacts
(48, 1°~ trimestre 1996, p. 2-4), O. Clement considere, a propos de 1a
«Clarification» vaticane que «cette, note, admi- rablement argumentee,
pourrait bien marquer 1a fin de 1a querelle du Filioquem (p. 2) et
affirme: «Nous pouvons maintenant comprendre le Filioque dans 1a
perspective de 1'~glise indivise!» (p. 3).
É. HISTORIQUE DES POSITIONS EXPRIMEES PAR LA «CLARIFICATION».
L' accord d' O.Clement etait, peut-on dire, acquis d'avance. La
«Clarification» vaticane est en effet, dans son contenu, moins nouvelle
qu'on pourrait le croire, puisqu'elle est en realite une synthese d'une
serie d'articles du Pere J.-Ì. Garrigues o.p., dont le premier avait ete
publie par les soins d' O. Clement dans le revue Contacts il y a pres de
25 ans(1). Cet article avait suscite l'adhesion enthousiaste de
celui-ci, ce qui avait provoque une vive reaction(2) de la part de
theologiens du Patriarcat de Moscou (auquel O.Clement appartenait
alors), en reponse a laquelle O. Clement affirmait son soutien presque
total aux positions theologiques du P. Garrigues(3). L'article de
J.-Ì.Garrigues publie dans Contacts fut repris et developpe 1'annee
suivante dans un num;ro special d'Istina consacre a 1a question de 1a
procession du Saint-Espirit, ou figuraient egalement les «Theses sur le
Filioquem de Â. Bolotov et une contribution d' O. Clement fortement
marquee par les theses du P.Garrigues(4). Ce dossier donna lieu a un
renouvellement et a une amplification de la reaction critique
orthodoxe(5), mais provoqua egalement celle d'un patrologue catholique
repute pour sa competence, mais aussi pour sa rigueur intellectuelle
dans la pratique du dialogue ?cumenique, le P.Andre De Halleux(6).
Celui-ci n'hesitait pas a ecrire a propos du dossier d'Istina dont
l'article de J.-Ì. Garrigues constituait l'une des pieces maitresses:
«On n'a pas affaire ici a un veritable dialogue, mais plutot a un essai
d'annexion deguisee, dans la ligne des conciles unionistes du Moyen-age.
Aussi n'est-il pas surprenant que cette entreprise apologetique ait deja
provoque, du cote orthodoxe, une violente reaction(7) -et elle ne sera
probablement pas la derniere- contre ce que son auteur qualifie, non
sans raison, d' "integration de la doctrine orthodoxe dans la doctrine
catholique romaine"(8)».
Ayant bien percu que le P. Garrigues est l'inspirateur des theses
exprimees dans la «Clarification» vaticane(9), O.Clement lui renouvelle
son soutien dans son recent «Liminaire» de Contacts «je voudrais
souligner le travail admirable, souvent genial, realise par le Pere
Jean-Miguel Garrigues qui a dit la-dessus tout ce qu'il fallait dire. Je
n'aime pas beaucoup parler de moi, mais, pour une fois, je voudrais
rappeler que j'ai developpe -superficiellement sans doute, comme
d'habitude- des positions convergentes(10)». Dans le meme «Liminaire»,
O. Clement se montre depite que de cet evenement «d'une importance
reelle, peut-etre decisive», presque personne n'ait parle(11).
L'historique que nous avons presente permet de comprendre l'une des
raisons de ce silence du cote orthodoxe. Une autre raison en est sans
doute que ce texte de cinq pages, visiblement redige a la hate et
constitue pour l'essentiel d'une simple synthese d'articles preexistants
et dont le contenu avait deja fait l'objet d'un rejet de la part de bon
nombre de theologiens orthodoxes, d'une part ne saurait pretendre regler
un contentieux theologique qui dure depuis plus de dix siecles et a
connu des developpements extremement complexes, et d'autre part emane
d'une commission vaticane et n'est pas paree d'une autorite qui lui
donnerait un poids suffisant face a la multitude de documents
pontificaux et aux conciles(12) qui, dans l'Eglise catholique, ont erige
en dogme et confirme la doctrine latine du Filioque et qui, au sein de
cette meme Eglise, continueront a faire autorite tant qu'ils n'auront
pas ete remis en cause par des instances d'une nature equivalente.
II. L'ASPECT POSITIF DE LA «CLARIFICATION»
Él serait injuste cependant de considerer que 1a «Clarification»
vaticane n'apporte rien de nouveau.
On y trouve sans doute d'abord une tonalite nouvelle. La «Clarification»
temoigne de 1a volonte sincere qu'a exprimee le pape Jean-Paul ÉÉ dans
sa lettre encyclique Qu ils soient un et dans sa lettre apostolique La
lumiere de l'Ïrient, de voir pleinement considerees et valorisees les
Eglises orientales (meme si ces documents pontificaux presentent une
certaine ambiguite en ne distinguant pas bien les Eglises orthodoxes des
Eglises orientales unies a Rome), et dans le souci qu'il a manifeste
d'autre part d'un authentique rapprochement, 1a ou subsistent des
divergences, de l'Eglise catholique et de l'Eglise orthodoxe en vue de
leur re-union. Él s'agit ici moins de vouloir imposer a l'Eglise
orthodoxe 1a doctrine catholique du Filioque en 1a considerant comme
seule expression de la verite dogmatique (comme ce fut le cas dans les
derniers conciles «d'union»), que de lui faire reconnaitre 1a legitimite
d'une autre «approche» que 1a sienne et son caractere complementaire.
La «Clarification» fait un incontestable effort pour mettre en evidence
la reconnaissance par l'Eglise catholique de ce que l'Eglise orthodoxe
considere comme un principe intangible de sa foi: le fait que le Pere
est dans 1a Trinite la seule cause du Saint-Esprit. Les orthodoxes ne
peuvent que se rejouir de voir proclamer: «L'Eglise catholique reconnait
la valeur conciliaire ?cumenique, normative et irrevocable, comme
expression de l'unique foi commune de l'Eglise et de tous les chretiens,
du symbole professe en grec a Constantinople en 381 par le ÉÉ(e) concile
?cumenique. Aucune profession de foi propre a une tradition liturgique
particuliere ne peut contredire cette expression de 1a foi enseignee et
professee par l'Eglise indivise. Ce symbole confesse sur la base de Jn
15, 26 l'Esprit «ôï åê ôoõ ðáôñüò åêðoñåõüìåíoí» («qui tire son origine
du Pere»). Le Pere seul est le principe sans principe (áñ÷Þ Üíáñ÷ïò) des
deux autres personnes trinitaires, l'unique source (ðçãÞ) du Fils et du
Saint-Esprit. Le Saint- Esprit tire donc son origine du Pere seul (åê
ìüíoõ ôoõ ðáôñüò) de maniere principielle propre et immediate(13)».
Cette declaration parait de prime abord tout a fait satisfaisante au
regard de la foi orthodoxe et semble rallier ses expressions les plus
strictes. Ainsi le P.Boris Bobrinskoy note: «Quand le texte dit que "le
Saint-Esprit tire son origine du Pere seul de maniere principielle,
propre et immediate", n'y reconnait-on pas le langage du saint
Patriarche Photius qui affirmait, dans sa Mystagogie du Saint-Esprit que
le Saint-Esprit procede "du Pere seul"? Cette formule tellement decriee
par l'apologetique romaine fut suivie unanimement par toute la
dogmatique orthodoxe, depuis saint Gregoire Palamas, saint Marc d'Ephese
et jusqu'a nos jours(14)».
III. PREMIERES RESERVES
L'enthousiasme que peut manifester un lecteur orthodoxe a premiere
lecture doit cependant etre tempere.
On peut premierement remarquer que l'Eglise catholique, a de rares
exceptions pres(15), a toujours reconnu «la valeur conciliaire
?cumenique, normative et irrevocable, comme expression de l'unique foi
commune de l'Eglise et de tous les chretiens, du symbole professe en
grec a Constantinople en 381 par le deuxieme Concile ?cumenique», de
meme qu'elle a toujours reconnu 1a valeur normative et irrevocable des
definitions de foi des autres conciles que, en commun avec l'Eglise
orthodoxe, elle reconnait comme ?cumeniques. Les defenseurs latins du
Filioque ne voyaient pas la d'inconsequence puisque l'un de leurs
arguments habituels etait que le Filioque ne contredisait pas le Symbole
de la foi mais s'accordait au contraire avec lui, et en constituait une
simple explicitation; cette these a ete presentee recemment encore par
l'inspirateur de la «Clarification», le P.Garrigues, lorsqu'il appelait
cette derniere de ses voeux en indiquant quel devait etre son esprit:
«Él serait souhaitable que le pape et les eveques catholiques
rappellent, a la suite du pape Leon ÉÉÉ, que 1a version dogmatique du
Symbole de Nicee-Constantinople est l'original grec confesse par les
conciles et que celui-ci contient deja en lui la plenitude de 1a foi
catholique dans le Saint-Esprit dont le Fßlioque est une explication
latine qui ne pretend rien ajouter au dogme conciliaire(16)».
On peut deuxiemement remarquer que l'affirmation que «le Saint-Esprit
tire donc son origine du Pere seul (åê ìüíoõ ôoõ ðáôñüò) de maniere
principielle, propre et immediate» n'est pas, dans sa deuxieme partie,
sans ambiguite. Le «principiel» fait evidemment penser «principalite»
augustinien; rapprochement confirm/ par la reference explicite, quelques
lignes plus loin, a la formule celebre de l'eveque d'Hippone selon
laquelle «le Saint-Esprit tire son origine du Pere "principalßter"(17)».
Or cette affirmation n'empehe pas saint Augustin d'affirmer
conjointement (ce que la «Clarification» ne dit pas, mais permet a un
lecteur catholique de sous-entendre aisement) que le Saint-Esprit
procede du Pere et du Fils «communiter», ce qui justifie precisement le
Filioque(18).
L'affirmation que le Saint-Esprit procede du Pere seul d'une maniere
«immediate» parait egalement ambigue a qui connait la doctrine latine du
Fßlioque. Celle-ci en effet reconnait volontiers que le Saint Esprit
procede du Pere seul d'une maniere «immediate», mais cela ne l'empeche
pas d'affirmer conjointement (et la «Clarification» permet encore ici a
un lecteur catholique de le sous-entendre) que 1'Esprit- Saint procede
du Fils d'une maniere «mediate», autrement dit que le Fils est mediateur
dans la procession du Saint-Esprit. Saint Gregoire Palamas fut amene a
refuter a plusieurs reprises cet argument classique des Latins(19).
Les affirmations que «le Pere seul est le principe sans principe (áñ÷Þ
Üíáñ÷ïò) des deux autres personnes trinitaires, l'unique source (ðçãÞ)
et du Fils et du Saint-Esprit» et que «le Saint-Esprit tire donc son
origine du Pere seul», qui paraissent s'accorder parfaitement avec la
foi orthodoxe, ne sont elles-memes pas sans ambiguite sous 1a plume d'un
theologien catholique. En effet, l'affirmation que le Pere est «principe
sans principe» n'implique pas necessairement que le Saint-Esprit ait le
Pere comme unique principe, ni que le Fils ne soit pas pour le
Saint-Esprit lui aussi un principe, ayant recu du Pere d'etre principe
en commun avec lui: par exemple le concile de Florence (qui fut rejete
par les orthodoxes), aussitot apres avoir professe que le Pere «est
principe sans principe» affirme que le Fils «est principe (issu) du
principe», avant d'affirmer que le Pere et le Fils «ne sont pas deux
principes du Saint-Esprit mais un seul principe(20)». De meme
l'affirmation que le Pere est l'unique source du Saint-Esprit peut-elle
signifier que le Pere est la source premiere sans exclure que le Fils
soit source seconde: ainsi en est-il dans la doctrine filioquiste
classique, et deja dans le «principaliter» augustinien evoque ci-dessus(21).
L'affirmation que «le Pere est l'unique Cause trinitaire du
Saint-Esprit» appelle 1a meme remarque: elle peut sous-entendre en effet
que le Pere soit cause premiere et ne pas exclure que le Fils soit cause
seconde(22). Un theologien catholique qui a consacre une grande partie
de ses travaux a defendre la position filioquiste la plus traditionnelle
n'hesitait pas a ecrire recemment: «Nous pouvons reconnaitre ensemble un
sens tres juste de l'a Patre solo, en percevant l'immanence du Filioque
dans l'a Patre solo»(23). Et de se referer a cette remarque de Thomas
d'Aquin lui-meme: «Meme si le passage [de l'Ecriture] ou il est dit que
le Saint-Esprit procede du Pere portait cette clause qu'il procede du
Pere seul, le Fils n'en serait pas exclu pour autant(24).»
On pourra nous croire excessivement soupconneux et nous accuser de faire
a la «Clarification» un proces d'intention.
Mais la suite du document confirme malheureusement nos soupcons et nos
craintes puisqu'elle consiste precisement dans une tentative pour
concilier les affirmations precedentes avec la doctrine latine du
Filioque. Le desir du pape Jean-Paul ÉÉ que fut clarifiee «la doctrine
latine du Filioque, present dans 1a version liturgique du Credo latin,
pour pouvoir mettre en lumiere sa complete harmonie avec ce que le
Concile ?cumenique de Constantinople, en 381, confesse dans son
Symbol(25)», annoncait a vrai dire assez clairement 1a nature et 1a
finalite de 1'entreprise: montrer 1a compatibilit~ de 1a doctrine latine
du Filßoque avec le Symbole de Constantinople, finalite que 1a
«Clarification» assume parfaitement et reconnait clairement(26).
Celle-ci rappelle ainsi un document episcopal relativement recent qui se
proposait de montrer au clerge et aux fideles de l'Eglise catholique de
Grece, avec des arguments identiques puises visiblement a la meme
source(27), que la recitation du Credo sans le «Filioque» etait
parfaitement compatible avec la doctrine latine du Filioque et ne
signifiait nullement qu'on y renoncat(28)».
Él convient donc d'examiner les principaux arguments qu'avance la
«Clarification» en vue de parvenir au but qu'elle vise.
IV. LES ARGUMENTS DE LA «CLARIFICATION»
1. Les differences d'expressions linguistiques.
La «Clarification» reprend 1a theorie que le P. Garrigues avait elaboree
et exposee dans ses articles(29) (theorie qui fut reprise egalement par
l'«Instruction pastorale de l'episcopat catholique de Grece»(30)): la
divergence entre l'Eglise orthodoxe et l'Eglise latine sur la question
du Filioque ne serait pas une divergence proprement dogmatique, mais
tiendrait a un malentendu linguistique, dont l'elucidation permettrait
de constater que les deux Eglises confessent (et ont toujours confesse)
deux expressions complementaires de ce qui est au fond la meme foi, de
constater autrement dit que la doctrine latine du Filioque est au fond
compatible avec la foi exprimee dans le Symbole professe a
Constantinople en 381.
Selon cette theologie telle qu'elle est reprise par 1a «Clarification»,
les Peres grecs designeraient par le terme d'åêðüñåõóéò «la relation
d'origine de l'Esprit a partir du Pere seul», la distinguant de la
«procession que l'Esprit a en commun avec le Fils» qu'ils designeraient
par un autre terme: ôo ðñïúÝíáé(31). C'est «pour cette raison [que]
l'Orient orthodoxe a toujours refuse la formule ôï åê ôoõ Ðáôñüò êáé ôïõ
õéoý åêðoñåõüìåíoí(32)». Mais «si l' åêðüñåõóéò grecque ne signifie que
la relation d'origine par rapport au seul Pere en tant que principe sans
principe de 1a Trinite», «en revanche, la processio latine est un terme
plus commun signifiant la communication de la divinite consubstantielle
du Pere au Fils et du Pere par et avec le Fils au Saint-Esprit. En
confessant le le Saint-Esprit "ex Patre procedentem", les Latins ne
pouvaient donc que supposer un Filioque implicite qui serait explicite
plus tard dans leur version liturgique du symbole(33)». La
«Clarification» explique alors que la confession de ce Filioque dans le
Credo s'est repandue en Occident a partir du V(e) siecle. Les Byzantins
en furent choques losqu'ils en eurent connaissance, comme le montre un
episode datant du VII(e) siecle rapporte par saint Maxime le
Confesseur(34). Mais il y avait alors un malentendu, qui se renouvela
ulterieurement dans le refus des orthodoxes d'admettre le Filioque: en
voyant le ex Patre Filioque procedentem traduit en grec: ôï åê ôoõ
ðaôñüò êáé ôoõ õéïý åêðoñåõüìåíoí, les Byzantins rapportaient, selon
leurs habitudes verbales, le åêðoñåõüìåíoí a l'origine du Saint-Esprit
alors que les Latins avaient en vue «1a communication de 1a divinite au
Saint-Esprit a partir du Pere et du Fils dans leur communion
consubstantielle», ce qu'il aurait fallu rendre en grec non par
åêðïñåõüìåíïí mais par ðñïúüí. De leur cote les Latins etaient victimes
du malentendu oppose, puisque, de meme que Jn 15, 26 (ðáñÜ ôoõ ðaôñüò
åêðïñåýåôáé) avait ete traduit dans la Vulgate par «qui a Patre
procedit», le åê ôoõ ðaôñüò åêðïðåõüìåíïí du Symbole de
Nicee-Constantinople avait ete traduit par «ex Patre procedentem»; «il
se creait ainsi une fausse equivalence a propos de l'origine eternelle
de l'Esprit entre la theologie orientale de l'åêðüñåõóéò et 1a theologie
latine de la processio»(35).
Selon la «Clarification», qui suit toujours la theorie du P. Garrigues,
si elles ne sont plus faussement tenues pour des equivalents mais sont
referes a leur tradition theologique respective, l'åêðüñåõóéò grecque
(qui exclut le Filioque) et la processio latine (qui l'implique)
expriment deux points de vue legitimes et parfaitement conciliables,
parce qu'ils correspondent a des realites non pas exclusives mais
complementaires. La «Clarification» cite ici le Catechisme de l'Eglise
catholique (dont le maitre d'?uvre fut, rappelons-le, un proche du P.
Garrigues, disciple comme lui du P.J.-Ì. Le Guillou, Mgr Christoph íon
Schonborn, actuellement archeveque de Vienne): «Pour l'Eglise
catholique, la tradition orientale exprime d'abord le caractere
d'origine premiere du Pere par rapport a l'Esprit. En confessant
l'Esprit comme "tirant son origine du Pere"(åê ôoõ ðáôñüò åêðïñåõüìåíoí,
cl. Jn 15, 26), elle affirme que celui-ci tire son origine du Pere par
le Fils.
La tradition occidentale exprime d'abord la communion consubstantielle
entre le Pere et le Fils en disant que l'Esprit procede du Pere et du
Fils (Filioque). [...] Cette legitime complementarite, si elle n'est pas
durcie, n'affecte pas l'identite de 1a foi dans la realite du meme
mystere confesse»(36).
2. La presence de la meme conception que la tradition latine au sein de
la tradition orientale.
a)L'equivalence du διά τoυ υιoύ et du Filioque.
Selon la «Clarification» (de meme que selon le P.Garrigues) le point de
vue latin serait aussi celui d'une partie de la tradition orientale.
Elle cite des textes de saint Basile de Cesaree, de saint Maxime le
Confesseur, de saint Jean Damascene, ainsi que la profession de foi de
saint Taraise, qui affirment que l'Esprit Saint procede du Pere par le
Fils (äéÜ ôoí õéüí), les trois derniers textes utilisant meme le terme
åêðoñåõüìåíoí (åê ôoõ ðáôñüò äéÜ ôoõ õéoý åêðïñåõüìåíoí). La
«Clarification» note que cette formule exprime de maniere heureuse une
«relation eternelle entre le Fils et le Saint-Esprit a partir du Pere»
et suggere que cette relation serait la meme que celle qu'expriment les
Peres latins par le Filioque, «l'ensemble doctrinal» manifeste par les
textes precedemment cites «temoign[ant] de la foi trinitaire
fondamentale telle que l'Orient et l'Occident l'ont professee ensemble
pendant l'epoque des Peres»(37).
b) Accord de la tradition alexandrine avec la tradition latine.
La tradition alexandrine telle qu'elle s'exprime notamment a travers
deux de ses plus illustres representants, saint Athanase et saint
Cyrille, serait en accord plus explicite encore avec la tradition
latine. Immediatement apres avoir rappele que «le Filioque a ete
confesse en Occident a partir du V(e) siecle [...] pour affirmer la
consubstantialite trinitaire» puis s'y est progressivement repandu(38),
la «Clarification» affirme qu'«une theologie analogue s'etait developpee
a l'epoque patristique a Alexandrie a partir de saint Athanase» et que
«comme dans la tradition latine, elle s'exprimait avec le terme plus
commun de procession (ðñïúÝíáé) designant la communication de la
divinite au Saint-Esprit a partir du Pere et du Fils dans leur communion
consubstantielle»(39).
c) Accord de la tradition latino-alexandrßne avec la tradition
cappadocienne.
La «Clarification» distingue donc d'une part la tradition cappadocienne
pour laquelle le Saint-Esprit a son origine du Pere seul, et d'autre
part la tradition «latino-alexandrine»(40) pour laquelle le Saint-Esprit
procederait «du Pere et du Fils dans leur communion
consubstantielle»(41). Elle considere qu'il s'agit de deux
«approches»(42) differentes, mais qu'elles sont neanmoins non seulement
conciliables, mais complementaires. Selon la «Clarification», saint
Maxime «articule ensemble les deux approches -cappadocienne et
latino-alexandrine- de l'origine eternelle de l'Esprit: le Pere est le
seul principe sans principe (en grec áéôßá) du Fils et de l'Esprit; le
Pere et le Fils sont source consubstantielle de la procession (ôo
ðñïúÝíáé) de ce meme Esprit»(43), lorsqu'il ecrit dans son Opuscule
theologique et polemique X: «Sur la procession, ils [les Romains) ont
amene les temoignages des Peres latins, en plus, bien sur, de saint
Cyrille d'Alexandrie dans l'etude sacree qu'il fit sur l'Evangile de
saint Jean. A partir de ceux-ci ils ont montre qu'eux-memes ne font pas
du Fils la Cause (áéôßá) de l'Esprit -ils savent, en effet, que le Pere
est la Cause unique du Fils et de l'Esprit, de l'un par generation, de
l'autre par åêðüñåõóéò- mais ils ont explique que celui-ci provient
(ðñoúÝíáé) a travers le Fils et montre ainsi l'unite et l'immutabilite
de l'essence»(44). Él est a noter que c'est ce texte, rencontre par
J.-Ì. Garrigues lors de ses travaux sur saint Maxime, qui fut a
l'origine de sa theorie, exprimee dans ses differents articles que nous
avons cites, et reprise en substance par 1a «Clarification».
d) Accord des definitions du IV(e) concile du Latran (1215) et du
concile de Lyon (1274) avec la tradition «latßno-alexandrine».
La «Clarification» veut montrer que les definitions du IV(e )concile du
Latran (1215) et du concile de Lyon (1274) se situent dans la ligne de
cette tradition (et inversement contribuent a l'eclairer). Selon le
premier concile: «le Pere, en engendrant eternellement le Fils, lui a
donne sa substance. [...] Él est evident qu'en naissant le Fils a recu
la substance du Pere sans qu'elle fut aucunement diminuee, et qu'ainsi
le Pere et le Fils ont meme substance. Ainsi le Pere, le Fils, et le
Saint-Esprit qui procede a partir des deux, sont une meme realite»(45).
Selon le second concile evoque, «le Saint-Esprit procede eternellement
du Pere et du Fils, non pas comme deux principes, mais comme d'un seul
principe (tanquam ex uno principio)»(46). La «Clarification», se
souvenant que les definitions du concile d'union de Lyon furent refusees
par les orthodoxes et que la formule citee encourt l'objection de ces
derniers de faire proceder l'Esprit Saint de l'essence, veut interpreter
cette formule d'une part a la lumiere de la definition du concile du
Latran qu'elle cite auparavant (selon laquelle «la substance n'engendre
pas, n'est pas engendree, ne procede pas, mais c'est le Pere qui
engendre, le Fils qui est engendre, le Saint-Esprit qui procede, en
sorte qu'il y ait distinction dans les personnes et unite dans la
nature»(47)) et d'autre part selon l'interpretation du Catechisme de
l'Eglise catholique: «L'ordre eternel des personnes divines dans leur
communion consubstantielle implique que le Pere soit l'origine premiere
de l'Esprit en tant que "principe sans principe" ([concile de Florence]
Denzinger 1331), mais aussi qu'en tant que Pere du Fils unique il soit
avec lui "l'unique principe dont procede l'Esprit Saint" (ÉÉ(e) concile
de Lyon)»(48). On retrouve dans ce dernier texte, sous la plume de Mgr
Christoph von Schonborn(49), la tentative qu'avait faite son ami J.-Ì.
Garrigues pour rectifier dans sa forme une justification du Filioque
critiquee comme essentialiste non seulement par des theologiens
orthodoxes, mais par certains theologiens catholiquesh(50), et pour la
resituer dans un contexte personnaliste(51), tentative qui avait en son
temps trouve un echo favorable chez certains theologiens orthodoxes(52).
Sans entrer dans la reflexion critique sur ces arguments, on se
demandera, en passant, ce que vaut, d'un strict point de vue
methodologique, le procede consistant a interpreter un concile a la
lumiere d'un concile anterieur dont la visee et le contexte sont tout
autres. On constatera, d'autre part, en toute objectivite, que les
definitions du concile de Lyon subissent ici une edulcoration(53), de
meme que celles du concile de Florence. Le Catechisme et la
«Clarification» cherchent manifestement a donner une forme acceptable a
ces definitions dont ils savent qu'elles ont ete rejetees par les
orthodoxes en leur forme originelle, mais auxquelles ils ne sont
nullement disposes a renoncer.
4. La mediation du Fils dans la procession du Saint-Esprit.
La tentative que nous venons d'evoquer revient a justifier la mediation
du Fils dans la procession du Saint-Esprit a partir du Pere en utilisant
cet argument (longuement presente auparavant dans deux articles du Pere
Garrigues)(54): le Pere est Pere du Fils et a ce titre ne peut pas
impliquer le Fils quand il fait proceder le Saint-Esprit. Él est a noter
que cet argument, qui peut paraitre nouveau a ceux qui ne connaissent
pas les details de l'histoire de la controverse du Filioque, est en
realite un argument ancien, comme en temoinge la refutation qu'en fait
saint Gregoire Palamas dans ses Traites apodictiques. Él est a noter
aussi que cet argument a ete souvent utilise par les theologiens
«orthodoxes» latinophrones, et qu'on le trouve notamment dans les
«Theses sur le Filioque» de Â. Bolotov(55). Toujours est-il que la
«Clarification», sensible a l'echo positif que cet argument a (re)trouve
dans les milieux «orthodoxes» latinophrones actuels a la suite de sa
reprise et de son developpement par le P. Garrigues s'y arrete
longuement. Elle affirme ainsi de maniere tres nette que «dans l'ordre
trinitaire, le Saint-Esprit est consecutif a 1a relation entre le Pere
et le Fils puisqu'il tire son origine du Pere en tant que celui-ci est
le Pere du Fils unique»(56). On voit ici comment l'affirmation,
plusieurs fois repetee dans la «Clarification», que le Pere est 1a seule
origine du Saint-Esprit - affirmation qui, presentee d'abord de maniere
isolee semblait s'accorder avec la position orthodoxe- trouve ici ce qui
n'est pas seulement un complement, mais un correctif, qui clarifie» en
effet la facon dont elle etait des le depart entendue. Le Pere est la
seule source du Saint-Esprit, mais puisqu'il est Pere du Fils, il
implique necessairement le Fils quand il fait proceder l'Esprit, et donc
l'Esprit procede du Pere et du Fils: CQFD [ce qu'il fallait demontrer].
On retrouve ici la vieille conception filioquiste de la necessaire
mediation du Fils dans la procession du Saint-Esprit a partir du Pere(57).
La «Clarification» va meme plus loin, puisque, dans la logique de la
theorie du P.Garrigues qu'elle adopte(58), elle va jusqu' a subordonner
la relation de «parti-filiation du Pere avec le Fils» (le fait pour le
Pere d'engendrer le Fils et le fait pour le Fils d'etre engendre par le
Pere) au fait que le Fils contribuerait a faire proceder l'Esprit Saint:
«Le Pere n'engendre le Fils qu'en spirant (ðñïâÜëëåéí en grec) par lui
l'Esprit Saint, et le Fils n'est engendre par le Pere que dans la mesure
ou la spiration (ðñoâoëÞ en grec) passe par lui(59)»; «le Pere n'est
pere du Fils Unique qu'en etant pour lui et par lui l'origine du
Saint-Esprit(60)». Cette affirmation est reprise par la suite: «La
spiration de l'Esprit a partir du Pere se fait par et a travers (ce sont
les deux sens de äéÜ en grec) l'engendrement du Fils(61)». On voit
comment la «Clarification» a ici totalement perdu de vue la distinction
qu'elle avait etablie entre une pretendue approche cappadocienne et une
pretendue approche latino-alexandrine, pour retrouver un point de vue ou
ekporese a partir du Pere seul et procession a partir du Pere et du Fils
se trouvent confondues au profit de cette derniere, et pour retrouver
aussi 1a classique conception filioquiste qui pretend assimiler le äéÜ
ôoõ õéïý grec (ou encore l'affirmation patristique que le Saint- Esprit
repose dans le Verbe(62)) au Filiogue latin (assimilation qui depuis de
nombreux siecles beneficie, au sein de l'Eglise orthodoxe, de l'aíal du
courant latinophrone). Él est d'ailleurs significatif que, apres la
publication de la «Clarification», J.-Ì. Garrigues ait pu aisement
montrer a des lecteurs catholiques qui s'etaient inquietes d'une
certaine difference de vocabulaire entre la «Clarification» et les
definitions du concile de Florence, que, quant au fond, celle-la est en
accord avec celles-ci(63).
La «Clarification» affirme dans le meme temps et de maniere tout a fait
consequente dans le cadre de sa propre logique que «c'est dans l'Esprit
que [la] relation entre le Pere et le Fils atteint elle- meme sa
perfection trinitaire(64)», la spiration du Saint-Esprit a partir du
Pere «par et a travers l'engendrement du Fils» caracterisant cet
engendrement «de maniere trinitaire(65)». On voit pointer dans cette
idee une these classique des theologies augustinienne et thomiste, qui
trouvait son expression chez Augustin dans l'affirmation bien connue que
le Saint-Esprit est l'amour du Pere et du Fils. Et en effet la
clarification fait reference quelques lignes plus loin a «une tradition
remontant a saint Augustin», et evoque par 1a suite «l'amour divin qui a
son origine dans le Pere repose dans "le Fils de son amour" pour exister
consubstantiellement par celui-ci dans la personne de l'Esprit, le Don
d'amour(66)»; elle parle aussi par 1a suite du «caractere original de la
personne de l'Esprit comme Don eternel de l'amour du Pere pour son Fils
bien-aimeh(67)». Ces dernieres expressions montrent que la
«Clarification» situe sa conception dans l'ordre theologique, tout en
faisant apparaitre ses implications et ses prolongements dans l'ordre
economique, auquel renvoient tres clairement de nombreuses references
scripturaires. On voit apparaitre ici l'idee sous jacente a la doctrine
latine du Filioque selon laquelle l'ordre theologique se revele dans
l'ordre economique, et selon lequel l'ordre economique permet de
connaitre l'ordre theologique dont il est l'expression.
V. CRITIQUE DE LA THEORIE EÔ DES ARGUMENTS PRESENTES PAR LA «CLARIFICATION»
1. La difference des positions orthodoxe et catholique romaine ne
consiste pas en un simple matentendu linguistique.
La theorie linguistique elaboree par J.-Ì. Garrigues et reprise par la
«Clarification» est excessivement schematique et artificielle. J.-Ì.
Garrigues en a eu l'idee en lisant le passage de l'Opuscule theologique
et polemique X de saint Maxime le Confesseur ou celui-ci dissipe un
malentendu en incriminant «le fait [pour les Latins] de ne pouvoir
exprimer sa pensee dans d'autres mots et en une autre langue comme dans
les siens, difficultes que nous [les Grecs] nous rencontrons aussi», et
explique qu'en disant que «l'Esprit Saint procede aussi du Fils
(åêðoñåýåóèáé êáê ôoõ õéoý ôï ðíåýìá ôo Üãéïí)» (formule qui suscitait
la critique de certains Byzantins) le pape Theodore É(er) et les
theologiens de son entourage «n'ont pas fait du Fils la cause du
Saint-Esprit -car ils savaient le Pere cause unique de Celui-la selon la
generation et de Celui-ci selon la procession (êáôÜ ôçí åêðüñåõóéí)-,
mais qu'ils ont íoulu manifester le fait [pour l'Esprit] de sortir par
Lui [le Fils] (ôï äé'áõôoý ðñoúÝíáé)(68) J.-Ì. Garrigues en a tire la
conclusion que pendant des siecles un malentendu s'etait maintenu a
propos de la question du Filioque parce qu'une fausse equivalence
s'etait etablie entre l'åêðüñåõóéò greque et la processio latine, cette
derniere correspondant en fait au ðñïúÝíáé grec. En realite le
malentendu que dissipe Maxime ne se limite pas, loin de la, a un
probleme de vocabulaire(69), et a fortiori la controverse sur le
Filioque ne s'explique-t- elle pas et n'est-elle pas susceptible de se
resoudre en des termes aussi simples; penser le contraire, c'est faire
injure a la culture et a l'intelligence des th;ologiens des deux bords
qui pendant plus de douze siecles ont confronte de maniere detaillee
leurs positions sur ce sujet.
Cette theologie linguistique est particulierement reductrice et
simplificatrice. Un theologien catholique qui est 1'un des meilleurs
connaisseurs de la pensee et du vocabulaire des Peres, le P. Andre De
Halleux ecrit notamment a son propos: «La reconstruction historique du
P.Garrigues parait d'une ingeniosite trop artificielle pour etayer ses
conclusions doctrinales(70)». Nous voudrions simplement faire remarquer
qu'a la lecture des textes patristiques tant latins que grecs, le
vocabulaire ne parait pas aussi rigide que le pretend la «Clarification»
a la suite du P.Garrigues, mais possede au contraire une certaine
souplesse, et c'est justement ce qui rend parfois difficile
l'interpretation de certaines formules dont seul le contexte peut
permettre de determiner le sens. S'il est vrai que les mots grecs
åêðüñåõóéò et åêðoñåýåóèáé ont un sens plus restreint que les mots
latins processio et procedere et se rapportent le plus souvent a
l'origine de l'existence personnelle du Saint-Esprit a partir du Pere,
ils peuvent aussi, chez les Peres grecs, avoir un sens assez large et
servir a exprimer la procession du Saint-Esprit entendue dans une
perspective economique (celle de son envoi, comme don ou grace dans le
monde)(71) ou dans une perspective energetique (celle de sa
communication ou de son rayonnement eternels comme energie); inversement
les mots ðñïúÝíáé, ðñïÝñ÷åóèáé, ðñï÷åßóèáé, qui sont le plus souvent
utilises dans un sens economique ou energetique, peuvent aussi se
rapporter, sur le plan theologique, a l'origine personnelle du Saint-
Esprit(72). Quant au procedere latin, dont le sens est, il est vrai,
tellement large qu'il est parfois utilise pour designer l'engendrement
du Fils, il est evidemment employe aussi de maniere frequente par les
Peres latins dans un sens etroit correspondant au sens etroit de
l'åêðïñåýåóèáé grec.
La theorie, elaboree sur la base de la distinction linguistique
precedente, selon laquelle, sur le plan proprement theologique, les
termes åêðüñåõóéò et processio /ôo ðñoúÝíáé exprimeraient deux
traditions theologiques differentes et complementaires, n'est pas recevable.
1) Premierement, le sens le plus commun du ðñoúÝíáé grec, qui est
economique ou energetique, ne correspond pas au sens particulier du
procedere auquel la «Clarification», a la suite du P.Garrigues, entend
l'assimiler: celui d'une communication de consubstantialite, ou pour
parler plus clairement, d'une transmission de l'essence ou de la nature
divine du Pere et du Fils (ou par le Fils) au Saint-Esprit, les Peres
latins etant d'ailleurs loin de tous s'accorder sur ce sens du mot
procedere privilegie par la doctrine filioquiste.
2) Deuxiemement cette theorie suppose que chaque partie en cause ne
percoive qu'une partie de la verite, n'apprehende qu'un aspect de la vie
trinitaire et ignore l'autre: ainsi l'åêðüñåõóéò grec percevrait et
exprimerait la procession du Saint-Esprit selon l'hypostase (ou son
origine hypostatique) a partir du Pere, tandis que le procedere latin
percevrait et exprimerait sa procession selon l'essence ou la nature
divine a partir de Pere et du Fils. Outre ce que cette seconde
affirmation a de contestable en pretendant attribuer , aux Peres latins,
sous couvert d'uniformite linguistique, une conception que tous n'ont
pas partagee, une telle dissociation est irreelle. Les Pere grecs n'ont
aucunement separe 1a procession ou l'ekporese selon l'essence de
l'ekporese ou la procession selon l'hypostase, de meme que tous les
Peres latins n'ont pas separe 1a procession selon l'essence de la
procession selon l'hypostase. Comme l'ecrit le P. A. De Halleux: «si la
processio latine n'est pas synonyme de l'ekporese grecque, il ne
s'ensuit pas que chacun de ces concepts exprime exclusivement l'un des
deux aspexts complementaires du mystere, le premier portant sur la
communion consubstantielle et le second sur le caractere hypostatique.
Ce decoupage en definitions abstaites a peu de chance de traduire la
complexite vivante de la pensee patristique, pour laquelle la procession
connotait sans doute l'origine personnelle, et l'ekporese, la
participation essentielle. Pourquoi donc chacune des deux parties de la
chretiente n'aurait-elle saisi qu'une moitie du donne revele(73)»?
3) Troisiemement on retrouve dans cette theorie adoptee par 1a
«Clarification» la tendance a vouloir isoler la position des
Cappadociens en l'opposant a la tradition latine et a la tradition
alexandrine ces deux dernieres etant presentees non seulement comme
convergentes mais comme constituant une meme tradition de pensee
(lorsqu'on par le d'une tradition latino-alexandrine). La tendance a
isoler la tradition cappadocienne etait plus nette encore dans les
articles du P.Garrigues et etait poussee a l'extreme dans un livre de
son maitre le P. J.-Ì. Le Guillou qui ne cachait d'ailleurs pas son
hostilite a l'egard de cette tradition(74). En fait il y a un accord de
fond entre la position des Cappadociens et celle des grands Alexandrins
(meme si ceux-ci ont un vocabulaire souvent plus large, plus souple et
moins precis, et aussi plus essentialiste). En revanche, nous l'avons
deja signale, on ne trouve pas dans la tradition latine l'unanimite que
la «Clarification» y voit a la suite du P.Garrigues. L'idee d'une
procession du Saint- Esprit selon la substance ou la nature divine a
partir du Pere et du Fils se trouve bien en effet chez Augustin et ses
disciples, et avant Augustin chez un Pere latin a qui la triadologie
augustinienne doit beaucoup: Tertullien(75). Mais cette position, qui
non seulement est partielle -nous le concedons volontiers a la
«Clarification et au P. Garrigues- mais erronee, est loin d'etre
partagee par tous les Peres latins non seulement anterieurs, mais
posterieurs a Augustin (comme saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise
de Milan, et meme comme saint Leon le Grand et saint Gregoire le
Grand(76)). Et il est probable que la position latine que saint Maxime
le Confesseur defend comme orthodoxe dans son Opuscule theologique et
polemique X temoigne de l'existence, a son epoque, au sein de l'Eglise
latine, d'un courant theologique parallele au courant augustinien et en
desaccord avec lui(77).
2. Dissociation inacceptable de l'ekporese selon la personne et de la
procession selon Éa nature.
Él nous faut examiner ici plus longuement la dissociation qu'opere la
«Clarification» entre ekporese selon l'hypostase et procession selon la
nature -bien qu'elle s'exprime de maniere plus discrete et moins
tranchee dans sa terminologie que dans les articles du P.Garrigues dont
elle s'inspire - car elle est une piece maitresse de son argumentation.
On peut remarquer qu'une telle dissociation est en realite inexistante
non seulement entre la representation orientale et la representation
occidentale, mais au sein meme de la pensee des Peres grecs (et des
Peres latins qui sont en accord avec eux). Au plan proprement
theologique, le Saint-Esprit (de meme que le Fils) procede du Pere seul
non seulement selon l'hypostase, mais selon l'essence (ainsi les Peres
soulignent parfois ce dernier aspect en notant que le Saint- Esprit
procede «du Pere selon l'essence(78)». Él recoit du Pere seul son
essence en meme temps qu'il recoit de lui seul son hypostase. La
monarchie du Pere, sur laquelle insistent particulierement les
Cappadociens, signifie que le Pere est la seule source non seulement de
l'hypostase mais de l'essence des deux autres personnes trinitaires.
L'hypostase et la nature sont recues en meme temps et indissociablement
et par le Fils et par le Saint-Esprit. Selon un principe affirme par
saint Maxime et reaffirme par saint Jean Damascene, il n'y pas
d'hypostase sans nature ou sans essence(79). Quand les Peres disent que
le Saint-Esprit recoit du Pere son existence personnelle, ils
n'entendent pas par la qu'il recoive seulement son hypostase: il existe
a partir du Pere immediatement et indissociablement non seulement comme
Saint-Esprit mais comme Dieu, comme une personne de nature divine, comme
Saint-Esprit qui est Dieu(80). De meme quand les Peres affirment que le
Saint-Esprit recoit du Pere son etre (par exemple lorsque saint Gregoire
de Nysse ecrit que le Saint-Esprit «tient son etre [åßíáé] attache comme
a sa cause au Pere dont il procede(81)»), ils entendent a la fois et
indissociablement son hypostase et son essence. De meme donc que le Fils
est engendre du Pere seul directement et sans intermediaire, recevant du
Pere seul d'exister comme Fils different de lui et comme Dieu identique
a lui, le Saint-Esprit procede du Pere seul directement et sans
intermediaire, recevant du Pere seul d'exister comme Esprit different de
lui et comme Dieu identique a lui. La monarchie du Pere sur laquelle
insistent les Cappadociens signifie non seulement que le Pere est seul
principe et cause et du Fils et de l'Esprit Saint, mais qu'il est aussi
le seul principe de leur difference hypostatique (etant la cause du Fils
par engendrement et celle de l'Esprit par procession) et en meme temps
le seul principe de leur identite de nature(82), etant la seule source
de la divinite que l'un et l'autre recoivent de lui seul(83). On doit
seulement faire la distinction suivante: le Pere cause l'hypostase du
Saint-Esprit, tandis qu'il lui communique l'essence divine, de meme
qu'il cause l'hypostase du Fils et lui communique l'essence divine, car
sinon il serait la cause de sa propre essence, l'essence qu'il
communique a l'un et a l'autre etant la sienne. Mais cette distinction
n'enleve rien a la simultaneite des deux proces, ni surtout au fait que
c'est du Pere seul que le Saint-Esprit tient tant son essence que son
hypostase(84).
3. Affirmation inacceptable de la mediation du Fils dans la procession
du Saint-Esprit.
a. «L'Esprit Saint procede du Pere par le Fils».
La «Clarification» reprend l'argument filioquiste ancien d'une mediation
du Fils dans la procession du Saint-Esprit a partir du Pere. Dans la
ligne de la pensee filioquiste telle qu'elle s'est exprimee au concile
d'union de Florence, la «Clarification» affirme l'identite fondamentale
de l'expression latine «l'Esprit Saint procede du Pere par le Fils (äéÜ
ôoõ õéoý)». Les theologiens orthodoxes ont toujours refuse et refute une
telle identification, que les theologiens latinophrones ont cependant
ete portes a admettre, raison pour laquelle sans doute la
«Clarification» se risque a avancer de nouveau cet argument.
Elle le fait en s'appuyant sur trois citations patristiques. La premiere
est de saint Basile: «Par le Fils qui est un, [le Saint-Esprit] se
rattache au Pere qui est un, et complete la bienheureuse Trinite digne
de toute louange(85)». La deuxieme citation est de saint Maxime le
Confesseur: «Par nature le Saint-Esprit selon l'essence procede
substantiellement du Pere par le Fils engendre (ôo ãáñ ðíåýìá ôo Üãéoí,
þóôå öýóåé êáô'oõóßáí õðÜñ÷åé ôoõ èåïý êáé ðáôpüò, oýôùò êáé ôïõ õéoý
öýóåé êáô'oõóßáí åóôßí, ùò åê ôoõ ðáôñüò oõóéùäþò äé'õéoý ãåíínèÝíôoò
áöpÜóôùò åêðoñåõüìåíoí)(86)». La troisieme citation est de saint Jean
Damascene: «Je dis que Dieu est toujours Pere, ayant toujours a partir
de lui-meme son Verbe, et par son Verbe ayant son Esprit procedant de
lui (áåß çí Ý÷ùí åî áõôoý ôoí áõôïý ëüãoí êáé äéÜ ôoõ ëüãïõ áõôoý åî
áõôïý ôo ðíåýìá áõôoý åêðoñåõüìåíoí)(87). La «Clarification» renvoie a
un autre passage de saint Jean Damascene qu'elle ne cite pas mais qui
est le suivant: «C'est la meme intelligence, abime de raison [le Pere],
qui engendre le Verbe et projette, par le Verbe, l'Esprit manifestant
(äéÜ ëüãoí ðñoâoëåýò åêöáíôoñéêoý ðíåýìáôoò). [...] L'Esprit Saint est
la puissance manifestant le secret de la divinite procedant du Pere par
le Fils (åê ðáôñüò ìåí äé'õéïý åêðoñåõoìÝíç) comme lui-meme le sait, et
non par generation(88)».
Le texte cite de saint Basile ne nous parait pas pouvoir etre pris en
consideration dans ce contexte puisqu'il ne traite pas de la procession
du Saint-Esprit qui est un (c'est-a-dire independant selon son
hypostase) tout en etant uni au Pere et au Fils (selon la nature divine
commune). En revanche quelques lignes plus loin, lorsque saint Basile
parle de la procession du Saint-Esprit, il affirme tres clairement que
le Saint-Esprit procede du Pere seul: «on le dit etre de Dieu (le Pere]
(åê ôoõ Èåïý åßíáé), non point a le maniere dont toutes les choses
viennent de Dieu, mais en tant qu'il sort de Dieu [le Pere] (åê ôoõ Èåïý
ðáñåëèüí)(89)».
Le passage de saint Maxime cite par la «Clarification» avait ete maintes
fois presente par le P. Garrigues comme une justification exemplaire de
sa propre theorie; celui-ci considerait notamment que le Confesseur ici
«a reuni les deux intuitions [cappadocienne-orientale et
latine-alexandrine, qui s'expriment respectivement par les expressions
"par le Fils"et "Filioque"] en une seule formule d'une tres grande
densite(90)». Or ce texte, parmi d'autres textes ambigus de Ìaxime(91),
est celui qu'il ne fallait pas citer, car il est le moins apte au role
qu'on veut lui faire jouer: si tel qu'il est presente ici, hors de son
contexte, il peut certes faire illusion et paraitre confirmer tout a
fait la these du P. Garrigues reprise par la «Clarification», replace
dans son contexte il permet au contraire de la refuter. «Je comprends,
ecrit Maxime, qu'ici la sainte Ecriture parle des energies du
Saint-Esprit, donc des charismes de l'Esprit, qu'il appartient au Verbe
d'accorder a l'Eglise en tant que tete de tout le corps. «L'Esprit de
Dieu reposera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de
conseil et de force, esprit de connaissance et de piete; et il le
remplira d'esprit de crainte de Dieu» (Is ll, 2-3). Si la tete de
l'Eglise, selon la pensee de l'humanite, c'est le Christ, alors celui
qui par nature, en tant que Dieu, a l'Esprit, accorde a l'Eglise les
energies de l'Esprit. C'est en effet pour moi que le Verbe est devenu
homme, pour moi aussi qu'il a accompli tout le salut, qu'a travers ce
qui est mien il m'a attribue ce qui selon la nature lui etait propre.
Par ce qu'il a etant devenu homme et comme le tenant de moi, il
manifeste ce qui lui est propre, et il s'attribue a lui-meme la grace
qu'il me fait en tant qu'ami de l'homme, Él inscrit a mon propre credit
la puissance de vertus qui lui est propre par nature. A cause de quoi Él
est dit encore recevoir ce que par nature il possede sans commencement
et au-dela de toute raison. Car de meme que l'Esprit Saint existe selon
l'essence [comme Esprit] de Dieu le Pere, de meme par nature selon
l'essence est-il [Esprit] du Fils, en tant que procedant ineffablement
du Pere, essentiellement, par le Fils engendre, et donnant au
chandelier, c'est-a-dire l'Eglise, ses propres energies comme des
lampes(92)». Él est parfaitement clair a la simple lecture de ce texte
que le propos de Maxime se situe dans une perspective economique, et ne
concerne pas l'origine du Saint- Esprit au sein de la Trinite, mais sa
manifestation, sa communication, son don aux chretiens dans l'Eglise
comme grace ou - Maxime utilise le mot a plusieurs reprises- comme
«energie(93)».
C'est dans une perspective analogue -celle de la manifestation de
l'Esprit Saint comme energie- qu'il faut comprendre le passage du De
fide orthodoxa de saint Jean Damascene auquel renvoie la
«Clarification», puisque celui-ci parle tres clairement de «l'Esprit
manifestant», et precise plus loin que «l'Esprit Saint est la puissance
manifestant le secret de la divinite», le mot puissance (äýíáìéò) etant
un terme souvent utilise par les Peres grecs (notamment Denys
l'Areopagite(94)) pour qualifier les energies divines. Mais saint Jean
Damascene vise ici la manifestation des energies divines issues du Pere,
par le Fils dans le Saint-Esprit non sur le plan economique, dans la
creation, mais au sein de la divinite et autour d'elle. Tout le contexte
de ce passage est d'ailleurs «energetique», puisque le Pere lui-meme est
designe comme «soleil suressentiel, source de bonte, abime d'essence, de
raison, de sagesse, de puissance, de lumiere, de divinite, source
envoyant le bien cache en elle», et que le Fils est lui-meme designe
comme «verbe, sagesse, puissance et volonte» du Pere, noms qui designent
non des qualites propres a telle ou telle hypostase, mais des proprietes
de l'essence divine qui est commune aux trois personnes, qualites ou
attributs se communiquant comme energies d'une personne a l'autre (du
Pere, par le Fils, au Saint- Esprit) et se manifestant comme telles.
C'est sans doute dans le meme sens qu'il faut comprendre la formule de
saint Jean Damascene citee par la «Clarification»: «Je dis que Dieu est
toujours Pere, ayant toujours a partir de lui-meme son Verbe, et par son
Verbe ayant son Esprit procedant de lui», le texte du Contra manichaeos
dont est extraite cette phrase insistant bien par ailleurs sur le fait
que le Pere est seul principe et cause et du Fils et du Saint-Esprit:
«S'il y a trois hypostases, il y a cependant un seul principe. En effet,
le Pere est le principe du Fils et de l'Esprit, non selon le temps, mais
selon la cause. Car le Verbe et l'Esprit sont (issus) du Pere, mais
pourtant pas apres lui. Car de meme que la lumiere est (issue) du feu et
que le feu ne precede pas la lumiere dans le temps -il ne peut en effet
y avoir un feu qui ne soit pas lumineux, et le feu est le principe et la
cause de la lumiere qui est (issue) de lui-, de meme le Pere est-il la
cause du Verbe et de l'Esprit -en effet, le Verbe et l'Esprit sont
(issus) du Pere- sans qu'il precede dans le temps. Je confesse donc que
le Pere est l'unique principe et cause naturelle du Verbe et de
l'Esprit(95)».
On pourrait trouver d'autres textes des Peres ou est evoquee une
mediation du Fils dans la procession du Saint-Esprit, mais ou cette
procession est en fait la manifestation ou la communication des energies
divines, soit eternellement, au sein de la divinite et autour d'elle,
soit temporellement dans la creation. C'est le cas notamment chez saint
Gregoire de Nysse souvent cite a ce propos(96) , ou chez saint Cyrille
d'Alexandrie qui, malgre des expressions en apparence essentialistes,
s'accorde fondamentalement sur ce point avec la tradition
cappadocienne(97). C'est dans une perspective semblable que l'on peut
comprendre aussi les expressions apparemment filioquistes de certains
Peres latins comme saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise de Milan et
meme saint Leon le Grand et saint Gregoire le Grand(98), la ligne de
separation n'etant pas, comme le pense la «Clarification» a la suite du
Pere Garrigues entre la tradition cappadocienne et la pensee latino-
alexandrine, mais entre la tradition a laquelle appartiennent
fondamentalement les Cappadociens, les Alexandrins et les Peres latins
que nous avons evoques, d'une part, et la tradition de pensee issue de
Tertullien, d'Augustin puis de Thomas d'Aquin, d'autre part.
b. «L'Esprit-Saint procede du Pere du Fils».
La «Clarification» propose un autre argument en faveur de la mediation
du Fils dans la procession du Saint-Esprit. Cet argument, exprime de
differentes facons, revient, nous l'avons íu, a affirmer que le Fils
intervient necessairement dans la procession du Saint-Esprit du fait que
le Pere, qui est la source et le principe de la procession du
Saint-Esprit, est Pere du Fils. Cet argument qui, avons-nous remarque,
avait deja ete presente par Â.Bolotov (dont s'est inspire le P.
Garrigues) au debut de ce siecle, et s'est attire recemment encore la
sympathie de theologiens orthodoxes du courant latinophrone(99), etait
deja avance il y a bien longtemps par les defenseurs latins du Filioque
et par leurs sympathisants grecs, comme en temoigne la refutation qu'en
fait saint Gregoire Palamas dans ses Traites apodictiques. Remarquons
tout d'abord que l'argument joue sur les mots (ou sur les concepts).
Comme le montre saint Gregoire Palamas, que «Pere» fasse penser a «Fils»
(ou que le premier concept implique l'autre dans la pensee) n'implique
pas que le Pere implique le Fils en realite quand il fait proceder
l'Esprit. Comme le fait d'ailleurs remarquer le docteur hesychaste, au
plan meme des noms, l'appellation de «Pere», si elle designe dans un
sens etroit le Pere du Fils, le designe «aussi dans un sens plus large
comme Pere de l'Esprit en tant que cause de celui-ci, ce que suggere
l'apotre Jacques lorsqu'il l'appelle le "Pere des lumieres"(Jc l,
l7)»(100), sans que cela implique pour autant que le Saint-Esprit soit
engendre ni que le Pere soit proprement Son Pere. La propriete
hypostatique du Pere en tant que tel ne se limite pas a engendrer le
Fils, mais est aussi de faire proceder l'Esprit. Le Pere est en meme
temps l'engendreur du Fils et l'emetteur (ðñïâoëåýò) du Saint-Esprit.
Lorsqu'ils definissent les proprietes hypostatiques des trois personnes
divines, les Peres soulignent d'ailleurs que celle du Pere est d'etre
«inengendre», et non pas d'engendrer, ce qui exclut que l'on envisage
cette propriete hypostatique par rapport au Fils seulement. Él faudrait
ajouter a cela les considerations de plusieurs Peres comme Denys
l'Areopagite qui soulignent le caractere apophatique de la
«paternite»(101) et excluent que l'on envisage celle-ci dans un sens
etroit, comme le fait la theologie latine.
On ne voit d'ailleurs pas pourquoi le fait d'etre Pere du Fils
impliquerait pour le Pere que le Fils lui fut associe (ou pour le Fils
qu'il fut associe au Pere) pour faire proceder l'Esprit.
En outre, le fait d'etre Pere du Fils n'implique pas pour le Pere une
relation plus etroite avec le Fils qu'avec le Saint-Esprit et ne confere
pas au Fils des privileges que l'Esprit n'aurait pas, en dehors de sa
propriete hypostatique d'etre engendre.
L'argument de la «Clarification» reflete Éa tendance traditionnelle de
la doctrine latine du Filioque a valoriser la relation Pere-Fils par
rapport a la relation Pere-Esprit(102) et a introduire ainsi un certain
desequilibre au sein de la Trinite. Él reflete aussi la tendance de
cette meme doctrine, qui concoit l'ordre theologique a partir de l'ordre
economique, a accorder la priorite a la generation du Fils par rapport a
la procession du Saint-Esprit.
Contre la tendance d'une certaine tradition latine (qui se retrouve dans
la «Clarification»(103)) a concevoir l'existence des personnes
trinitaires selon l'ordre de leur revelation et de leur manifestation
(qui est aussi l'ordre de la priere), et donc a faire du Fils un
intermediaire dans la procession du Saint-Esprit a partir du Pere, les
Peres grecs qui ont refute la doctrine latine du Filioque ont affirme
non seulement l'independance de ces deux ordres (theologique et
economique)(104) mais l'independance de la generation du Fils et de la
procession du Saint-Esprit, non seulement d'un point de vue
chronologique mais d'un point de vue «logique». Ce n'est pas parce que
le Fils est manifeste eternellement et dans le monde, et est cite, dans
la confession de foi (le Credo) ou le signe de la Croix, apres le Pere
et avant le Saint-Esprit qu'il est, quant a son origine, engendre avant
que l'Esprit ne procede, et que l'essence divine lui est communiquee
avant qu'elle ne soit communiquee au Fils. Les Peres grecs soulignent
que de meme que le Fils est engendre par le Pere (recevant de lui son
hypostase et la nature divine) directement, immediatement et sans
intermediaire, le Saint-Esprit procede du Pere (recevant de lui son
hypostase et la nature divine) directement, immediatement et sans
intermediaire(105). Él faudrait ajouter ici tous les arguments
qu'avancent les memes Peres pour montrer que, sur le plan theologique de
l'origine des personnes, est exclue toute intervention du Fils dans la
procession du Saint-Esprit (qui procede du Pere seul quant a son
hypostase et a son essence).
On pourrait objecter que cette conception introduit une dichotomie au
sein de la Trinite: Pere-Fils d'une part, et Pere-Esprit d'autre part,
qui separe d'une certaine facon le Fils et le Saint-Esprit et semble en
tout cas porter atteinte a l'union du Fils et du Saint-Esprit.
Remarquons tout d'abord que la conception que defend la «Clarification»
encourt elle-meme une objection analogue, puisqu'elle etablit une autre
dichotomie: Pere-Fils d'une part, et Esprit d'autre part et semble
porter atteinte a l'egalite des personnes puisqu'elle confere au Fils le
privilege, avec le Pere, de communiquer la nature divine a l'Esprit,
tandis que l'Esprit n'a pas la propriete de communiquer la nature divine
au Fils(106). Remarquons ensuite, selon la conception orientale, que le
Fils et le Saint-Esprit, bien qu'ils recoivent parallelement tant leur
hypostase que la nature divine sont unis entre eux et au Pere par leur
nature qui est commune au trois, et aussi par le fait d'avoir tous deux
dans le Pere leur origine: nous retrouvons ici le sens de la «monarchie»
particuliement chere aux Cappadociens.
Les considerations precedentes concernant la «Clarification» montrent
que celle-ci reste tributaire de la quadruple confusion sur laquelle
repose la doctrine latine du Filioque: l) celle des proprietes
hypostatiques avec le proprietes essentielles; 2) celles des proprietes
hypostatiques entres elles; 3) celle du plan theologique et du plan
economique; 4) celle de l'essence et des energies divines.
4. Confusion des proprietes hypostatiques et de proprietes essentielles.
L'idee de la «Clarification (reprise au P.Garrigues) selon laquelle le
Saint-Esprit recevrait la nature ou l'essence divine (ou, comme le dit
la «Clarification»: «la divinite» ou «la divinite consubstantielle») du
Pere et du Fils ou du Pere par le Fils n'echappe pas au reproche
traditionnellement fait par les theologiens orthodoxes a la doctrine
filioquiste de faire proceder le Saint-Esprit de l'essence divine, et de
confondre ainsi les proprietes hypostatiques et les proprietes de
l'essence. La «Clarification» a bien consciense de se preter a une telle
objection, puisqu'elle cite pour s'en defendre le IV(e) concile du
Latran (l2l5): «La substance n'engendre pas, n'est pas engendree, ne
procede pas, mais c'est le Pere qui engendre, le Fils qui est engendre,
le Saint-Esprit qui procede(107)», reponse qui contourne en fait
l'objection puisqu'elle evite ici de dire qui fait proceder le
Saint-Esprit et de qui le Saint-Esprit procede. Quant a la precision que
donne la «Clarification» elle-meme sur sa propre conception: «le fait
que dans la theologie latine et alexandrine le Saint-Esprit procede
(ðñüåéóé) du Pere et du Fils dans leur communion consubstantielle ne
signifie pas que c'est l'essence ou la substance divine qui procede en
lui mais qu'elle lui est communiquee a partir du Pere et du Fils qui
l'ont en commun», elle apparait comme une vaine tentative pour donner,
en jouant sur les mots, un aspect personnaliste a une theorie qui reste
en son fond essentialiste. La theorie filioquiste n'a du reste jamais
affirme explicitement que le Saint-Esprit procedait de l'essence divine,
mais cela est une consequence logique que les theologiens orthodoxes qui
la refutaient ont mise au jour. Si la «Clarification» se demarque de la
theorie filioquiste la plus stricte, c'est en semblant reconnaitre que
le Saint-Esprit procede du Pere seul selon l'hypostase; elle en reste a
demi tributaire quand elle affirme qu'il procede du Pere et du Fils
selon l'essence (ou recoit de l'un et de l'autre son essence). Rappelons
que pour la theologie orthodoxe, c'est le Pere seul qui fait proceder
l'Esprit-Saint indissociablement selon l'essence (qu'il communique) et
selon l'hypostase (qu'il «cause»), et que faire proceder l'Esprit, tout
comme engendrer le Fils releve d'une propriete hypostatique (et non
essentielle) qui appartient au Pere seul. Si l'on admettait que le Pere
et le Fils puissent, selon l'essence, en commun faire proceder l'Esprit
Saint, il n'y aurait aucune raison de ne pas admettre que le Pere et le
Saint-Esprit puissent ensemble engendrer le Fils selon l'essence (ou,
pour utiliser le langage de la «Clarification», lui communiquer leur
consubstantialite), ce qui serait evidemment une absurdite theologique(108).
5. Confusion des proprietes hypostatiques entre elles.
Lorsque la «Clarification» considere que le Saint-Esprit procede aussi
du Fils, ne fut-ce que selon l'essence, elle confond les proprietes
hypostatiques du Pere et du Fils, puisqu'elle attribue aussi au Fils la
propriete hypostatique, qui n'appartient qu'au Pere, de faire proceder
le Saint-Esprit. Mais cette confusion des proprietes hypostatiques
implique en fait une confusion de celles-ci avec les proprietes de
l'essence, car le Pere et le Fils ne pourraient faire proceder l'Esprit
«en commun» (communiter) ou «comme un seul principe» (tanquam ex uno
principio) que par une propriete qui leur est commune, ce qui ne peut
etre qu'une propriete de l'essence. Derriere l'apparence personnaliste
que prend la «Clarification» se cache donc toujours une conception
essentialiste.
6. Confusion entre le plan theologique et le plan economique d'une part,
et entre le plan de l'essence et le plan des energies d'autre part.
La «Clarification», a la suite du P.Garrigues, pretend appuyer son
interpretation sur des formules non seulement de Peres latins, mais des
Peres alexandrins, de saint Maxime le Confesseur et de saint Jean
Damascene qui semblent confirmer que le Saint-Esprit recoit la divinite
consubstantielle du Pere et du Fils ou du Pere par le Fils(109). Les
formules en questions ont la plupart pour but, comme l'admet d'ailleurs
la «Clarification» d'affirmer la consubstantialite trinitaire, certaines
d'entre elles visant plus precisement a affirmer la divinite du Fils
face aux ariens, les autres visant a affirmer la divinite du Saint-
Esprit face aux pneumatomaques. Ces formules ont un aspect essentialiste
et, quand elles ne sont pas maladroites, sont pour le moins ambigues.
Neanmoins, en les replacant dans leur contexte, il est possible de les
interpreter correctement.
La «Clarification» cite cette formule de saint Cyrille d'Alexandrie:
«L'Esprit procede du Pere et du Fils (ðñüåéóé åê ðáôñüò êáé õéïý); il
est evident qu'il est de l'essence divine (ôçò èåßáò åóôßí oõóßáò),
procedant essentiellement en elle et d'elle (ïõóéùäþò åí áõôç êáé åî
áõôÞò ðñoúüí)»(110), pretendant trouver en elle une justification
patristique d'une «communication de la divinite au Saint-Esprit a partir
du Pere et du Fils dans leur communion consubstantielle»(111). La
«Clarification» malheureusement separe cette formule de son contexte; il
suffit de rappeler tres peu celui-ci, pour s'apercevoir immediatement
que la formule de saint Cyrille s'applique au domaine de l'economie et
non a celui de la theologie: «Lorsque l'Esprit Saint est envoye en
nous(112), Él nous rend conformes a Dieu, car ÉÉ vient du Pere et du
Fils: il est evident qu'Él est de l'essence divine, provenant
essentiellement en elle et d'elle». En fait, l'Esprit designe ici non la
personne de l'Esprit, mais son don, sa grace ou ses energies, qui sont
communiques aux hommes du Pere par le Fils, ou du Pere et du Fils.
Pourquoi saint Cyrille dit-il qu'il est de l'essence divine ou qu'il en
provient essentiellement? Parce que la grace ou les energies divines
sont une manifestation ou un rayonnement de l'essence divine commune. On
peut trouver dans les ?uvres du patriarche d'Alexandrie de nombreuses
formules semblables(113), dont l'ambiguite suscita d'ailleurs quelques
problemes de son temps meme, puisque Theodoret de Cyr craignant que
Cyrille n'eut une position filioquiste lui demanda des explications;
celles-ci firent apparaitre la parfaite orthodoxie de Cyrille(114). Les
specialistes s'accordent aujourd'hui a reconnaitre que ces formules ont
un sens et une portee economique(115). Comme l'a remarque A. De Halleux,
il apparait que dans tous les cas Cyrille s'exprime «dans une visee
d'economie et non de theologie trinitaire, c'est-a-dire qu'il entend
designer ce que les scolastiques appellent les missions temporelles et
non les processions eternelles»(116); «Cyrille ne theologise jamais sur
l'Esprit Saint que dans un contexte soteriologique»(117), et c'est le
«caractere "physique"de la soteriologie alexandrine qui explique le
mieux l'etrange "essentialisme" de certaines designations que Cyrille,
prolongeant le souci athanasien de l'homoousie, aime appliquer a
l'Esprit Saint, au point de paraitre en confiner au second plan le
caractere subsistant ou personnel»(118). Un eminent specialise de la
pensee de Cyrille, le P. G.-Ì. De Durand note dans le meme sens que, «au
fond, la grande preoccupation de Cyrille est de mettre en relief le
rattachement indefectible de l'Esprit a l'essence divine», de montrer
que l'Esprit est au meme niveau que le Pere et le Fils et ne peut etre
une creature; il note egalement que la plupart des textes du grand
Alexandrin «visent a determiner la nature de l'Esprit, non Ses relations
exactes avec les autres personnes»(119).
La «Clarification» evoque aussi saint Athanase d'Alexandrie(120) et
cite(121) l'un de ses textes ou elle croit trouver une legitimation
patristique de sa theorie: «De meme que le Fils dit: "Tout ce qu'a le
Pere est a moi"(Jn 16, 15), de meme nous trouverons que, par le Fils,
tout cela est aussi dans l'Esprit»(122). Cette citation n'est cependant
pas en mesure de jouer le role qu'on veut lui donner: le contexte du
debut de la troisieme lettre a Serapion dont elle est tiree est tres
clairement economique: aussi bien avant qu'apres ce passage, saint
Athanase se refere aux episodes de l'Ecriture ou le Saint-Esprit est
annonce puis donne par le Christ a ses disciples, et ecrit a la fin de
la section ou figure cet extrait(123): «c'est du Fils que l'Esprit est
donne a tous et ce qu'il a appartient au Fils». Dans la section suivante
il note: «C'en serait assez pour dissuader a tout disputeur quel qu'il
soit d'appeler encore creature de Dieu [l'Esprit] qui est en Dieu, qui
scrute les profondeurs de Dieu, et qui, de la part du Pere, est donne
par l'intermediaire du Fils»(124). Saint Athanase a ici en vue l'Esprit
communique ou donne aux hommes en tant que grace ou energie, grace ou
energie qui vient du Pere par le Fils. Les paroles du Christ citees par
saint Athanase: «Tout ce qu'a le Pere est a moi» (Jn 16, 15), peuvent
designer soit la nature divine commune, soit les energies qui s'y
rapportent; mais lorsque saint Athanase ajoute: «de meme nous trouverons
que, par le Fils, tout cela est aussi dans l'Esprit», il montre qu'il a
en vue les biens divins attaches a la nature divine commune qui sont
communiques comme energies du Pere, par le Fils dans l'Esprit. On
pourrait rapprocher ce passage d'un autre passage de la meme ?uvre, qui
se situe encore plus clairement dans cette perspective economique:
«Unique est la sanctification qui se fait du Pere par le Fils dans
l'Esprit Saint. De meme que le Fils est monogene, ainsi aussi l'Esprit
envoye et donne par le Fils est unique et non multiple, ni un parmi
plusieurs, mais l'Esprit unique lui-meme. Puisque unique est le Fils, le
Verbe vivant, unique aussi doit etre son action vivante et son don
parfait et complet, sanctifiant et eclairant, dont on dit qu'Él procede
du Pere parce qu'il rayonne, est envoye et donne par le Fils et que nous
confessons [procedant] du Pere»(125).
Dans la meme note ou elle cite saint Athanase, la «Clarification» se
refere, sans le citer, a un passage du Traite du Saint-Esprit de Didyme
l'Aveugle, pretendant qu'il «coordonne[...] le Pere et le Fils par la
meme preposition åê dans la communication a l'Esprit Saint de la
divinite consubstantielle»(126). On voit le caractere errone de cette
conclusion a la simple lecture du texte de Didyme, dont, sans aucune
ambiguite, le sens est economique et concerne les missions du Saint-
Esprit dans le monde: «S'agissant de l'Esprit de verite qui est envoye
par le Pere et qui est le Paraclet, le Sauveur, qui, lui aussi, est la
verite, dit: "Él ne parlera pas de son propre chef", c'est-a-dire sans
moi et sans le gre du Pere et le mien, car il ne peut etre separe de la
volonte du Pere ni de la mienne puisqu'il ne vient pas de lui-meme, mais
qu'il vient du Pere et de moi, puisque le fait meme qu'il subsiste et
parle lui vient du Pere et de moi. C'est moi qui dis la verite,
c'est-a-dire que j'inspire ce qu'il dit, etant entendu qu'il est
l'Esprit de verite»(127).
L'analyse des textes de Peres latins comme saint Hilaire de Poitiers,
saint Ambroise de Milan et saint Leon le Grand, egalement cites par la
«Clarification»(128), permet d'aboutir aux memes conclusions. La
premiere citation de saint Hilaire: «Que j'obtienne ton Esprit qui est a
partir de toi par ton Fils unique»(129) se situe tres clairement dans un
contexte economique puisqu'il s'agit de la reception de l'Esprit par le
fidele qui prie Dieu de le lui donner, ce don et cette reception se
faisant du Pere par le Fils. Quant a l'autre passage de saint Hilaire
que cite la «Clarification» - «Si l'on croit qu'il y a une difference
entre recevoir du Fils (Jn 16, 15) et proceder du Pere (Jn 15, 26), il
est certain que c'est une seule et meme chose que de recevoir du Pere et
de recevoir du Fils» -, il se situe lui aussi dans un contexte
economique: ce contexte evoque la reception par les hommes du
Saint-Esprit en tant que grace ou energie, l'Esprit, qui communique ses
dons ou energies aux hommes, les recevant du Fils qui lui-meme les
recoit du Pere dont ils sont issus: «Pour le moment, je ne prends point
en consideration la liberte qui pousse certains a se demander si
l'Esprit Paraclet vient du Pere ou s'il vient du Fils. Le Seigneur en
effet, ne nous a pas laisses dans le doute. A la suite des mots
precedemment cites ["Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai
d'aupres du Pere, l'Esprit de verite qui procede du Pere, c'est lui qui
me rendra temoignage"(Jn 15, 26)], Él declare: "J'ai encore beaucoup de
choses a vous dire, mais vous ne pouvez les porter actuellement. Lorsque
viendra cet Esprit de verite, il vous guidera vers toute la verite. Car
il ne parlera pas de lui-meme, mais il dira tout ce qu'il aura entendu
et vous annoncera les realites a venir. C'est lui qui me rendra gloire,
car il recevra de mon bien pour vous le communiquer"(Jn 16, 12-15).
L'Esprit envoye par le Fils recoit donc egalement du Fils, et il procede
du Pere. Et je te le demande: Serait-ce la meme chose: recevoir du Fils
et proceder du Pere? Si l'on voit une difference entre recevoir du Fils
et proceder du Pere, du moins on n'hesitera pas a croire que recevoir du
Fils et recevoir du Pere sont une seule et meme chose. Le Seigneur
lui-meme le precise: "Él recevra de mon bien pour vous le communiquer.
Tout ce qu'a le Pere est a moi. Voila pourquoi j'ai dit: il recevra de
mon bien pour vous le communiquer". Le Fils nous en donne ici
l'assurance: c'est de lui que l'Esprit recoit ce qu'il recoit:
puissance, vertu, science. Et plus haut il nous avait laisse entendre
que tout cela il l'avait recu de Son Pere. Aussi nous dit-Él que tout ce
qu'a le Pere est a lui, et c'est pourquoi il affirme que l'Esprit
recevra de son bien. Él nous enseigne en outre que ce qui est recu de
son Pere est recu pourtant de lui, car tout ce qu'a son Pere est son
bien. Aucune divergence dans cette unite: ce qui est donne par le Pere
n'est pas different de ce qui est recu du Fils, et doit etre considere
comme donne par le Fils»(130). On peut voir clairement dans ce passage
que pour saint Hilaire:
a) L'Esprit est envoye par le Fils et recoit du Fils, mais procede du Pere.
b) Recevoir du Fils n'equivaut pas a proceder du Pere.
c) En revanche recevoir du Pere et recevoir du Fils sont une seule et
meme chose.
d) Ce que le Saint-Esprit recoit du Fils est la meme chose que ce qu'il
recoit du Pere: ce sont les biens qui s'attachent a la nature divine,
qui nous sont communiques comme dons par l'Esprit qui les recoit du Fils
qui lui-meme les a recus du Pere. Ces biens, que deja a l'epoque de
saint Hilaire certains Peres grecs appellent «energies» et certains
Peres latins «operations» divines, sont plus couramment appeles, en tant
qu'ils nous sont communiques, «grace», «charismes» ou «dons» de
l'Esprit. Dans ce texte, saint Hilaire en donne comme exemple la
puissance, la perfection, la science, mais quelques chapitres plus loin
il les presente en detail en se referant a saint Paul (1 Co 12, 8-12)
qui ecrit: «Él y a diversite de done, mais c'est le meme Esprit [...],
diversites d'operations, mais c'est le meme Dieu qui opere en tous» (1
Co 12, 4-7). Él est donc clair que l'on n'a pas ici affaire, comme le
pretend la «Clarification» a une «communication de la consubstantialite
divine selon l'ordre trinitaire» ou a une «communication de la divinite
par la procession», c'est-a-dire une communication de la nature ou de
l'essence divine elle-meme au Saint-Esprit par le Fils a partir du Pere.
La «Clarification» propose ensuite une citation de saint Ambroise de
Milan qui parait a priori plus convaincante: «Le Saint-Esprit, quand il
procede du Pere et du Fils, ne se separe pas du Pere, ne se separe pas
du Fils»(131). Ce texte est habituellement cite par ceux qui voient en
l'eveque de Milan un partisan de la doctrine latine du Filioque. Mais il
suffit de replacer ce passage dans son contexte pour voir immediatement
que saint Ambroise situe cette affirmation dans une perspective
economique: «Le Saint-Esprit n'est pas envoye comme a partir d'un lieu,
ainsi que le Fils lui-meme ne l'est pas quand il dit: "Je suis sorti du
Pere et venu dans le monde"(Jn 8, 42) [...]. Le Fils, ni quand il sort
du Pere, ne s'eloigne d'un lieu ou ne se separe comme un corps se separe
d'un autre, ni, quand il est avec le Pere, n'est contenu par lui comme
un corps l'est par un autre. Le Saint- Esprit lui aussi, quand il
procede du Pere et du Fils (procedit a Patre et a Fßlio) ne se separe
pas du Pere, ne se separe pas du Fils»(132). Saint Ambroise veut
evidemment montrer ici l'unite de nature des trois personnes divines;
plus precisement, il veut faire voir qu'en vertu de cette unite de
nature, les trois personnes ne se separent pas l'une de l'autre quand le
Fils sort du Pere pour etre envoye dans le monde, ou quand l'Esprit
Saint procede ou sort du Pere et du Fils en etant envoye par le Fils de
la part du Pere(133).
La «Clarification» renvoie aussi a un texte de saint Leon le Grand, qui
a souvent ete cite par les partisans du Filioque: la troisieme section
de son premier sermon sur la Pentecote(134). Ce passage merite d'etre
cite et commente. «Gardons-nous de penser, ecrit Leon, que la substance
divine ait apparu dans ce qui s'est alors montre a des yeux de chair. La
nature divine invisible et commune au Pere et au Fils a en effet montre,
sous tel signe qu'elle a íoulu, le caractere de son don et de son ?uvre
(muneris atque operis sui), mais elle a garde dans l'intime de sa
divinite ce qui est propre a sa substance: car le regard de l'homme, pas
plus qu'il ne peut atteindre le Pere ou le Fils, ne peut davantage voir
le Saint-Esprit. Dans la Trinite divine, rien, en effet, n'est
dissemblable, rien n'est inegal; tout ce qu'on peut imaginer de cette
substance ne se distingue ni en puissance, ni en gloire, ni en eternite
(nec virtute, nec gloria, nec aeternitate). Encore que, dans les
proprietes des personnes, autre soit le Pere, autre le Fils, autre
l'Esprit Saint, autre cependant n'est pas la divinite, ni diverse la
nature. S'il est vrai que le Fils unique est du Pere et que l'Esprit
Saint est l'Esprit du Pere et du Fils (siquidem cum et de Patre sit
Filius unigenitus, et Spiritus sanctus Patris Fßliique sit spiritus), il
ne l'est pas a la maniere d'une creature qui serait [creature] du Pere
et du Fils, mais il l'est comme ayant vie et pouvoir avec l'un et avec
l'autre, et comme subsistant eternellement a partir de ce qu'est le Pere
et le Fils (sempiterne ex eo quod est Pater Filiusque subsistens).
Aussi, lorsque le Seigneur, la veille de sa Passion, promettait a ses
disciples l'avenement du Saint-Esprit, il leur disait: "[...] Quand il
viendra, lui, l'Esprit de verite, il vous conduira vers la verite tout
entiere; car il ne parlera pas de lui-meme; mais tout ce qu'il entendra,
il le dira, et il vous annoncera les choses a venir. Tout ce qu'a le
Pere est a moi. Voila pourquoi j'ai dit: c'est de mon bien qu'il prendra
pour vous en faire part"(Jn 16, 13, 15). Él n'est donc pas vrai
qu'autres soient les biens du Pere, autres ceux du Fils, autres ceux de
l'Esprit Saint; non, tout ce qu'a le Pere, le Fils l'a pareillement, et
pareillement l'Esprit Saint; jamais dans cette Trinite, une telle
communion n'a fait defaut, car la, avoir tout, c'est exister toujours
(semper existere). Gardons-nous donc d'imaginer la nul temps, nul degre,
nulle difference; et si personne ne peut expliquer de Dieu ce qu'Él est,
que personne n'ose affirmer ce qu'Él n'est pas. Él est plus excusable,
en effet, de ne pas parler dignement de l'ineffable nature que d'en
definir ce qui lui est contraire. Aussi tout ce que les coeurs fervents
peuvent concevoir de l'eternelle et immuable gloire du Pere, qu'ils le
comprennent en meme temps inseparablement et indifferemment et du Fils
et de l'Esprit Saint. Nous confessons en effet que cette bienheureuse
Trinite est un seul Dieu, parce que dans ces trois personnes il n'y a
aucune difference ni de substance, ni de puissance, ni de volonte, ni
d'operation (nec substarétiae, nec potentiae, nec voluntatis, nec
operationis est ulla diversitas)»(135). On peut remarquer que dans ce
passage:
a) Leon distingue tres nettement le Saint-Esprit comme personne et le
Saint-Esprit comme grace ou don (ou operation, ou energie)(136).
b) Cette grace que le Saint-Esprit communique aux hommes est consideree
comme appartenant a la nature commune aux trois personnes divines.
c) Leon distingue au debut de ce texte la substance (ou l'essence) de la
Divinite, qui est inconnaissable, inaccessible, incommunicable, et ce
qui en est le «signe», la manifestation, et qui correspond, comme il
dit, a son don et a son ?uvre (opus, que l'on pourrait encore traduire
dans ce contexte par «acte» ou «activite»), ou encore a Sa «puissance
(virtus)», a sa «gloire», a son «eternite», a ce que l'on pourrait
encore appeler ses «operations» (mot utilise par Leon lui- meme) ou ses
«energies». On retrouve a la fin du texte la distinction entre la
substance et la puissance, la volonte et l'operation dont Leon affirme
qu'elles sont les memes pour les trois personnes divines(137).
d) L'affirmation que «l'Esprit est l'Esprit du Pere et du Fils» ne
signifie nullement que le Pere et le Fils soient la cause de l'Esprit,
ou que l'Esprit tienne son existence du Pere et du Fils. Cette
expression est tres clairement mise en rapport avec ce que le Pere, le
Fils et le Saint-Esprit ont en commun, a savoir l'essence divine et les
proprietes et energies qui lui appartiennent et qui la manifestent: Leon
dit que «l'Esprit est l'Esprit du Pere et du Fils [...] comme ayant vie
et pouvoir avec l'un et avec l'autre et comme subsistant eternellement a
partir de ce qu'est (ex eo guod est) le Pere et le Fils».
e) Cette expression «subsistant eternellement a partir de ce qu'est le
Pere et le Fils» n'indique pas l'origine du Saint-Esprit a partir d'une
cause commune constituee par le Pere et le Fils ensemble en tant que
personnes(138), ni meme a partir de leur nature commune; elle n'indique
pas non plus que, selon la theorie de la «Clarification», l'Esprit Saint
recevrait du Pere et du Fils son essence; mais elle affirme que l'Esprit
a eternellement la meme nature et donc les memes proprietes, la meme
puissance et la meme operation ou energie que le Pere et le Fils, ce que
tout le contexte de ce passage indique de plusieurs facons. On notera
que subsister eternellement a partir de ce qu'est le Pere et le Fils
semble pose comme un equivalent d'avoir vie et pouvoir avec l'un et avec
l'autre, c'est-a-dire de posseder les memes biens divins attaches a la
meme nature divine commune. Cela est confirme par l'assimilation qui est
faite plus loin entre «exister toujours» et avoir tout, «tout» designant
les «biens» divins qui sont presentes comme etant les memes pour le
Pere, le Fils et le Saint- Esprit.
f) Leon rejette par avance l'interpretation filioquiste de l'affirmation
du Christ: «Él prendra [ou: recevra] de ce qui est a Moi [ou: de Ìon
bien] pour vous en faire part», en soulignant que ce que le Christ
designe comme ce qui est a lui appartient egalement non seulement au
Pere mais au Saint-Esprit, et correspond aux biens attaches a la nature
divine commune qui sont manifestes comme energies ou operations et
communiques comme dons du Pere, par le Fils dans le Saint-Esprit.
Nous retrouvons donc chez saint Leon une conception qui s'accorde avec
celle de saint Ambroise ou de saint Hilaire, et aussi avec celle de
saint Athanase ou de saint Cyrille d'Alexandrie, conception qui, bien
que s'exprimant comme les precedentes en termes plus essentialistes, est
egalement en accord avec celle des autres Peres grecs.
Él nous semble en revanche que cette conception ne s'accorde pas avec
celles de Tertullien et de saint Augustin dont la clarification la
rapproche abusivement. Nous ne nous arreterons pas sur la conception de
Tertullien a laquelle la «Clarification», a la suite du P. Garrigues,
accorde une grande importance: s'il est vrai que la pensee trinitaire de
Tertullien a beaucoup marque celle de saint Augustin, on ne peut la
considerer comme normative, meme pour la tradition latine, pour la
raison que Tertullien a developpe l'essentiel de sa triadologie dans
l'Adversus Praxeam a l'epoque ou, ayant adopte l'heresie montaniste, il
se situait en dehors de l'Eglise. Notons seulement que si les
developpements de Tertullien, s'exprimant dans un vocabulaire fortement
substantialiste, peuvent neanmoins pour une part se comprendre dans une
perspective economique(139), leur principal defaut est de concevoir
l'ordre trinitaire de l'origine des personnes sur le modele de l'ordre
economique de leur manifestation, en considerant que celui-ci reflete
celui-la.
Ce dernier defaut se retrouve dans la triadologie de saint Augustin.
Lors meme que l'eveque d'Hippone concoit la procession de l'Esprit dans
une perspective economique, celle des missions, il considere que
celle-ci correspond a la procession eternelle et la revele(140). De la
vient l'impression que l'on eprouve a la lecture des textes d'Augustin
qui concernent la procession du Saint-Esprit que les perspectives
economiques et theologiques sont pour lui non seulement indistinctes
mais melangees et confondues. Paraissent egalement confondues, au plan
theologique, la procession eternelle de l'Esprit a partir du Fils avec
sa manifestation eternelle par le Fils. Semblent souvent confondues
aussi les proprietes hypostatiques des personnes divines avec leurs
proprietes naturelles. En temoigne notamment l'affirmation bien connue,
immanquablement citee par la «Clarification»(141), que l'Esprit
constitue un lien d'amour entre le Pere et le Fils, affirmation ou se
revele une reduction de la personne de l'Esprit au profit d'un principe
impersonnel qui releve de l'essence commune, ce que confirme par
ailleurs le vocabulaire que l'eveque d'Hippone utilise le plus
couramment dans ce contexte pour designer l'Esprit: societas
dßlectionis(142), unitas, caritas amborum(143), communis caritas Patris
et Filii(144), societas Patri et Filii(145). La «Clarification» tout en
signalant que la position de Thomas d'Aquin se trouve a cet egard dans
la continuite de celle d'Augustin affirme sans ambages: «Cette doctrine
de l'Esprit Saint comme amour a ete harmonieusement assumee par saint
Gregoire Palamas a l'interieur de la theologie grecque de l'åêðüñåõóéò a
partir du Pere seul»(146) et cite ce passage, bien connu egalement, de
l'archeveque de Thessalonique: «L'Esprit du Verbe tres haut est comme un
indicible amour du Pere pour ce Verbe engendre indiciblement. Amour dont
ce meme Verbe et Fils aime du Pere use envers le Pere: mais en tant
qu'il a l'Esprit provenant avec lui du Pere et reposant connaturellement
en lui»(147). Une telle assimilation de la pensee de saint Gregoire
Palamas avec celle de saint Augustin (qui fut deja maintes fois tentee
auparavant tant par les partisans latins du Filioque que par les
«orthodoxes» latinophrones) est tout a fait abusive puisque saint
Gregoire Palamas a en vue la communication de l'amour comme energie
divine qui se fait du Pere par le Fils (ou du Pere et du Fils) dans
l'Esprit(148). Saint Augustin a quant a lui en vue la personne meme de
l'Esprit, dans un contexte theologique ou sont confondus non seulement
l'essence et les personnes divines, mais encore l'essence et les
energies divines. Cette distinction de l'essence et des energies
divines, formalisee par saint Gregoire Palamas mais qui etait deja
presente, d'une maniere plus ou moins explicite, comme nous l'avons íu,
non seulement chez les Peres grecs mais chez beaucoup de Pere latins,
est en revanche exclue par les principes memes de la theologie
augustinienne(149) (elle le sera egalement, et d'une maniere plus
radicale par les presupposes de la metaphysique thomiste).
On trouve par ailleurs chez Augustin une multitude d'expressions qui
temoignent indubitablement d'une doctrine elaboree de la procession du
Pere et du Fils (Augustin utilise tres souvent l'expression: procedit ab
utroque) qui est tres etroitement apparentee avec ce qui sera plus tard
la doctrine latine du Filioque(150) et qui en est sans aucun doute
l'inspiratrice directe. La triadologie de saint Augustin se distingue
nettement par la de celle de Peres latins comme saint Hilaire, saint
Ambroise ou meme saint Leon le Grand et saint Gregoire le Grand. Cela
nous donne l'occasion de redire que la ligne de demarcation entre deux
traditions theologiques ne se situe pas, comme le pretend la
«Clarification» a la suite du P. Garrigues entre la tradition
cappadocienne et une supposee tradition latino-alexandrine, mais entre
la tradition representee par l'ensemble des Pere grecs et des Pere
latins orthodoxes, et une tradition qui (si l'on exclut la position
marginale de Tertullien) est representee par Augustin et ses disciples.
Ce point n'a pas seulement ete souligne par des patrologues
orthodoxes(151), mais par un specialiste catholique de la pensee
augustinienne comme E.Hendricks, qui n'hesite pas a ecrire que
«l'historien du dogme qui, venant des ecrits du IV(e )siecle, debouche
sur l'?uvre d'Augustin» constate que «la ligne de rupture dans le
developpement synthetique de la doctrine trinitaire ne se trouve pas
entre Augustin et nous, mais entre lui et ses predecesseurs immediats»(152).
Cela nous permet de faire retour sur le passage de l'Opuscule
theologique et polemique X ( = Lettre a Ìarin de Chypre(153)) de saint
Maxime le Confesseur, qui constitue le point de depart de la theorie du
P.Garrigues et que cite la «Clarification» en considerant qu'il
«articule ensemble les deux approches -cappadocienne et
latino-alexandrine- de l'origine eternelle de l'Esprit: le Pere est le
seul principe sans principe (en grec áéôßá) du Fils et de l'Esprit; le
Pere et le Fils sont source consubstantielle de la procession (ôo
ðñoúÝíáé) de ce meme Esprit»(154). Nous avons montre dans une etude
detaillee le caractere errone de cette interpretation(155). Pour
resituer le texte de Maxime dans son contexte, rappelons que le pape
Theodore 1(er) avait ecrit dans ses Lettres synodiques(156) que
«l'Esprit procede aussi du Fils (åêðïñåýåóèáé êáê ôoõ õéoý ôo ðíåýìá ôo
Üãéoí)»; cette affirmation avait attire la critique de quelques
theologiens byzantins. Maxime avait alors pris la defense du pape
Theodore et des theologiens de son entourage et, s'appuyant sur des
justifications qu'eux-memes avaient fournies pour faire face aux
attaques dont ils etaient l'objet, avait montre qu'ils entendaient cette
expression dans un sens orthodoxe: «Sur la procession, ils [les Romains]
ont amene les temoignages des Pere latins, en plus, bien sur, de saint
Cyrille d'Alexandrie dans l'etude sacree qu'il fit sur l'Ervangile de
saint Jean. A partir de ceux-ci ils ont montre qu'eux-memes ne font pas
du Fils la Cause (áéôßá) de l'Esprit -ils savent, en effet, que le Pere
est la Cause unique du Fils et de l'Esprit, de l'un par generation, de
l'autre par procession (åêðüñåõóéò) - mais ils ont explique que celui-ci
provient (ðñïúÝíáé) a travers le Fils et montre ainsi la connexion et la
non-difference de l'essence. [...] Voila donc ce qu'ont repondu [ceux de
Rome] au sujet des choses dont on les accuse sans raison valable. [...]
Cependant, suivant ta requete, j'ai prie les Romains de traduire les
[formules] qui leur sont propres afin d'eviter les obscurites des points
qui s'y rattachent. Mais la coutume de rediger et d'envoyer ainsi [les
Lettres synodiques] ayant ete suivie, je me demande si jamais ils y
accederont. Par ailleurs il y a le fait de ne pouvoir exprimer sa pensee
dans d'autres mots et dans une autre langue comme dans les siens,
difficulte que nous rencontrons nous aussi. En tout cas, ayant fait
l'experience d'etre accuses, ils viendront a s'en soucier»(157).
Maxime n'entend nullement concilier ici, comme le pretend la
«Clarification» a la suite du Pere Garrigues, une tradition
cappadocienne qui soulignerait que le Saint-Esprit procede ou a son
ekporese (åêðïñåýåóèáé) du Pere seul quant a son hypostase, ou encore a
le Pere comme seule origine et cause de son existence personnelle, et
une tradition latino-alexandrine qui soulignerait qu'il provient
(ðñïúÝíáé) ou procede (procedit) du Pere et du Fils quant a sa nature
(ou recoit du Pere et du Fils sa consubstantialite). Maxime veut montrer
que l'affirmation que «le Saint-Esprit procede du Pere et du Fils» est
inacceptable si l'on entend par la que le Fils aussi serait la cause du
Saint-Esprit car le Pere seul est sa cause; mais qu'elle est en revanche
acceptable si l'on entend par la que le Saint-Esprit sort ou vient par
le Fils que ce soit l) dans le monde ou il est envoye et communique
comme grace ou don, 2) «autour de l'essence» divine ou il rayonne comme
energie, comme lumiere ou comme gloire, ou 3) au sein meme de la
divinite ou il est communique comme energie du Pere par le Fils, du Pere
dans le Fils, ou du Pere et du Fils. C'est surtout le premier de ces
trois sens (que l'on appelle «economique», et qui concerne les
«missions» du Saint-Esprit) qu'ont en vue les Peres tant latins que
grecs lorsqu'ils evoquent la procession ou la sortie du Saint-Esprit du
Pere par le Fils (voire du Pere et du Fils), bien qu'ils evoquent
parfois en des termes divers, les deuxieme et troisieme sens(158). Nous
avons cependant montre que saint Augustin constituait parmi eux une
exception notable et qu'il n'etait pas inclus parmi les Peres latins que
Maxime evoquait dans le passage cite, sa triadologie ne repondant pas au
critere de recevabilite que Maxime propose, tandis que les triadologies
de saint Hilaire de Poitiers, de saint Ambroise de Milan, de saint Leon
le Grand, ou de saint Gregoire le Grand y repondent de meme que celle de
saint Cyrille d'Alexandrie(159). La formule du pape Theodore 1(er) et
des theologiens de son entourage est selon Maxime a comprendre dans le
meme sens et ne se situe pas sur le terrain de la theologie
augustinienne(160). Cette position temoigne qu'a l'epoque de Maxime la
triadologie augustinienne ne s'etait pas encore imposee en Occident et
que subsistait a cote d'elle dans l'Eglise latine jusqu'au plus haut
niveau, un courant theologique non augustinien en accord profond avec la
tradition orthodoxe commune des Peres grecs et latins, qui excluait que
le «Filioque» ou les expressions analogues fussent compris dans un sens
theologique se rapportant a l'origine du Saint-Esprit dans son hypostase
ou dans son essence.
L'expression utilisee par Maxime -l'Esprit Saint «provient (ðñïúÝíáé) a
travers [ou par] le Fils» - pour reformuler et resumer la position
acceptable du pape Theodore É(er) dans la ligne de la tradition des
Peres grecs et latins a ete d'ailleurs comprise dans un sens economique
non seulement par ses commentateurs byzantins (comme saint Nil
Cabasilas) mais par des commentateurs latins comme Anastase le
Bibliothecaire (qui fut le secretaire et le conseiller des papes Nicolas
(Ier), Hadrien ÉÉ et Jean VII et qui joua un role important dans la
politique de l'Eglise romaine lors de l'affaire photienne). Celui-ci
ecrit: «Saint Maxime fait comprendre que les Grecs nous accusent
faussement, car nous ne disons pas que le Fils est cause ou principe de
l'Esprit Saint, comme ils le pretendent, mais prenant en consideration
l'unite de substance du Pere et du Fils, nous reconnaissons qu'il
procede du Fils, comme du Pere, mais en comprenant certainement le mot
"procession" dans le sens de "mission" (missionem nimirum processionem
intelligentes): saint Maxime traduit pieusement et engage ceux qui
connaissent les deux langues a la paix, car il est evident qu'il nous
enseigne a nous, comme aux Grecs, que le Saint- Esprit d'une certaine
maniere procede du Fils et d'une autre maniere n'en procede pas
(secundum quiddam procedere, secundum quiddam non procedere Spiritum
Sanctum ex Filio), en montrant la difficulte de traduire d'une langue a
une autre sa propriete(161)».
Si a partir de ces textes qui l'evoquent on revient a la question du
vocabulaire, on voit comment la distinction entre l'åêðüñåõóéò et le
ðñoúÝíáé ne correspond ni pour le pape Theodore É(er) (qui a donne de sa
formule une explication dont Maxime a eu connaissance), ni pour Maxime
ni pour son commentateur latin Anastase, a l'ekporese selon l'hypostase
et au procedere de la theologie filioquiste (meme entendu sous la forme
souple que met en avant la «Clarification» d'une communication de la
divinite, du Pere et du Fils au Saint-Esprit) qui seraient pretendument
concilies par Maxime. Maxime n'entend pas non plus affirmer par la
l'equivalent du «Filioque» de la doctrine filioquiste latine (deja
representee par Augustin) et du äéÜ ôoõ õéoý des Peres grecs.
Les deux expressions, celle du pape Theodore I(er) («l'Esprit procede
aussi du Fils [åêðïñåýåóèáé êáê ôoõ õéïý ôï ðíåýìá ôo Üãéoí])» et celle
dans laquelle Maxime la reformule (le Saint-Esprit «provient [ðñïúÝíáé]
a travers [ou par] le Fils») ont toutes les deux en vue la «procession»
ou la «sortie» du Saint-Esprit, entendue dans un sens economique, du
Pere par le Fils. Ce qui a choque les theologiens byzantins qui ont
proteste contre la formulation du pape, c'est l'usage du verbe
åêðïñåýåóèáé reserve generalement en grec (mais non systematiquement,
nous l'avons íu) au sens proprement theologique de la procession alors
que le verbe latin procedere est utilise couramment dans les deux sens,
theologique et economique. Les theologiens byzantins ont peut-etre aussi
ete choques par l'usage de l'expression «et aussi du Fils» moins
courante parmi les theologiens grecs que l'expression «par le Fils»
(mais egalement acceptable si elle est entendue dans un contexte
economique, comme n'hesiteront pas a l'admettre, ulterieurement, saint
Photius et saint Gregoire Palamas).
Mais pourquoi alors, si le verbe åêðïñåýåóèáé etait parfois utilise en
grec pour designer la procession dans un sens economique, les
theologiens byzantins se sont-ils indignes de la formule du pape
Theodore É(er)? On peut incriminer un manque de culture, mais la raison
la plus probable est que ces theologiens, qui etaient gagnes a l'heresie
monothelite, visaient a deconsiderer l'Eglise de Rome qui etait alors la
seule a defendre la foi orthodoxe, et aussi a priver Maxime (qui etait
leur principal adversaire) de son principal soutien. Maxime s'etonne
d'ailleurs de leur reaction (sur le plan theologique, mais non sur le
plan «politique») et les presente comme «des chercheurs de pretextes(162)».
Nous pouvons donc constater par cet autre biais que la theorie
linguistique mise au point par le P. Garrigues (sur la base d'une fausse
comprehension de ce texte de Maxime) et sur laquelle la «Clarification»
fonde pour une grande part sa position, est irrecevable.
Él reste cependant un point a debattre: Maxime note que le pape Theodore
É(er) et les theologiens de son entourage, en affirmant que le
Saint-Esprit procede aussi du Fils «ont voulu manifester le fait [pour
l'Esprit] de sortir par lui [le Fils] (ôï äé'áõôïý ðñïúÝíáé) et etablir
par la la connexion et la non-difference de l'essence (ôo óõíáöÝò ôçò
oõóßáò êáé áðáñÜëëáêôïí)». S'il a en vue la procession (ou sortie, ou
manifestation) du Saint-Esprit dans l'ordre economique, comment peut-il
utiliser cette derniere expression, de caractere essentialiste? Celle-ci
ne se refere-t-elle pas a ce qui se passe in divinis, et ne
concerne-t-elle pas necessairement l'essence divine elle-meme? On peut
repondre que pour les Peres orthodoxes -les Peres cappadociens ont
beaucoup insiste la-dessus dans le cadre de leur refutation des
positions d'Eunome, mais Denys l'Areopagite encore plus, et Maxime est
sur ce point leur heritier- l'essence divine en elle-meme est
inconnaissable et ce qui concerne Dieu nous est revele par les energies
divines. Les energies divines qui rayonnent eternellement comme gloire
ou qui nous sont communiquees comme grace de Dieu, a partir du Pere, par
le Fils, dans le Saint-Esprit, se rapportent a l'essence commune aux
trois personnes divines. Une est l'energie du Pere du Fils et du
Saint-Esprit parce que une est leur essence. Puisque les energies se
rapportent a la nature, il n'y a pas des energies propres au Pere, des
energies propres au Fils et des energies propres au Saint-Esprit, mais
ce sont le memes energies qui ont le Pere comme source, sont
communiquees au Fils, et du Pere par le Fils, ou du Pere et du Fils, au
Saint-Esprit. Cette communication revele ainsi, comme le dit saint
Maxime, «la connexion et la non-difference [ou, pour adopter une autre
traduction: l'unite et l'identite] de l'essence». Les Peres qui ont
íoulu montrer, contre les pneumatomaques, que le Saint-Esprit lui aussi
est Dieu, ont tout simplement montre que toutes les energies communes au
Pere et au Fils, le Saint-Esprit devait lui aussi les avoir, en commun
avec eux et par nature; de meme que les Peres qui avaient íoulu montrer,
contre les ariens, que le Fils est Dieu, avaient montre qu'il a toutes
energies du Pere, en commun avec lui et par nature.
CONCLUSION
La «Clarification» semble de prime abord temoigner d'une eíolution dans
la position catholique romaine a l'egard du Filioque et se rapprocher de
la position orthodoxe.
Les points les plus tranches de la doctrine latine (comme l'affirmation
que le Saint-Esprit procederait du Pere et du Fils «comme d'un seul
principe», ou que le Pere et le Fils seraient la cause de l'hypostase du
Saint-Esprit) semble abandonnes. La «Clarification» s'efforce d'adopter
une perspective plus personnaliste et moins essentialiste.
Cependant la «Clarification» continue a temoigner de son attachement a
la triadologie augustinienne de meme qu'a la triadologie thomiste,
soulignant l'accord de l'une et de l'autre avec les positions qu'elle
defend(163). Elle affirme d'autre part l'accord de ces memes positions
avec les definitions du concile de Lyon et de Florence (tout en
edulcorant le sens, comme l'avait fait le Catechisme de l'Eglise
catholique)(164), semblant oublier que si ces definitions obtinrent dans
un premier temps l'accord des Grecs latinophrones, elles furent rejetees
par l'Eglise orthodoxe comme definitivement etrangeres a sa foi, les
premieres solennellement au concile des Blachernes tenu en 1285 sous la
presidence de saint Gregoire de Chypre(165), les secondes, non pas comme
le pretend J.-Ì. Garrigues, «en raison du manque de liberte des eveques
orientaux du aux conditions politiques de l'Empire byzantin(166), mais
grace a l'activite et a l'?uvre dogmatique de saint Marc d'Ephese puis
de Georges (Gennade) Scholarios.
Si la «Clarification» semble admettre que le Pere seul est la cause de
l'existence personnelle du Saint-Esprit, elle ne fait cependant que la
moitie du chemin en continuant a affirmer que c'est le Pere et le Fils
ensemble qui lui communiquent la nature divine. La demarche de la
«Clarification» est a cet egard inacceptable a plusieurs titres:
l) Elle dissocie dans le Saint-Esprit son hypostase et son essence et
affirme pour celui-ci une double origine: selon l'hypostase et selon
l'essence.
2) Elle fonde cette theorie sur une theorie linguistique artificielle
qui, de maniere inacceptable:
a) reduit le probleme du Filioque a un simple malentendu linguistique;
b) separe une tradition pretendument cappadocienne d'une tradition
pretendument latino-alexandrine (alors que la vraie ligne de partage
passe entre la tradition representee par Tertullien, Augustin et ses
disciples d'une part et les Peres orthodoxes, grecs et latins, d'autre
part).
c) affirme que chacune de ces traditions ne possede qu'une partie de la
verite et est donc complementaire de l'autre.
La «Clarification» vise en fait a relativiser la foi orthodoxe, a en
faire-forte de l'appui, sur ce point, de certains theologiens orthodoxes
latinophrones- un theologoumenon (c'est-a-dire une simple opinion
theologique n'ayant pas valeur de dogme).
Elle cherche dans le meme temps a rendre acceptable aux orthodoxes la
doctrine latine du Filioque:
a) en tentant de lui faire admettre qu'il s'agit la d'un point de vue
complementaire de celui de la tradition cappadocienne (faussement isolee
du reste de la Tradition orthodoxe) et non pas incompatible avec elle;
b) en affirmant l'identite fondamentale de l'affirmation latine que «le
Saint-Esprit procede (procedit) du Pere et du Fils» comprise dans un
sens filioquiste et de l'affirmation, que l'on trouve chez les Peres
grecs, que le Saint-Esprit procede (ou sort: ðñïúÝíáé) du Pere par le
Fils», faussement interprete dans le meme sens filioquiste.
Le point de vue de la «Clarification» reste pour une grande part un
point de vue essentialiste dans la continuite des conciles de Lyon et de
Florence et reste incompatible dans son expression actuelle avec la foi
orthodoxe.
Ce point de vue reste tributaire des confusions qui sont a la base de la
theorie filioquiste «traditionnelle»:
a) la confusion des proprietes hypostatiques et des proprietes de
l'essence (bien que cette confusion se trouve dans la «Clarification»
attenuee par rapport a ses expressions anterieures);
b) la confusion des proprietes hypostatiques entre elles;
c) la confusion entre le plan theologique de l'origine du Saint- Esprit
et le plan economique de son envoi, de sa mission, de sa communication,
de son don dans la creation; de cette confusion resulte une mauvaise
interpretation d'une partie des textes patristiques cites, les formules
que les Peres utilisent dans un sens economique etant faussement
comprises dan un sens theologique;
d) la confusion de l'essence et des energies divines qui fait rapporter
a l'essence divine ce qui concerne les energies, lesquelles rayonnent et
sont manifestees eternellement «autour de l'essence», ou sont
communiquees au sein de la divinite du Pere par le Fils, ou du Pere et
du Fils, au Saint-Esprit; de cette confusion resulte une mauvaise
interpretation d'une autre partie des textes patristiques cites, les
formules que les Peres utilisent en ayant en vue la communication des
energies divines (designees par les Peres orthodoxes tant latins que
grecs sous des formes differentes, mais equivalentes) etant faussement
comprises comme «une communication de la divinite consubstantielle»,
soit de l'essence divine elle-meme, du Pere par le Fils, ou du Pere et
du Fils au Saint-Esprit.
Bien que l'affirmation que «le Saint-Esprit procede du Pere et du Fils»
soit etrangere aux Peres grecs, les theologiens orthodoxes ont fait de
gros efforts pour definir des conditions de recevabilite d'une telle
formule, en considerant notamment ce qui pouvait la rapprocher de
l'affirmation, que l'on trouve chez les Peres grecs, que «le
Saint-Esprit vient du Pere par le Fils», au risque d'exagerer
l'importance de cette derniere formule (dont les occurrences dans les
textes patristiques restent somme toute assez rares) et au risque aussi
de laisser a l'arriere- plan l'immense majorite des textes excluant
l'intervention du Fils dans la procession du Saint-Esprit.
Acceptant de reconnaitre que ces deux formules peuvent avoir un sens non
seulement economique (sens cependant le plus frequent) mais aussi
theologique, la theologie orthodoxe ne peut aller plus loin que de
considerer que ce sens theologique concerne les energies divines.
Le dialogue entre l'Eglise orthodoxe et l'Eglise catholique est jusqu'a
present reste bloque sur ce point parce que la triadologie de l'Eglise
catholique est pour l'essentiel fondee sur la theologie augustinienne et
sur la theologie thomiste. Or la distinction entre l'essence et les
energies divines (qui, rappelons-le, a ete dogmatisee par plusieurs
conciles de l'Eglise orthodoxe et est donc consideree par elle comme une
verite de foi) est exclue par les principes memes de la theologie
augustinienne et de la theologie thomiste, qui -quoique pour des raisons
differentes- affirment toutes deux l'identite de l'essence et des
energies divines: la theologie augustinienne adopte sur ce point les
positions eunomiennes(167), tandis que la theologie thomiste prend pour
base la metaphysique aristotelicienne qui definit Dieu comme «acte pur»
et affirme l'identite en lui de l'essence et de l'energie.
Pour autant que l'Eglise catholique veuille conserver le «Filioque» en
lui donnant un sens acceptable pour la theologie orthodoxe, une
evolution de sa triadologie et un rapprochement veritable de celle-ci
avec la triadologie orthodoxe ne seront possibles que lorsque les
theologies augustinienne et thomiste auront perdu leur hegemonie en son
sein, autrement dit lorsque la theologie latine aura retrouve et
revalorise, en les interpretant dans leur perspective propre (et non a
travers des grilles de lecture augustinienne ou thomiste) les autres
courants theologiques appartenant a sa tradition et se revelant
profondement en accord avec la pensee des Peres grecs. Un espoir se
dessine par la perte d'influence de la theologie thomiste au cours de
ces dernieres decennies et par le recul critique que prennent de plus en
plus de theologiens catholiques vis-a-vis de l'augustinisme, mais aussi,
et plus positivement, par l'attention depassionnee que des patrologues
et theologiens catholiques de grande envergure portent a la theologie
palamite en constatant que celle-ci se situe dans la continuite
traditionnelle de la theologie des Peres grecs anterieurs, dont elle ne
fait qu'expliciter et souligner certains principes(168).
NOTES
1. «Le sens de 1a procession du Saint-Esprit dans 1a tradition latine du
premier millénaire», Contacts, 23, 1971, p. 283-309; «Procession et
ekporèse du Saint-Esprit», Istina, 1972/3-4, p. 345-366 (reprend et
développe Ι'article précédent); «Point de vue catholique sur 1a
situation actuelle du problème du Filioque», dans L. Visher (éd), La
théologie du Saint-Esprit dans le dialogue entre l'Orient et l'Occident
(Document Foi et Constitution no 103), Paris, 1981, p. 165-178;
«Réflexions d'un théologien catholigue sur le «Filioque», dans Le II
concile œcuménique, Signifιcation et actualité pour le monde chrétien
d'aujourd'hui, Chambésy-Genève, 1982, p. 289-298. Ces trois derniers
articles sont repris dans L'Esprit qui «Père!» et le problème du
Filioque, Paris, 1981, avec un article qui les précédait et ébauchait
déjà leur thèse centrale: «Théologie et monarchie, L'entrée dans le
mystère du "sein du Père"», Istina, 15, 1970, p. 435-465.
2. Voir Μoine Hi1arion, «La question du Filioque et de la procession du
Saint-Esprit», Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe
occidentale, 75-76, 1971, p. 171-178;
3. «Ne manquons pas aux bienséances pour des querelles de mots»,
Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 75-76,
1971, p. 179-190. O. Clément écrivait notamment «Je tiens ce jeune moine
pour un génie théologique»; «en ce qui concerne son article sur le
Filioque, oui, à quelques détails près, je suis d'accord» (p. 187-188).
4. «Grégoire de Chypre, "De l'ekporèse du Saint-Esprit"», p. 443- 456.
5. Voir L. Ouspensky , «Quelques remarques à propos d'articles récents
sur la procession du Saint-Esprit», Bulletin orthodoxe, Nouvelle série,
5-7, 1973; Moine Hilarion, «Réflexions d'un moine orthodoxe à propos
d'un "Dossier sur la procession du Saint-Fsprit", publié récemment»,
Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 81-82,
1973, p. 8-34; Hiéromoine Athanase Jevtich, «Introduction à la théologie
du Saint-Esprit chez les Pères Cappadociens», Messager de l'exarchat du
Patriarche russe en Europe ocidentale, 83-84, 1973, p. 145-161;
Archiprêtre V.Palachkovsky, «La controverse preumatologique», Messager
de l'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 85-88, 1974, p.
71-98; Archimandrite Amphilochios Radovitch, «Le Filioque et 1'énergie
incrée de 1a Sainte Trinité selon la doctrine de saint Grégoire
Palamas», Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe
occιdentale, 89-90, 1975, p.11-44; «Le mystère de la Sainte-Trinité
selon saint Grégoire Palamas», Messager de l'exarchat du Patriarche
russe en Europe ocidentale, 91-92, 1975, p. 159-170.
6. Voir «Du personnalisme en pneumatologie», Revue théologique de
Louvain, 6, 1975, p. 3-30, repris dans Patrologie et œcuménisme,
Louvain, 1990, p. 396-423.
7. Ιl s' agit de 1'article du Moine Hilarion cité à 1a note 5.
8. «Du personnalisme en pneumatologie», p. 19 (412).
9. «On retrouve tout l'essentiel des recherches du Père Garrigues dans
1a note du 13 septembre» («Liminaire», Contacts, 48, p. 3).
10. Contacts, 48, 1996, p.3.
11. Ibid, p. 2.
12. Notamment ceux de Bari, 1098 (Mansi, t. 20, col. 947-952); du
Latran, 1215 (Denzinger 800, 805); de Lyon, 1274 (Denzinger 850); de
Florence, 1439 (Denzingeτ 1300-1301).
13. «Clarification», p. 941b.
14. «Vers une vision commune du Mystère trinitaire», p. 89.
15. Ainsi, lorsque, au plus fort de la polémique sur le Filioque,
certains théologiens latins accusaient les Grecs d'avoir enlevé le
«Filioque» du Symbole de foi.
16. «Réflexions d'un théologien catholique sur le Filioque», p. 168.
Souligné par nous.
17. De Trinitate, XV, 25 PL 42, 1094-1095.
18. «Le Saint-Esprit, écrit Augustin, procède principellement
[principaliter] du Père et, par le don intemporel de celui-ci au Fils,
du Père et, le don intemporrel de celui-ci au Fils, du Père et du Fils
en communion [communiter]» (ibid). Saint Augustin explique le
Saint-Esprit procède du Père; mais il ajoute que «le Père a accordé au
Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme il procède de lui-même»
(Tract. in lo., XCIX, 9, PL 35, 1890 = De Trin., XV, 27,48 PL 42,1095;
voir aussi De Trin., XV, 26,47, PL 42, 1094-1095; XV, 1729, PL 42, 1081;
Tract. in lo., XCIX, 8, PL 35, 1890).
19. Traités apodictiques, Ι, 7-8, 11, 23, 28, 32-34, 37. Le texte grec
figure dans le tome 1 de l'édition P.Christou, Suggrammata,
Thessalonique, 1988. Ιl a été traduit en français sous le titre Traités
apodictiques sur procession du Saint-Esprit, Éditions de l'Ancre
[diffusion Cerf] Paris, 1995. Grégoire évitait l'ambiguité de Ιa
première formule latine en précisant que «l'Esprit Saint procède du Père
seul directement et sans médiation (προσεχώς και αμέσως)» (Traités
apodictiques, Ι, 7, éd. Christou, p. 34).
20. Denzinger 1331.
21. La «Clarification» citera elle même plus loin passage du Catéchisme
de l'Église catholique qui, peu après avoir affirmé «le caractère
d'origine première du Père par rapport à l'Esprit», affirme que
«celui-ci tire son origine du Père par le Fils» («Clarification», p.
943b; Catéchisme § 248).
22. C'est ainsi que les défenseurs latins du Filioque avaient l'habitude
d'interpréter les affirmations des Pères orientaux que «le Père est la
seule cause», du Saint-Esprit (voir J. Grégoire, «La relation éternelle
de l'Esprit au Fils d'après les écrits de Jean de Damas», Revue
d'histoire ecclesiastique, 64, 1969, p.717).
23. Β. de Margerie, «L'Esprit qui dit "Père» Orientalia christiana
periodica, 49, 1983, p.162. L'idée d'une compatibilité, aux yeux de la
théologie catholique romaine, entre le Filioque et l'affirmation que le
Saint-Esprit procède du Père seul est également développée par le même
auteur dans un autre article: «L'Esprit vient du Père par le Fils.
Réflexions sur le monopatrisme catholique», Orientalia christiana
periodica, 60, 1994, p. 337-362. Pour ce théologien, la finalité du
dialogue œcuménique et d'amener les orthodoxes à souscrire aux
définitions du concile de Florence (voir «L'Esprit qui dit "Père"», p.
156-157, 161).
24. Somme théologique, Ι.36.2.1, cité par Β.de Margerie, «L'Esprit qui
dit "Père"», p.162-163.
25. Cité dans son introduction par la Documentation catholique, no 2125,
(no) 5 novembre 1995, p. 941.
26. Voir p. 942b.
27. À savoir le articles du P. Garrigues, qui a significativement
reproduit ce texte dans le livre où il les a ressemblés (L'Esprit qui
dit «Père» et le problème du Filioque, Paris, 1981, p. 117-125).
28. «Instruction pastorale de l'episcopat catholique de Grèce», Les
Quatre fleuves, 9, 1979, p. 75-78.
29. Cités à 1a note 1.
30. Loc. cit., p. 76-78.
31. «Clarification», p. 941b.
32. Ibid., p. 942a.
33. Ibid, p. 942b.
34. Nous y reviendrons ci-dessous.
35. «Clarification», p. 942b.
36. Ibid., p. 943b; Catéchisme § 248.
37. «Clarification», p. 942a.
38. Ibid, p. 942b-943a.
39. Ibid, p. 943a. La «Clarification» cite ici un passage de saint
Cyrille lui paraissant aller dans ce sens (Thesaurus, PG 75, 585A).
40. «Clarification», p. 943a.
41. Ibid, L'expression figurait déjà dans le Catéchisme de l'Église
catholigue (§ 248) et de multiples fois dans le artieles du P. Garrigues.
42. «Clarification», p. 943a.
43. Ibid.
44. Th. Pol.,X=Lettre à Marin de Chypre, PG 91,136AΒ.
45. «Clarification, p. 943b. Denziger 805.
46. «Clarification, p. 943b. Denziger 850.
47. «Clarification, p. 943b. Denziger 804.
48. «Clarification», p.943b; Catéchisme 248.
49. Le cardinal von Schönborn, actuellement archevêque de Vienne est en
effet, avec le cardinal Ratzinger (bien connu au sein du catholicisme
comme un rigoureux gardien du dogme), le principal rédacteur du
Catéchisme de l'Église catholique. Rappelons que C. von Schönborn fut, à
l'Institut catholique de Paris, le disciple du Père J.-Μ.Le Guillou et
le condisciple du Père J.-Μ. Garrigues.
50. Comme A. de Halleux , «Du personnalisme en pneumatologie», Revue
théologique de Louvain, 6, 1975, p. 3-30.
51. Voir J.- Μ.Garrigues «Point de vue catholique sur la situation
actuelle du problème du Filioque», p.165-178.
52. Comme O. Clément , à en juger par les modifications apportées à la
section intitulée «Le problème du Filioque» dans l'édition de 1991 de
L'Église orthodoxe, p. 55-77. Voir aussi Β.Βobrinskoy , Le mystère de la
Trinité, Paris, 1986, p. 305.
53. Comme le note le P. Β. Βobrinskoy , «Vers une vision commune du
Mystère Trinitaire», p. 89.
54. «Point de vue catholique sur la situation actuelle du problème du
Filioque», p. 167 s.; «Réflexions d'un théologien catholique sur le
Filioque», p. 293 s.
55. Que le maître du P. Garrigues, le P. J-Μ. Le Guillou a remises en
lumière, dans une perspective qui n'était évidemment pas innocente, en
les plaçant en tête du dossier sur le Filioque qu'il a constitué pour la
revue Istina, 17, 1972, p. 271-272. Le passage concerné des «Thèses» est
cité par J.-Μ. Garrigues , «Point de vue catholique sur la situation
actuelle du problème du Filioque», p. 167-168. Dans son rappel des
principaux contributeurs au débat sur le Filioque depuis le début du
siècle, le P.A. De Halleux présente Β. Βolotov comme le principal
représentant du «courant unioniste» russe («Du personnalisme en
pneumatologie», p. 4 [397], n. 3).
56. «Clarification», p. 944a.
57. Dans le commentaire qu'il fait de la «Clarification», J.-Μ.
Garrigues souligne d'ailleurs l'accord de cet argument avec la
conception de saint Augustin, d'une part, et avec les définitions des
conciles de Lyon ΙΙ et de Florence, d'autre part («La Clarification sur
Ιa procession du Saint-Esprit et l'enseignement du concile de Florence»,
Irénikon, 68, 1995, p. 503).
58. Voir J.-Μ. Garrigues , «Réflexions d' un théologien sur le
Filioque», p. 289-298.
59. «Clarification», p.944a.
60. Ibid. Souligné par nous.
61. Ibid.
62. La «Clarification» donne une citation de saint Jean Damascène p. 944a.
63. «La Clarification sur la procession du Saint-Esprit et
l'enseignement du concile de Florence», p.501-506.
64. «Clarification», p. 944a.
65. Ibid.
66. Ibid.
67. Ibid, p. 944b.
68. Th.Pol., X, PG, 91,133D-136c.
69. Voir infra et le long commentaire que nous fait du texte de Maxime
dans notre livre Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et
l'Occident, Paris, 1998, chapitre 2: «La question du Filioque».
70. «Du personnalisme en pneumatologie», p.20.
71. Par exemple saint Jean Damascène utilise εκπορεύεσθαι pour signifier
la venue du Saint-Esprit à partir du Père par le Fils dans un sens
économique (De fide orth., I, 12, PTS 12, p.36), de même que saint
Maxime le Confesseur (Thal, LXII, PG 90, 672C, CCSG 22, p. 155). Le mot
peut avoir un sens beaucoup plus large encore comme le souligne saint
Grégoire Palamas en citant des passages de l'écriture où il est utilisé
dans les sens les plus variés (Traités apodictiques ΙΙ, 73-74).
72. Ainsi non seulement saint Cyrille d'Alexandrie dit tenir προχείσθαι
pour un équivalent de εκπορεύεσθαι (Ep., IV, PG 77, 316D), mais saint
Grégoire de Nazianze utilise προϊέναι pour dire que le Saint-Esprit
tient du Père seul son existence personnelle (Disc.,XX, 11, SC 270,
p.78; XXX, 19, SC 250, p. 266; XXXΙX, 12, SC 3589, p.174), de même que
saint Cyrille d' Alexandrie (loc. cit.).
73. «Du personnalisme en pneumatologie», p. 22.
74. Le mystère du Père, Paris, 1973, p. 59-130. Voir A.De Halleux, «Du
personnalisme en pneumatologie», p.23: «Le P.Garrigues semble devoir son
appréciation péjorative de la théologie cappadocienne au P. Le Guillou,
lui-même inspriré en partie par la thèse du P.A. Malet sur saint Thomas
d'Aquin».
75. On peut se demander cependant dans quelle mesure la triadologie de
Tertullien, élaborée pour l'essentiel durant sa période montaniste, a
pour la tradition latine elle-même une valeur normative.
76. Voir notre livre Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et
l'Occident Paris, 1998, chapitre 2: «La question du Filioque».
77. Voir ibid Signalons que la critique moderne a établi que la Lettre
de Léon le Grand à Turribius d'Astroga (Denzinger 284), régulièrement
citée par les partisans du Filioque (et par la «Clarification») comme
une référence patristique majeure a été composée par un faussaire après
le concile de Braga (563) (voir A. Κustle , Antipriscilliana, Fribourg
1905, p.126, signalé et admis par l'introduction de Denzinger 284).
78. Voir par exemple saint Jean Damascéne , De fide orthodoxa, Ι,8, PG
94, 817-820, PTS 12, p.24: «seul le Saint-Esprit, procédant de l'essence
dur Père, n'est pas engendré mais procède (μόνoν το πνεύμα το άγιoν
εκπoρευτόν εκ της oυσίας τoυ πατρός ου γεννώμενoν αλλ' εκπoρευόμενoν).»
79. Maxime le Confesseur, Th. Pol., XXXΙΙΙ, PG 91, 264A. Jean Damascène
De fιde orth., ΙΙΙ, 9, PG 94, 1016-1017, PΤ'S 12 p. 128.
80. On peut encore noter à ce propos ce que dit V. Lossky: «Si les
personnes existent, c'est justement parce qu'elles ont la nature; leur
procession même consiste à recevoir la nature du Père» (Théologie
mystique de l'Église d'Orient, Paris, 1944, p. 61).
81. Chez saint Basile de Césarée, Ep., XXXVIII, 4, éd. Courtonne, t. Ι,
p. 85.
82. Voir par exemple Grégoire de Νazianze , Disc., XX, 7, SC 270, p. 70;
XXΙ, 14, SC 250, p. 302-304.
83. Ainsi saint Jean Damascène écrit: «Le Père a l'être par lui-même et
il ne tient d'un autre rien de ce qu'il a. Au contraire, il est la
source et le principe pour tous de leur nature et de leur manière
d'être. [...] Donc tout ce qu'ont le Fils et l'Esprit et leur être même,
ils le tiennent du Père» (De fίde orth., Ι, 8, PTS 12, p. 26).
84. Saint Marc d'Éphèse, ayant sans doute en vue une théorie analogue à
celle du P. Garrigues et de la «Clarification» aνancée par les Latins de
son époque, avait pris soin de préciser: «Ce n'est pas du Fils que
l'Esprit Saint tire Son existence ni qu'il recoit Son être (ουκ άρα εκ
τoυ Υιού υφέστηκεν oυδέ τo είναι έχει το Πνεύμα το άγιον)», le premier
terme se référant à l'hypostase et le second à l'essence (Conf. fιdei,
Ι, PO XVII, p. 438 [300]).
85. De Spir. Sanct., XVIII, 45, SC 17bis, p. 408.
86. Τhal., LXIII, PG 90, 672C, CCSG 22, p.155.
87. Dial. contr. Μanich., 5, PG 94. 1512Β. PΤS 22. p. 354.
88. De fide orth., I,12, PG 94, 848D-849A, PTS 12, p. 36.
89. De Spir. Sanct., XVIII, 46, SC l7bis, p. 408.
90. «Point de vue catholique sur 1a situation actuelle du problème du
Fίlioque», p. 170-171.
91. Que nous avons commentés dans notre étude: Maxime le Confesseur,
médiateur entre l'Orίent et l'Occident, chapitre 2: «La question du
Filioque».
92. Thaλ, LXII, PG 90, 672C-D CCSG 22, p.155.
93. On trouvera un commentaire détaillé de ce texte et des autres textes
de Μaxime sur le même sujet dans notre étude: Maxime le Confesseur,
médiateur entre l'Orient et l'Occident, chapitre 2: «La question du
Filioque».
94. Voir notre article: «Nature et fonction de la théologie négative
selon Denys l'Aréopagite», Le Messager orthodoxe, 116, 1991, p. 4-7.
95. Dial. contr. Μanich., 5 PG 94, 1510C-1512A, PTS 22, p.354.
96. Voir A. De Halleux , «"Manifesté par le Fils". Aux origines d'une
formule pneumatologique», Revue theologique de Louvain, 20,1989, p.3-31,
repris dans A. de Halleux , Patrologie et œcuménisme, Leuven, 1990,
p.338-366.
97. Voir A. De Halleux , «Cyrille, Théodoret et le Filioque», Revue
d'histoire ecclésiastique, 74, 1979, p. 597-625.
98. Comme nous l'avons montré dans notre étude: Maxime le Confesseur
médiateur entre l'Orient et l'Occident, chapitre 2: «La question du
Filioque».
99. Ainsi les théologiens de toutes confessions réunis à Klingenthal
(23-27 mai 1979) à l'initiative de la commission «Foi et Constitution»
du C.O.E., ont officiellement adopté l'idée, fortement soutenue par le
P.Garrigues dans la communication qu'il a présentée lors de cette
réunion, que «l'Esprit procède du Père qui engendre le Fils». Se
référant à cette réunion, O. Clément note: «Un accord semble possible
par le rapport des relations toujours uni-trinitaires en Dieu,
c'est-à-dire par l'affirmation que l'Esprit procède du Père du Fils»
(L'Église orthodoxe, Paris, 1991, p.57).
100. Traités apodictiques, I, 21, éd. Christou, Suggrammata, t.1, p. 50.
101. Pseudo-Denys, De divinis nominibus, ΙΙ, 8, PG 3, 645C.
102. Ce reproche était déjà fait aux Latins par Nil Cabasilas, Sur la
procession du Saint-Esprit Ι, 33.
103. «Clarification», p. 944a.
104. Voir notamment le longues démonstrations de saint Grégoire Palamas,
Traités apodictiques, Ι, 23, 26, 28, 32-37.
105. Cela est souligné et démontré maintes fois, contre les positions
latines, par Grégoire Palamas , Traités apodictiques, Ι, 7, 8, 11, 18,
23, 26, 28, 32, 33, 37; ΙΙ, 20, 50, 52, 55, 56, 70, 75, 76, 81. Grégoire
se réfère aux enseignements de Pères grecs qui l'ont précédé, rappelant
notamment cette remarque de saint Grégoire de Nysse: en ce qui concerne
les personnes humaines, «les causes sont nombreuses et différentes»,
mais «il n'en va pas de même en ce qui concerne la Sainte Trinité. Car
il y a une seule et même personne, celle du Père, de laquelle le Fils
est engendré et dont l'Esprit procède» (Ad Graecos Ex communibus
notionibus, PG 45, 180BC, GNO ΙΙΙ,1, p.25).
106. Cette objection s'applique plus encore a la conception filioquiste
la plus stricte selon laquelle le Saint-Esprit recevrait du Père et du
Fils ensemble, non seulement la nature divine mais son hypostase.
107. «Clarification», p. 943b.
108. Ce qui retient la théologie latine de tirer une telle conséquence
est qu'elle considère l'ordre: Père-Fils-Saint-Esprit comme un ordre
d'origine des personnes (et non comme la théologie orthodoxe, de leur
manifestation) devant être absolument respecté.
109. «Clarification», p. 942b-943a.
110. Thesaurus, PG 75, 585A.
111. «Clarification», p.943a.
112. Souligné par nous.
113. Nous en avons cité et commenté un certain nombre dans notre étude
Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et l'Occident Paris,
1998, chapitre 2: «La question du Filioque».
114. Voir l'excellente étude de A. De Halleux , «Cyrille, Théodoret et
le Filioque Revue d'histoire ecclésiastique, 74, 1979, p.597-625.
115. Nous rejoignons leur avis dans les commentaires des textes de
Cyrille que nous proposons dans notre étude Maxime le Confesseur,
médiateur entre l'Orient et l'Occident, Paris, 1998, chapitre 2: «La
question du Fίlioque».
116. A. De Halleux , «Cyrille, Τhéodoret et le Filioque», p. 614; voir
le détail de l'argumentation p. 614-617. Voir aussi J. Μeyendorff, «La
procession du Saint- Esprit chez les Pères orientaux», Russie et
chrétienté, 2,1950, p. 164-165. Cyrille va jusqu'à comprendre l'ekporèse
elle-même dans un sens économique (cf. A. De Halleux, op. cit.,p.615).
117. A. De Halleux , op.cit., p. 614. Cette interprétation confirme
celle de J. Meyendorff, op. cit., p.164-165.
118. A. De Halleux, op. cit., p. 616.
119. Introduction à Cyrille d'Alexandrie, Dialogues sur la Trinité, t.
1, SC 231, p. 66.
120. P. 943a.
121. Note 4, p. 945a.
122. Lettres à Sérapion, ΙΙΙ, 1, PG 26, 625Β.
123. 624C-628A.
124. Lettres à Sérapion, ΙΙΙ, 2, PG 26, 628A. Souligné par nous.
125. Ibid, Ι, 20, PG 26, 577C-580A.
126. Note 4, p. 945a.
127. Traité du Saint-Esprit, 153, PG 34, 106A, SC 386, p. 284-286.
128. Note 2, p. 944b-945a.
129. De Trinitate, XΙΙ, PL 10, 471.
130. Ibid., VIII, 20, PL 10, 250C-252A.
131. De Spiritu Sancto, I, 11, 120, PL 16, 733A/762D.
132. Ibid, 11, 120, PL 16, 762C-763A.
133. La signification «économique» de ce passage est honnêtement
reconnue par Th. Camelot qui se montre pourtant un fervent partisan de
la dotrine latine du Filioque («La tradition latine sur la procession du
Saint-Esprit "a Filio" ou "ab utroque"», p. 185).
134. Alias Serm., 62 (LXXV), 3, SC 74, p. 146-147.
135. Serm., 62 (LXXV), 3, SC 74, p.146-147.
136. Cette distinction se retrouve très mettement dans le sermon suivant
où Léon écrit: «le cinquantième jour après la résurrection du Seigneur,
le dixième après son ascension, le Saint-Esprit promis et espéré fut
répandu sur les disciples du Christ. [...] Que les dons divins se
répandent donc dans tous les cœurs» (Serm., 63 (LXXVI), 1 SC 74, p.149).
Voir aussi ibid., 4 p.151: «Les bienheureux apôtτes eux-mêmes, avant la
Passion du Seigneur n'étaient pas privés du Saint-Esprit, pas plus que
la puissance de cette vertu n'était absente des œuvres du Sauveur».
137. Voir aussi Sernι., 63 (LXXVI), 1, SC 74, p.149: «L'immuable
divinité de cette bienheureuse Trinité est une dans sa substance,
indivisée dans son action (indivisa in opere), unanime dans sa νolonté,
pareille dans sa puissance, égale dans sa gloire». Cf ibid, 3, p.151.
138. «Εx eo quod» indique très clairement l'essence ou ce qui s'y
rapporte, et non pas les personnes comme voudrait le laisser supposer le
traducteur de l'édition des Sources chrétiennes, dans l'intention
probable de favoriser un interprétation filioquiste, en traduisant
inexactement: «à partir de ce qui est le Père et le Fils» (loc.cit, p.146).
139. Ce que reconnaît J.-Μ. Garrigues , «Procession et ekporèse du
Saint- Esprit», p. 356.
140. Citons à titre d'exemple cette remarque caractéristique que lorsque
le Christ souftlait sur ses Apôtres en leur disant «Recevez l'Esprit
Saint", «Ιl montrait ouvertement ce qu'il donnait par Sa spiration dans
le secret de la vie divine» (Cont. Μax., XIV, 1, PL 42, 770).
141. «Clarification», p. 944.
142. De Τrin., IV, 9,12, PL 42, 896.
143. Ibid., VI, 5, 7, PL 42, 928.
144. Serm., LXXI, 12, 18, PL 38, 454.
145. Ibid., 20, 33, PL 38, 463-464.
146. «Clarification» p. 945b, note 11.
147. Capita physica, XXXVI, PG 150, 1144D-1145A.
148. Voir le commentaire détaillé de cette formule palamite par Mgr
Amphilochios Radovitch, «Saint Grégoire Palamas et la doctrine du
Filioque», Le Messager orthodoxe, 110, 1989, p.76-79.
149. Voir J. Romanidis, Franks, Feudalism and Doctrine, Brookline, 1981,
p. 60-98.
150. Voir parmi les textes plus connus: De Trin., V,14, PL 42, 921; XV
17,29 PL 42, 1081; 26,47, PL 42, 1094-1095; Tract. in lo., XCIX, 8, PL
35, 1890; 67, PL 35, 1888-1889; Contr. Max., II, XIV, 1, PL 42, 770-771.
151. Voir notamment J. Romanidis, Franks, Romans, Feudalism and
Doctrine, p. 60-98.
152. Introduction à œuvres de Saint Augustin, 15, La Trinité, Paris
1955, p.22
153. Texte cité à la note 37.
154. «Clarification», p. 943a.
155. Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et l'Occident,
Chapitre 1: «La question du Filioque».
156. Professien de foi traditionnellement envoyée par le pape et les
patriarches à leurs pairs lors de leur élection.
157. Th. Pol., X= Lettre à Marin de Chypre, PG 91, 136AΒ.
158. Voir notre étude: Maxime le confesseur, médiateur entre l'Orient et
l'Occident, chapitre 2: «La question du Filioque».
159. Ibid
160. Comme le remarque le P. Placide Deseille , «Saint Augustin et le
Filioque», Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe
occidentale, 109-112, 1982, p.68-69.
161. Ad lo. diac., PL 129, 560-561A.
162. Th.Pol, X, PG 91, 136Β.
163. Notons en passant que dans un article postérieur à la publication
de la «Clarification», J.-Μ. Garrrigues évoque «les impasses de la
justification filioquiste scolastique», pour mieux se livrer à une
apologie de la triadologie thomiste («À la suite de la clarification
romaine: le Filioque affranchi du «filioquisme», Irénikon, 59, 1996, p.
189-212).
164. «Clarification», p. 943b. Voir aussi J.-Μ. Garrigues , «La
Clarification sur la procession du Saint-Esprit et le concile de Florence».
165. Voir A.Papadakis, Crisis in Byzantium. The Filioque Controversy in
the Patriarchate of Gregory of Cyprus (1283-1289), New-York, 1983.
166. «La Clarification sur la procession du Saint-Esprit et le concile
de Florence», p.502.
167. Voir J. Romanidis, Franks, Romans, Feudalism and Doctrine, p.77 s.
168. Nous avons en vue en particulier les travaux du cardinal C. Journet
(«Palamisme et thomisme», Revue thomiste, 60, 1960, p. 437-441, et du
P.A. de Halleux (voir notamment «Du personnalisme en pneumatologie»,
Revue théologique de Louνain, 6, 1975, p. 3-30).
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Jacques 2:6 Mais vous, vous avez méprisé le pauvre. Les riches ne vous
oppriment-ils pas, et ne sont-ce pas eux qui vous tirent devant les
tribunaux?
7 Ne sont-ce pas eux qui blasphèment le beau nom qui a été invoqué sur
vous?
Jacques 2:6 Mais vous, vous avez méprisé le pauvre. Les riches ne vous
oppriment-ils pas, et ne sont-ce pas eux qui vous tirent devant les
tribunaux?
7 Ne sont-ce pas eux qui blasphèment le beau nom qui a été invoqué sur
vous?