charles CHASSON
2004-10-14 14:29:17 UTC
Qui a écrit le Pentateuque ou comment cacher la vérité sur la
complexité de la Bible.
Charles Chasson
Pour un fondamentaliste comme le sont les Témoins de Jéhovah, la Bible
est une. Son auteur est Dieu, qui a utilisé comme secrétaire une
quarantaine d'écrivains. Quand la Bible déclare qu'un livre a été
écrit par une personne, elle ne peut se tromper.
Ainsi Jésus a identifié l'auteur du Pentateuque à Moïse, en conformité
avec les croyances de ses contemporains. Dès lors, pour un
fondamentaliste biblique, il n'est plus possible d'attribuer une autre
source au Pentateuque, Jésus a validé la tradition de son époque dans
la Bible, donc cette tradition était vraie.
Voici ce que peut produire l'autorité théologique des Témoins de
Jéhovah appelé par eux Collège Central en rapport avec le problème
complexe de la paternité des écrits du Pentateuque. Cet article
intitulé « Qui a écrit le Pentateuque » est paru dans une de leur
revue nommée Réveillez-vous du 22 Avril 2004. Il est interessant à
plus d'un titre:
Nous allons voir comment la Société Watchtower entend présenter à ses
lecteurs souvent acquis à sa cause, un point de vue adverse à sa
théologie. On pourra ensuite étudier comment elle répond à la théorie
présentée, et avec quelles références.
Tout d'abord abordons rapidement un point. Comment la Watchtower
présente son point de vue dans cet article. Elle déclare au début:
« La tradition attribue à Moise les cinq premiers livres de la Bible,
ou Pentateuque. »
Notez ici un point important, car d'habitude pour les Témoins de
Jéhovah, ce n'est pas la tradition mais la Bible qui fait autorité.
Pour les Témoins de Jéhovah, la tradition est un terme souvent
péjoratif, vécue comme contraire aux écritures, les hommes ayant
préférés leurs traditions à l'enseignement biblique. Ainsi Jésus
critiquait les pharisiens de son époque pour « leurs traditions » de
même les Témoins de Jéhovah critiquent les autres religions
chrétiennes pour « leurs traditions contraires aux Saintes Ecritures »
telle que la Trinité, l'immortalité de l'âme.
En dehors des écrits du Nouveau testament qui reprennent sans les
changer les traditions de l'époque, nulle part la Bible n'identifie
l'auteur des 5 premiers livres de la Bible. Certes ces 5 livres et
particulièrement les 4 derniers sont une vie du peuple d'Israël sous
la conduite de Moïse, mais il n'est pas dit exprèssément que c'est
Moïse qui les a écrits ou en tout cas qui les a compilés sous la forme
que nous connaissons. Ici la société Watchtower reconnaît sans s'y
attarder qu'en dehors de la tradition juive reprise par Jésus, elle
n'a aucune preuve pour attribuer la paternité du Pentateuque à Moïse.
L'auteur de la Société Watchtower fait néanmoins une concession:
« Moise a peut-être puisé ses renseignements dans des sources
historiques plus anciennes. »
Notez bien le « peut-être » . En effet même pour la chronologie
jéhoviste de la Bible, Moïse a vécu près de 2500 années après le
premier homme Adam dont il est censé avoir écrit l'histoire dans le
livre de la Genèse. Il faut bien qu'il ait basé son récit sur quelques
choses de solide pour rapporter des évènements si éloignés de son
temps, dès lors par cette phrase qui semble anodine, la Société
Watchtower évoque sans l'aborder de front, une des critiques à sa
théorie.
1/ Comment la société Watchtower présente la théorie des documents
Si nous lisons la suite de l'article,
« Toutefois, de nombreux critiques pensent qu'il n'est en rien
l'auteur du Pentateuque. " II est plus clair que le jour [...] que ce
n'est point Moïse qui a écrit le Pentateuque ", affirmait au XVIIe
siècle le philosophe Spinoza. Dans la seconde moitié du XIXe siècle,
le bibliste allemand Julius Wellhausen rendit populaire la théorie "
documentaire ", selon laquelle les livres de Moïse auraient été un
amalgame des oeuvres de plusieurs auteurs ou équipes d'auteurs. »
Notez ici le résumé de la théorie. Il n'est rapporté ici que les
affirmations de Spinoza et à aucun moment les raisons qui ont amené
Spinoza a ne plus croire que Moïse était l'auteur du Pentateuque. De
la manière dont est présenté l'affaire, il semble que Spinoza ait eu
juste envie de douter de l'autorite de Moïse.
Nous sommes dès lors obligé de combler le manque de l'article de
Réveillez-vous .
Qu'est ce qui a pu faire douter Spinoza et bien d'autres avant ou
après lui ?
Nous venons déjà de voir que Moïse a rapporté des évènements qui sont
censés avoir eu lieu 2500 années avant lui, voici un point qui a fait
douté Spinoza. Comment Moïse pouvait-il être au courant de ces faits ?
Les Témoins de Jéhovah pensent donc que Moïse ait pu utilisé des
rouleaux postérieurs à lui. Ce qui est interessant avec ce point de
vue, c'est qu'en fait la théorie documentaire ne fait qu'élargir cette
idée à tout le pentateuque et pas seulement à la Genèse, dès lors
comment les Témoins de Jéhovah peuvent-ils tracer une frontière entre
ce qui est vraiment de la main de Moïse, de ce qui n'est qu'un écrit
compilé ?
Le fait que le Deutéronome décrive la mort de Moïse au chapitre 34 est
aussi éclairant. Moïse ne pouvait pas rapporter sa propre mort. Les
Témoins de Jéhovah pour résoudre ce problème suive l'avis du Talmud
qui pense que Josué aurait écrit ce chapitre.
Les Témoins de Jéhovah sont donc prêt à accepter que le livre de la
genèse ne soit qu'une compilation faite par Moïse et que la fin ne
vienne pas de Moïse, reste à comprendre pour quelles raisons, ne
veulent-ils pas que le reste subisse le même traitement en dehors de
l'avis de Jésus qu'il cite régulièrement ?
Car et le point important est là, en plein coeur du Pentateuque, et
pas seulement au début ou à la fin, on trouve aussi des traces de
compilation du texte par d'autres auteurs que Moïse. Un exemple parmi
d'autres qui nous vient du rabbin Abraham Ibn Ezra, l'inspirateur de
Spinoza et que je tire de l'excellent livre de Jean Louis Ska intitulé
Introduction à la lecture du Pentateuque P. 149 :
« Le livre du Deutéronome abonde en difficultés. Quand il est dit en
Dt 1,1: 'Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël, de
l'autre côté du Jourdain', l'auteur de ces paroles doit se trouver
dans la terre promise, c'est à dire l'actuelle Cisjordanie. Or, Moïse
est toujours resté en Transjordanie. »
On peut ajouter aussi, que Moïse ici, parle de lui à la troisième
personne au lieu d'utiliser comme d'autres prophètes dans la Bible le
« Je » , les Témoins de Jéhovah prétendent qu'il parlerait ainsi en
raison de sa grande humilité, néanmoins on se rend compte ici que son
humilité, l'a poussé même à se délocaliser en terre promise, endroit
ou selon la Bible Dieu ne lui a pas permis de mettre les pieds durant
toute sa vie !
Ceci n'est qu'un exemple, pour illustrer les raisons qui ont poussés
certains biblistes à la suite de Spinoza, à proposer l'idée de
plusieurs sources ayant servies à la composition du pentateuque.
Pour illustrer plus précisément les nombreux problèmes rencontrés dans
le texte du Pentateuque, citons trois versions différentes de la même
loi, la loi sur les esclaves.
Je vais vous citer les trois passages du Pentateuque concernant cette
loi, il va falloir prendre le temps, de lire ces trois passages, de
les comparer par vous-même dans un premier temps, pour voir si vous en
appercevez vous-même les différences. Ensuite, vous pourrez lire les
questions, qui vous orienterons clairement vers les différences entre
ces versions.
Citons d'abord les trois passages tiré de la Bible Segond:
Exode 21:2-11
2 Si tu achètes un esclave hébreu, il servira six années; mais la
septième, il sortira libre, sans rien payer.
3 S'il est entré seul, il sortira seul; s'il avait une femme, sa
femme sortira avec lui.
4 Si c'est son maître qui lui a donné une femme, et qu'il en ait eu
des fils ou des filles, la femme et ses enfants seront à son maître,
et il sortira seul.
5 Si l'esclave dit: J'aime mon maître, ma femme et mes enfants, je
ne veux pas sortir libre, -
6 alors son maître le conduira devant Dieu, et le fera approcher de
la porte ou du poteau, et son maître lui percera l'oreille avec un
poinçon, et l'esclave sera pour toujours à son service.
7 Si un homme vend sa fille pour être esclave, elle ne sortira point
comme sortent les esclaves.
8 Si elle déplaît à son maître, qui s'était proposé de la prendre
pour femme, il facilitera son rachat; mais il n'aura pas le pouvoir de
la vendre à des étrangers, après lui avoir été infidèle.
9 S'il la destine à son fils, il agira envers elle selon le droit
des filles.
10 S'il prend une autre femme, il ne retranchera rien pour la
première à la nourriture, au vêtement, et au droit conjugal.
11 Et s'il ne fait pas pour elle ces trois choses, elle pourra
sortir sans rien payer, sans donner de l'argent.
Deutéronome 15:12-18
2 Si l'un de tes frères hébreux, homme ou femme, se vend à toi, il
te servira six années; mais la septième année, tu le renverras libre
de chez toi.
13 Et lorsque tu le renverras libre de chez toi, tu ne le renverras
point à vide;
14 tu lui feras des présents de ton menu bétail, de ton aire, de ton
pressoir, de ce que tu auras par la bénédiction de l'Éternel, ton
Dieu.
15 Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d'Égypte, et que
l'Éternel, ton Dieu, t'a racheté; c'est pourquoi je te donne
aujourd'hui ce commandement.
16 Si ton esclave te dit: Je ne veux pas sortir de chez toi, -parce
qu'il t'aime, toi et ta maison, et qu'il se trouve bien chez toi, -
17 alors tu prendras un poinçon et tu lui perceras l'oreille contre
la porte, et il sera pour toujours ton esclave. Tu feras de même pour
ta servante.
18 Tu ne trouveras point dur de le renvoyer libre de chez toi, car
il t'a servi six ans, ce qui vaut le double du salaire d'un
mercenaire; et l'Éternel, ton Dieu, te bénira dans tout ce que tu
feras.
Lévitique 25:39-46
« 9 Si ton frère devient pauvre près de toi, et qu'il se vende à
toi, tu ne lui imposeras point le travail d'un esclave.
40 Il sera chez toi comme un mercenaire, comme celui qui y demeure;
il sera à ton service jusqu'à l'année du jubilé.
41 Il sortira alors de chez toi, lui et ses enfants avec lui, et il
retournera dans sa famille, dans la propriété de ses pères.
42 Car ce sont mes serviteurs, que j'ai fait sortir du pays
d'Égypte; ils ne seront point vendus comme on vend des esclaves.
43 Tu ne domineras point sur lui avec dureté, et tu craindras ton
Dieu.
44 C'est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave
et ta servante qui t'appartiendront, c'est d'elles que vous achèterez
l'esclave et la servante.
45 Vous pourrez aussi en acheter des enfants des étrangers qui
demeureront chez toi, et de leurs familles qu'ils engendreront dans
votre pays; et ils seront votre propriété.
46 Vous les laisserez en héritage à vos enfants après vous, comme
une propriété; vous les garderez comme esclaves à perpétuité. Mais à
l'égard de vos frères, les enfants d'Israël, aucun de vous ne dominera
avec dureté sur son frère. »
J'espère que vous avez joué le jeu. Il serait dommage de passer à côté
de ce cas d'espèce. Imaginez-vous maintenant être un israélite
souhaitant posséder des esclaves et voulant se renseigner dans la loi
de Moïse des modalités de cette possession d'esclave. Maintenant voici
les questions toujours extraites de l'excellent livre de Jean-Louis
Ska (page 69):
«Quelle loi s'impose en matière d'esclavage ? Ainsi, faut-il libérer
l'esclave après six ans (Deutéronome, Exode) ou bien quand on célèbre
l'année jubilaire (Lévitique) ? Après six ans, faut-il libérer
seulement l'esclave (Exode) ou bien aussi la servante (Deutéronome) ?
Est-il licite d'acquérir un esclave hébreu (Exode, Deutéronome) ou
est-ce interdit (Lévitique) ? »
Et oui, ces textes ne sont pas en accord sur le moment de la
libération de l'esclave, sur la possibilité de libération des femmes
esclaves et sur le fait de prendre un israélite ou pas comme esclave.
Rien que çà.
C'est avec cette exemple en tête que vous comprenez pourquoi «
Wellhausen a échafaudé sa théorie » dont l'article de la Watchtower se
contente de donner un résumé:
« Wellhausen affirmait qu'un de ces auteurs employait invariablement
le nom personnel de Dieu, Jéhovah ; il l'a donc surnommé J. Un autre,
surnommé E, parlait de Dieu comme d' " Élohim ". Un autre encore, P,
aurait écrit les règles de la prêtrise dans le Lévitique, et un
dernier, appelé D, aurait écrit le Deutéronome. Bien que de nombreux
spécialistes aient adhéré à cette théorie pendant des décennies,
Joseph Blenkinsopp, dans un livre intitulé Le Pentateuque (angl.),
parle de l'hypothèse de Wellhausen comme d'une théorie" en crise ". »
Si vous ne connaissez pas la théorie documentaire, comme sûrement la
majorité des Témoins de Jéhovah qui ont lu cet article, vous ne pouvez
pas noter en quoi cette présentation anodine, présente encore un
danger. L'auteur de la Watchtower tente d'isoler la théorie de
Wellhausen du mouvement de pensée qui en a donné naissance.
Un siècle avant Wellhausen, il y avait déjà pas moins de trois
théories en présence:
La théorie des documents qui stipule que le Pentateuque actuel a été
composé à partir de plusieurs documents parallèles, complets et
indépendants. (Théorie que Wellhausen approfondira mais dont il n'a
pas la paternité !!)
La théorie des fragments qui stipule qu'à l'origine existait une
foultitude de textes séparés et incomplets qui ont été réunis par la
suite pour faire un tout cohérent bien après la mort de Moïse.
La théorie des compléments qui pense qu'il faille partir d'un document
de base sur lequel on a greffé au fur et à mesure du temps d'autres
textes. (Voir Introduction à la lecture du Pentateuque de Jean-Louis
Ska pages 148-150)
Ainsi toujours Jean-Louis Ska dans son livre, présente la théorie de
Wellhausen comme la théorie documentaire classique (P.155), celle qui
a fait autorité jusque dans les années 1970.(P.182), ce qui ne veut
pas dire que pendant tout ce temps, il n'y ai pas eu d'autres idées et
théories sur le Pentateuque. D'ailleurs le premier à avoir vraiment
évoqué la séparation des sources en Elohiste et Yahviste c'est Jean
Astruc, un français, qui en 1753 publia son livre anonymement.
Pour conclure ce développement j'aimerais encore citer Jean-Louis Ska
(P.80):
« On caricature facilement une certaine analyse qui réussit à
distinguer diverses sources et rédactions jusqu'au sein d'un seul
verset. Il semble que les seuls outils de l'exégète soient les
'ciseaux et la colle'. Ce n'est pas tout à fait exact.
Avant d'affronter les diverses théories sur la composition du
Pentateuque, il faut se rendre compte qu'il existe de réels problèmes
que nul lecteur sérieux ne peut ignorer. D'ailleurs, aucun exégète
quelque peu attentif ne nie la présence de doublets, tensions et
contradictions dans le Pentateuque. S'il y a désaccord, c'est
uniquement sur la manière d'expliquer ces phénomènes » (La mise en
gras n'existe pas dans le texte original)
Ainsi la présentation de la théorie des documents faite par la Société
Watchtower est lacunaire, ni elle n'explique pourquoi les exégètes en
sont arrivés là, ni elle n'explique vraiment la diversité des théories
en présence. On peut se douter des raisons qui l'on poussées à agir
ainsi, en étant laconique sur les problèmes que pose le Pentateuque,
la Société Watchtower n'a pas à répondre à ces problèmes
insurmontables pour une vision fondamentaliste de la Bible comme la
sienne, en isolant Wellhausen, si on lui trouve des critiques, et
forcément il y aura des critiques puisqu'il s'agit d'une théorie parmi
d'autres, alors c'est l'ensemble de la théorie documentaire qu'on
essaiera de discréditer.
2/ Comment la Société Watchtower critique la théorie documentaire
Une fois que l'on a présenté de manière simpliste les idées de nos
adversaires, il est bien plus facile de les contredire. Pour la
société Watchtower l'unique argumentation de Wellhausen et même
l'unique preuve du travail de plusieurs auteurs dans la formation du
Pentateuque, se matérialise dans la présence du nom de Dieu ou pas
dans un passage biblique, ou des différences de styles rencontrées.
Les exemples que j'ai cité sont ignorés car bien plus problématiques.
Tout comme pour la théorie de l'évolution, la société Watchtower
mélange les faits de la théorie. Dans notre cas, les faits, ce sont
les contradictions du Pentateuque, et les traces de rédaction
postérieures à Moïse dont j'ai présenté deux exemples. La théorie, et
particulièrement celle de Wellhausen, c'est le découpage en document
ou fragments ou compléments suivant les avis de l'exégète qui présente
sa théorie. Vous l'avez donc compris quand Blenkinsopp, cité par
l'article de la Watchtower, parle de la théorie de Wellhausen comme
une théorie en crise, il ne pense pas qu'il n'y ait pas différentes
sources dans le Pentateuque, il pense que Wellhausen s'est trompé dans
son découpage, dans sa vision de documents séparés, etc...
Et pour cause, Blenkinsopp, le seul auteur moderne cité (1992) dans
l'article de la Watchtower est aussi une référence fréquemment cité du
livre de Jean-Louis Ska.
Dans une note en bas de page, Jean-Louis Ska présente même l'avis de
Blenkinsopp, et évidemment il ne croit pas que Moïse soit le seul et
unique auteur du Pentateuque (P.194):
« [Blenkinsopp] (Pentateuch pp.229-243) pense que le Pentateuque est
composé de deux 'strates', l'une de type deutéronomiste, et composée
selon le modèles de l'histoire deutéronomiste et l'autre d'origine
sacerdotale. Il fait également référence à l'ouvrage de P. Frei et à
l'autorisation impériale perse pour expliquer l'origine du Pentateuque
actuel. »
Si l'auteur de la Watchtower a vraiment lu le livre de Blenkinsopp
qu'il cite, il connait parfaitement l'avis de celui-ci. A vrai dire,
en lisant les nombreuses notes en bas de page du livre de Jean-Louis
Ska, on arrive à savoir le contenu du livre de Blenkinsopp puisqu'il y
ait abondamment cité. Toutes les informations données dans cette page
sont contenues dans le livre de Blenkinsopp.
Je vous laisse juger par vous-même de l'honnêteté intellectuelle de
l'auteur de l'article de la Watchtower.
l'article continue:
Dans Introduction à la Bible (angl.), John Laux fournit
l'explication suivante: " La théorie documentaire se fonde sur des
idées qui sont soit arbitraires, soit entièrement fausses. [...] Si
cette théorie extrême (la théorie documentaire) était fondée, les
Israélites auraient été les victimes d'une tromperie absurde
lorsqu'ils se sont laissé imposer le lourd fardeau de la Loi. Cela
aurait été le plus grand canular de l'Histoire. "
Notez d'abord l'argumentation ici en présence. Il ne s'agit que
d'affirmations. En effet on aimerait que John Laux nous explique en
quoi les idées de la théorie documentaire sont « soit arbitraires,
soit entièrement fausses. »
John Laux a tout à fait le droit, tout comme les Témoins de Jéhovah,
de critiquer la théorie documentaire, et de ne pas y croire, néanmoins
si il veut être pris au sérieux, il faut qu'il argumente et pas
seulement qu'il affirme.
Le livre cité est un classique du catéchuménat catholique
outre-atlantique. Ce livre a été publié en 1932. Il n'est donc pas
tout jeune.
Outre qu'il n'apporte aucun argument, on peut notez ceci en ce qui
concerne la position de l'Eglise Catholique sur la théorie
documentaire:
« N'oublions pas que, au sein de l'Eglise Catholique, la Bible de
Jérusalem, dans sa première édition de 1956, fut la première Bible et
le premier ouvrage d'exégèse qui put parler ouvertement, et avec
l'imprimatur, de la théorie documentaire. » Introduction à la lecture
du Pentateuque Jean-Louis Ska. P. 178.
Il n'est dès lors pas très étonnant de lire qu'un catholique de 1932
était opposé à cette théorie, son église donnera l'autorisation d'en
parler et d'y croire en 1956.
En dehors de citer une autorité qui pensent comme la société
Watchtower et faire du remplissage, cette citation est inutile. Il est
particulièrement étonnant de voir comment la société Watchtower
critique amèrement les auteurs et théologiens catholiques quand ils
sont en désaccord avec ses points de vue, et comment ils deviennent
des autorités importantes quand ils sont d'accord avec la société
Watchtower !
L'article continue:
« Les différences stylistiques à l'intérieur du Pentateuque sont un
autre argument avancé en faveur de la multiplicité des auteurs. À
cela, voici ce que rétorque Kenneth Kitchen dans L'Orient ancien et
l'Ancien Testament (angl.) : " Les différences stylistiques sont
insignifiantes et ne font que suivre les différences de contenus. "
On trouve des variations de style semblables " dans des textes anciens
dont l'unité littéraire ne fait aucun doute ". »
Remarquez les deux arguments qui fondent la théorie documentaire selon
les Témoins de Jéhovah: les différences de styles, et les variations
des noms de Dieu. On ne peut qu'être d'accord avec eux, des variations
de style ou de noms ne sont pas des preuves d'auteurs différents.
Le problème vient du fait que l'auteur de la Watchtower confond les
preuves d'avec les indices. Les preuves se sont les nombreux exemples
de contradictions dont j'ai présenté deux cas, on peut en examiner
bien d'autres dans le livre de Jean-Louis Ska. Les indices, c'est une
fois que nous savons qu'il y a plusieurs sources, fragments ou ajouts
comment arriver à les identifier. Il est clair que les indices ne
peuvent devenir des preuves. Les indices sont subjectifs et
critiquables, et les exégètes n'ont pas attendus les témoins de
Jéhovah pour critiquer les différentes théories sur la constitution du
Pentateuque.
Kenneth Kitchen a écrit son livre en 1966. Il a été égyptologue à
l'université de Liverpool, il est depuis à la retraite. Il s'est
manifesté par l'écriture de plusieurs livres pour défendre la
littéralité de la Bible au point même de chercher la localisation
exacte du Jardin D'Eden dans son dernier livre. On peut donc le
qualifier d'auteur « fondamentaliste » , ou au moins « conservateur ».
Comme je le disais il ne faut pas confondre les preuves de différents
rédacteurs dans le Pentateuque d'avec les pistes ou les indices qui
nous pourrions utiliser pour chercher à délimiter les différents
textes.
Les arguments de Kenneth Kitchen sur les différences de styles sont
contenus dans les pages 118 à 125 de son livre. Il y cite un texte
égyptien officiel de -1400 avant notre ère qui contient des parties
narratives, un hymne de victoire, des résumés ainsi que deux «
refrains » différents apparaisssant à différents endroits du texte.
Si la théorie documentaire ne se basait que sur ce genre d'arguments,
évidemment Kenneth Kitchen et les Témoins de Jéhovah auraient sûrement
raison. Malheureusement Kitchen, tout comme les Témoins de Jéhovah,
utilise un « homme de paille ». Ce n'est pas là-dessus que repose
cette théorie. Il est facile de redéfinir l'argumentation de son
adversaire pour pouvoir plus facilement la contredire. C'est ce que
fait ici l'auteur de Réveillez-vous.
L'article continu:
« L'argument selon lequel l'emploi de noms et de titres différents
pour désigner Dieu serait la preuve de la multiplicité des auteurs est
particulièrement léger. Ne serait-ce que dans une courte portion de
la Genèse, Dieu est appelé " Dieu Très-Haut ", " Celui qui a produit
le ciel et la terre ", "Souverain Seigneur Jéhovah Dieu de vision ", "
Dieu Tout-Puissant ", " Dieu vrai Dieu " et " le Juge de toute la
terre ". (Genèse 14:18, 19 ; 15:2 ; 16:13; 17:1, 3,18; 18:25.) Ces
versets ont-ils pour autant été écrits par différents auteurs ? Que
dire encore de Genèse 28:13, où les termes" Élohim " (Dieu) et "
Jéhovah " sont utilisés conjointement ? Deux auteurs ont-ils collaboré
à l'écriture de ce seul verset ?
La faiblesse de cette argumentation se révèle particulièrement
évidente si on l'applique à un ouvrage contemporain. Dans un livre
récent consacré à la Deuxième Guerre mondiale, le chancelier allemand
est désigné par le terme " Führer ", " Adolf Hitler " et " Hitler "
tout court en l'espace de quelques pages seulement. Qui oserait
prétendre qu'il faille y voir l'uvre de trois auteurs différents ? »
Nous sommes toujours dans la caricature de la théorie. Dès lors il est
facile d'avoir raison. Notons seulement que les théories documentaires
en vogue actuellement retiennent de moins en moins ce critère de nom
divin comme indice d'une source ou d'un fragment distinct. Il faut
d'ailleurs noté au passage que certains textes classés comme faisant
parti de « l'élohiste » comportaient déjà le tétragramme: Autant dire
que ce critère n'a jamais été le critère définitif du choix de
classement d'un passage biblique dans tel ou tel document, ce que
semble ne pas comprendre l'auteur jéhoviste.
On peut tenter de faire un résumé des méthodes qu'utilisent les
exégètes pour classer les versets bibliques dans tel ou tel document.
Si effectivement l'utilisation du nom divin, ou les différences de
style sont des critères ou des indices, le livre de Jean-Louis Ska
dresse une liste n'incluant pas ces critères en premier. Il note par
exemple les effets de « reprise », de « repère linguistique »,, d' «
insertion rédactionnelle », de « doublets à l'intérieur d'un même
récit » comme l'histoire de Joseph en Genèse 37, ou de « différentes
versions d'un même événement comme le triple récit de l'épouse/soeur
(Genèse 12:10-20 ; 20:1-18 ; 26:1-11). Enfin et surtout les
variations théologiques entre les passages est aussi un critère de
choix. Notons enfin que beaucoup de théories n'essayent pas de classer
tout le Pentateuque dans tel ou tel document, car pour ces théories,
ce sont de nombreux fragments qui sont à l'origine du Pentateuque et
il serait trop fastidieux de les classer.
Tout cela mérite bien plus qu'une simple page Web ou qu'un simple
article dans un Réveillez-vous. Dès lors, si cela vous interesse
vraiment l'achat d'un livre comme celui de Jean-Louis Ska s'impose.
Non seulement vous aurez un aperçu de toutes les difficultés que pose
le Pentateuque mais vous aurez aussi un résumé des différentes
théories passées et présentes.
Etudions la conclusion de l'auteur de Réveillez-vous:
Et pourtant, des variations sur les théories de Wellhausen continuent
de proliférer. Parmi celles-là, une théorie proposée par deux
exégètes concerne le dénommé J.
Selon eux, non seulement il ne s'agit pas de Moïse, mais en plus " J
était une femme ".
L'auteur de cet article sait pertinemment s'il a lu la source qu'il a
cité, à savoir le livre Pentateuch de Blenkinsopp, que la théorie
documentaire ne se limite pas à croire que les différences de styles
et les variations du nom divin dans le Pentateuque sont des preuves de
différentes sources. Dès lors il devrait comprendre que ce n'est pas
en critiquant à juste titre ces deux arguments que l'on pourra
éradiquer la théorie documentaire.
Néanmoins l'auteur de Réveillez-vous va plus loin dans sa tentative
d'égarer ses lecteurs.
Il cite une théorie complètement farfelue, et essaye de faire croire
que cette théorie est en vogue dans les milieux de l'exégèse. Il va
d'ailleurs jusqu'à affirmer que les auteurs de cette théorie seraient
des « exégètes ».
Autant le dire toute suite, cette théorie, n'est pas reprise par les
exégètes sérieux. Jean-Louis Ska faisant un point de toutes les
théories en cours, n'en fait aucune mention. Et pour cause, une simple
recherche sur Internet, révèle l'affaire.
Il s'agit d'un livre de 1990, écrit par Harold Bloom intitulé The Book
of J , la traduction du Pentateuque étant effectué par David
Rosenberg. Notez déjà un simple détail mais qui en dit déjà long sur
l'érudition de l'auteur de Réveillez-vous, David Rosenberg n'est
responsable que de la traduction (très médiocre selon certains textes
sur le net) et pas de la théorie selon laquelle l'auteur de J est une
femme.
Harold Bloom n'a jamais été un exégète. Il est professeur de Sciences
Humaines à l'Universite de Yale. De lui-même dans son livre, il
reconnaît qu'il n'a jamais été un chercheur dans le domaine de la
Bible, au contraire il semble même avoir émis des critiques envers «
les théologiens ». De son propre aveu, il a essayé de provoquer un
choc avec sa théorie. Et effectivement son livre s'est vendu par
millions aux Etats-Unis.
En conclusion.
Quand une théorie ne nous plait pas, il suffit de la caricaturer, de
critiquer aisément la caricature que l'on a produite. Enfin, il ne
faut pas oublier d'en rajouter à la fin dans la caricature quitte à
transformer la théorie qui ne nous plait pas en stupidité la plus
crasse. L'auteur du Réveillez-vous a réussit à faire cela en ce qui
concerne la théorie documentaire. Là où il n'a aucune excuse, c'est
que si il a lu ce qu'il cite, il sait très bien ce qu'il fait. C'est
tout simplement du mensonge. Cela surprendra le fidèle Témoin de
Jéhovah, pas vraiment ceux qui suivent l'histoire de ce mouvement
depuis le début.
complexité de la Bible.
Charles Chasson
Pour un fondamentaliste comme le sont les Témoins de Jéhovah, la Bible
est une. Son auteur est Dieu, qui a utilisé comme secrétaire une
quarantaine d'écrivains. Quand la Bible déclare qu'un livre a été
écrit par une personne, elle ne peut se tromper.
Ainsi Jésus a identifié l'auteur du Pentateuque à Moïse, en conformité
avec les croyances de ses contemporains. Dès lors, pour un
fondamentaliste biblique, il n'est plus possible d'attribuer une autre
source au Pentateuque, Jésus a validé la tradition de son époque dans
la Bible, donc cette tradition était vraie.
Voici ce que peut produire l'autorité théologique des Témoins de
Jéhovah appelé par eux Collège Central en rapport avec le problème
complexe de la paternité des écrits du Pentateuque. Cet article
intitulé « Qui a écrit le Pentateuque » est paru dans une de leur
revue nommée Réveillez-vous du 22 Avril 2004. Il est interessant à
plus d'un titre:
Nous allons voir comment la Société Watchtower entend présenter à ses
lecteurs souvent acquis à sa cause, un point de vue adverse à sa
théologie. On pourra ensuite étudier comment elle répond à la théorie
présentée, et avec quelles références.
Tout d'abord abordons rapidement un point. Comment la Watchtower
présente son point de vue dans cet article. Elle déclare au début:
« La tradition attribue à Moise les cinq premiers livres de la Bible,
ou Pentateuque. »
Notez ici un point important, car d'habitude pour les Témoins de
Jéhovah, ce n'est pas la tradition mais la Bible qui fait autorité.
Pour les Témoins de Jéhovah, la tradition est un terme souvent
péjoratif, vécue comme contraire aux écritures, les hommes ayant
préférés leurs traditions à l'enseignement biblique. Ainsi Jésus
critiquait les pharisiens de son époque pour « leurs traditions » de
même les Témoins de Jéhovah critiquent les autres religions
chrétiennes pour « leurs traditions contraires aux Saintes Ecritures »
telle que la Trinité, l'immortalité de l'âme.
En dehors des écrits du Nouveau testament qui reprennent sans les
changer les traditions de l'époque, nulle part la Bible n'identifie
l'auteur des 5 premiers livres de la Bible. Certes ces 5 livres et
particulièrement les 4 derniers sont une vie du peuple d'Israël sous
la conduite de Moïse, mais il n'est pas dit exprèssément que c'est
Moïse qui les a écrits ou en tout cas qui les a compilés sous la forme
que nous connaissons. Ici la société Watchtower reconnaît sans s'y
attarder qu'en dehors de la tradition juive reprise par Jésus, elle
n'a aucune preuve pour attribuer la paternité du Pentateuque à Moïse.
L'auteur de la Société Watchtower fait néanmoins une concession:
« Moise a peut-être puisé ses renseignements dans des sources
historiques plus anciennes. »
Notez bien le « peut-être » . En effet même pour la chronologie
jéhoviste de la Bible, Moïse a vécu près de 2500 années après le
premier homme Adam dont il est censé avoir écrit l'histoire dans le
livre de la Genèse. Il faut bien qu'il ait basé son récit sur quelques
choses de solide pour rapporter des évènements si éloignés de son
temps, dès lors par cette phrase qui semble anodine, la Société
Watchtower évoque sans l'aborder de front, une des critiques à sa
théorie.
1/ Comment la société Watchtower présente la théorie des documents
Si nous lisons la suite de l'article,
« Toutefois, de nombreux critiques pensent qu'il n'est en rien
l'auteur du Pentateuque. " II est plus clair que le jour [...] que ce
n'est point Moïse qui a écrit le Pentateuque ", affirmait au XVIIe
siècle le philosophe Spinoza. Dans la seconde moitié du XIXe siècle,
le bibliste allemand Julius Wellhausen rendit populaire la théorie "
documentaire ", selon laquelle les livres de Moïse auraient été un
amalgame des oeuvres de plusieurs auteurs ou équipes d'auteurs. »
Notez ici le résumé de la théorie. Il n'est rapporté ici que les
affirmations de Spinoza et à aucun moment les raisons qui ont amené
Spinoza a ne plus croire que Moïse était l'auteur du Pentateuque. De
la manière dont est présenté l'affaire, il semble que Spinoza ait eu
juste envie de douter de l'autorite de Moïse.
Nous sommes dès lors obligé de combler le manque de l'article de
Réveillez-vous .
Qu'est ce qui a pu faire douter Spinoza et bien d'autres avant ou
après lui ?
Nous venons déjà de voir que Moïse a rapporté des évènements qui sont
censés avoir eu lieu 2500 années avant lui, voici un point qui a fait
douté Spinoza. Comment Moïse pouvait-il être au courant de ces faits ?
Les Témoins de Jéhovah pensent donc que Moïse ait pu utilisé des
rouleaux postérieurs à lui. Ce qui est interessant avec ce point de
vue, c'est qu'en fait la théorie documentaire ne fait qu'élargir cette
idée à tout le pentateuque et pas seulement à la Genèse, dès lors
comment les Témoins de Jéhovah peuvent-ils tracer une frontière entre
ce qui est vraiment de la main de Moïse, de ce qui n'est qu'un écrit
compilé ?
Le fait que le Deutéronome décrive la mort de Moïse au chapitre 34 est
aussi éclairant. Moïse ne pouvait pas rapporter sa propre mort. Les
Témoins de Jéhovah pour résoudre ce problème suive l'avis du Talmud
qui pense que Josué aurait écrit ce chapitre.
Les Témoins de Jéhovah sont donc prêt à accepter que le livre de la
genèse ne soit qu'une compilation faite par Moïse et que la fin ne
vienne pas de Moïse, reste à comprendre pour quelles raisons, ne
veulent-ils pas que le reste subisse le même traitement en dehors de
l'avis de Jésus qu'il cite régulièrement ?
Car et le point important est là, en plein coeur du Pentateuque, et
pas seulement au début ou à la fin, on trouve aussi des traces de
compilation du texte par d'autres auteurs que Moïse. Un exemple parmi
d'autres qui nous vient du rabbin Abraham Ibn Ezra, l'inspirateur de
Spinoza et que je tire de l'excellent livre de Jean Louis Ska intitulé
Introduction à la lecture du Pentateuque P. 149 :
« Le livre du Deutéronome abonde en difficultés. Quand il est dit en
Dt 1,1: 'Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël, de
l'autre côté du Jourdain', l'auteur de ces paroles doit se trouver
dans la terre promise, c'est à dire l'actuelle Cisjordanie. Or, Moïse
est toujours resté en Transjordanie. »
On peut ajouter aussi, que Moïse ici, parle de lui à la troisième
personne au lieu d'utiliser comme d'autres prophètes dans la Bible le
« Je » , les Témoins de Jéhovah prétendent qu'il parlerait ainsi en
raison de sa grande humilité, néanmoins on se rend compte ici que son
humilité, l'a poussé même à se délocaliser en terre promise, endroit
ou selon la Bible Dieu ne lui a pas permis de mettre les pieds durant
toute sa vie !
Ceci n'est qu'un exemple, pour illustrer les raisons qui ont poussés
certains biblistes à la suite de Spinoza, à proposer l'idée de
plusieurs sources ayant servies à la composition du pentateuque.
Pour illustrer plus précisément les nombreux problèmes rencontrés dans
le texte du Pentateuque, citons trois versions différentes de la même
loi, la loi sur les esclaves.
Je vais vous citer les trois passages du Pentateuque concernant cette
loi, il va falloir prendre le temps, de lire ces trois passages, de
les comparer par vous-même dans un premier temps, pour voir si vous en
appercevez vous-même les différences. Ensuite, vous pourrez lire les
questions, qui vous orienterons clairement vers les différences entre
ces versions.
Citons d'abord les trois passages tiré de la Bible Segond:
Exode 21:2-11
2 Si tu achètes un esclave hébreu, il servira six années; mais la
septième, il sortira libre, sans rien payer.
3 S'il est entré seul, il sortira seul; s'il avait une femme, sa
femme sortira avec lui.
4 Si c'est son maître qui lui a donné une femme, et qu'il en ait eu
des fils ou des filles, la femme et ses enfants seront à son maître,
et il sortira seul.
5 Si l'esclave dit: J'aime mon maître, ma femme et mes enfants, je
ne veux pas sortir libre, -
6 alors son maître le conduira devant Dieu, et le fera approcher de
la porte ou du poteau, et son maître lui percera l'oreille avec un
poinçon, et l'esclave sera pour toujours à son service.
7 Si un homme vend sa fille pour être esclave, elle ne sortira point
comme sortent les esclaves.
8 Si elle déplaît à son maître, qui s'était proposé de la prendre
pour femme, il facilitera son rachat; mais il n'aura pas le pouvoir de
la vendre à des étrangers, après lui avoir été infidèle.
9 S'il la destine à son fils, il agira envers elle selon le droit
des filles.
10 S'il prend une autre femme, il ne retranchera rien pour la
première à la nourriture, au vêtement, et au droit conjugal.
11 Et s'il ne fait pas pour elle ces trois choses, elle pourra
sortir sans rien payer, sans donner de l'argent.
Deutéronome 15:12-18
2 Si l'un de tes frères hébreux, homme ou femme, se vend à toi, il
te servira six années; mais la septième année, tu le renverras libre
de chez toi.
13 Et lorsque tu le renverras libre de chez toi, tu ne le renverras
point à vide;
14 tu lui feras des présents de ton menu bétail, de ton aire, de ton
pressoir, de ce que tu auras par la bénédiction de l'Éternel, ton
Dieu.
15 Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d'Égypte, et que
l'Éternel, ton Dieu, t'a racheté; c'est pourquoi je te donne
aujourd'hui ce commandement.
16 Si ton esclave te dit: Je ne veux pas sortir de chez toi, -parce
qu'il t'aime, toi et ta maison, et qu'il se trouve bien chez toi, -
17 alors tu prendras un poinçon et tu lui perceras l'oreille contre
la porte, et il sera pour toujours ton esclave. Tu feras de même pour
ta servante.
18 Tu ne trouveras point dur de le renvoyer libre de chez toi, car
il t'a servi six ans, ce qui vaut le double du salaire d'un
mercenaire; et l'Éternel, ton Dieu, te bénira dans tout ce que tu
feras.
Lévitique 25:39-46
« 9 Si ton frère devient pauvre près de toi, et qu'il se vende à
toi, tu ne lui imposeras point le travail d'un esclave.
40 Il sera chez toi comme un mercenaire, comme celui qui y demeure;
il sera à ton service jusqu'à l'année du jubilé.
41 Il sortira alors de chez toi, lui et ses enfants avec lui, et il
retournera dans sa famille, dans la propriété de ses pères.
42 Car ce sont mes serviteurs, que j'ai fait sortir du pays
d'Égypte; ils ne seront point vendus comme on vend des esclaves.
43 Tu ne domineras point sur lui avec dureté, et tu craindras ton
Dieu.
44 C'est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave
et ta servante qui t'appartiendront, c'est d'elles que vous achèterez
l'esclave et la servante.
45 Vous pourrez aussi en acheter des enfants des étrangers qui
demeureront chez toi, et de leurs familles qu'ils engendreront dans
votre pays; et ils seront votre propriété.
46 Vous les laisserez en héritage à vos enfants après vous, comme
une propriété; vous les garderez comme esclaves à perpétuité. Mais à
l'égard de vos frères, les enfants d'Israël, aucun de vous ne dominera
avec dureté sur son frère. »
J'espère que vous avez joué le jeu. Il serait dommage de passer à côté
de ce cas d'espèce. Imaginez-vous maintenant être un israélite
souhaitant posséder des esclaves et voulant se renseigner dans la loi
de Moïse des modalités de cette possession d'esclave. Maintenant voici
les questions toujours extraites de l'excellent livre de Jean-Louis
Ska (page 69):
«Quelle loi s'impose en matière d'esclavage ? Ainsi, faut-il libérer
l'esclave après six ans (Deutéronome, Exode) ou bien quand on célèbre
l'année jubilaire (Lévitique) ? Après six ans, faut-il libérer
seulement l'esclave (Exode) ou bien aussi la servante (Deutéronome) ?
Est-il licite d'acquérir un esclave hébreu (Exode, Deutéronome) ou
est-ce interdit (Lévitique) ? »
Et oui, ces textes ne sont pas en accord sur le moment de la
libération de l'esclave, sur la possibilité de libération des femmes
esclaves et sur le fait de prendre un israélite ou pas comme esclave.
Rien que çà.
C'est avec cette exemple en tête que vous comprenez pourquoi «
Wellhausen a échafaudé sa théorie » dont l'article de la Watchtower se
contente de donner un résumé:
« Wellhausen affirmait qu'un de ces auteurs employait invariablement
le nom personnel de Dieu, Jéhovah ; il l'a donc surnommé J. Un autre,
surnommé E, parlait de Dieu comme d' " Élohim ". Un autre encore, P,
aurait écrit les règles de la prêtrise dans le Lévitique, et un
dernier, appelé D, aurait écrit le Deutéronome. Bien que de nombreux
spécialistes aient adhéré à cette théorie pendant des décennies,
Joseph Blenkinsopp, dans un livre intitulé Le Pentateuque (angl.),
parle de l'hypothèse de Wellhausen comme d'une théorie" en crise ". »
Si vous ne connaissez pas la théorie documentaire, comme sûrement la
majorité des Témoins de Jéhovah qui ont lu cet article, vous ne pouvez
pas noter en quoi cette présentation anodine, présente encore un
danger. L'auteur de la Watchtower tente d'isoler la théorie de
Wellhausen du mouvement de pensée qui en a donné naissance.
Un siècle avant Wellhausen, il y avait déjà pas moins de trois
théories en présence:
La théorie des documents qui stipule que le Pentateuque actuel a été
composé à partir de plusieurs documents parallèles, complets et
indépendants. (Théorie que Wellhausen approfondira mais dont il n'a
pas la paternité !!)
La théorie des fragments qui stipule qu'à l'origine existait une
foultitude de textes séparés et incomplets qui ont été réunis par la
suite pour faire un tout cohérent bien après la mort de Moïse.
La théorie des compléments qui pense qu'il faille partir d'un document
de base sur lequel on a greffé au fur et à mesure du temps d'autres
textes. (Voir Introduction à la lecture du Pentateuque de Jean-Louis
Ska pages 148-150)
Ainsi toujours Jean-Louis Ska dans son livre, présente la théorie de
Wellhausen comme la théorie documentaire classique (P.155), celle qui
a fait autorité jusque dans les années 1970.(P.182), ce qui ne veut
pas dire que pendant tout ce temps, il n'y ai pas eu d'autres idées et
théories sur le Pentateuque. D'ailleurs le premier à avoir vraiment
évoqué la séparation des sources en Elohiste et Yahviste c'est Jean
Astruc, un français, qui en 1753 publia son livre anonymement.
Pour conclure ce développement j'aimerais encore citer Jean-Louis Ska
(P.80):
« On caricature facilement une certaine analyse qui réussit à
distinguer diverses sources et rédactions jusqu'au sein d'un seul
verset. Il semble que les seuls outils de l'exégète soient les
'ciseaux et la colle'. Ce n'est pas tout à fait exact.
Avant d'affronter les diverses théories sur la composition du
Pentateuque, il faut se rendre compte qu'il existe de réels problèmes
que nul lecteur sérieux ne peut ignorer. D'ailleurs, aucun exégète
quelque peu attentif ne nie la présence de doublets, tensions et
contradictions dans le Pentateuque. S'il y a désaccord, c'est
uniquement sur la manière d'expliquer ces phénomènes » (La mise en
gras n'existe pas dans le texte original)
Ainsi la présentation de la théorie des documents faite par la Société
Watchtower est lacunaire, ni elle n'explique pourquoi les exégètes en
sont arrivés là, ni elle n'explique vraiment la diversité des théories
en présence. On peut se douter des raisons qui l'on poussées à agir
ainsi, en étant laconique sur les problèmes que pose le Pentateuque,
la Société Watchtower n'a pas à répondre à ces problèmes
insurmontables pour une vision fondamentaliste de la Bible comme la
sienne, en isolant Wellhausen, si on lui trouve des critiques, et
forcément il y aura des critiques puisqu'il s'agit d'une théorie parmi
d'autres, alors c'est l'ensemble de la théorie documentaire qu'on
essaiera de discréditer.
2/ Comment la Société Watchtower critique la théorie documentaire
Une fois que l'on a présenté de manière simpliste les idées de nos
adversaires, il est bien plus facile de les contredire. Pour la
société Watchtower l'unique argumentation de Wellhausen et même
l'unique preuve du travail de plusieurs auteurs dans la formation du
Pentateuque, se matérialise dans la présence du nom de Dieu ou pas
dans un passage biblique, ou des différences de styles rencontrées.
Les exemples que j'ai cité sont ignorés car bien plus problématiques.
Tout comme pour la théorie de l'évolution, la société Watchtower
mélange les faits de la théorie. Dans notre cas, les faits, ce sont
les contradictions du Pentateuque, et les traces de rédaction
postérieures à Moïse dont j'ai présenté deux exemples. La théorie, et
particulièrement celle de Wellhausen, c'est le découpage en document
ou fragments ou compléments suivant les avis de l'exégète qui présente
sa théorie. Vous l'avez donc compris quand Blenkinsopp, cité par
l'article de la Watchtower, parle de la théorie de Wellhausen comme
une théorie en crise, il ne pense pas qu'il n'y ait pas différentes
sources dans le Pentateuque, il pense que Wellhausen s'est trompé dans
son découpage, dans sa vision de documents séparés, etc...
Et pour cause, Blenkinsopp, le seul auteur moderne cité (1992) dans
l'article de la Watchtower est aussi une référence fréquemment cité du
livre de Jean-Louis Ska.
Dans une note en bas de page, Jean-Louis Ska présente même l'avis de
Blenkinsopp, et évidemment il ne croit pas que Moïse soit le seul et
unique auteur du Pentateuque (P.194):
« [Blenkinsopp] (Pentateuch pp.229-243) pense que le Pentateuque est
composé de deux 'strates', l'une de type deutéronomiste, et composée
selon le modèles de l'histoire deutéronomiste et l'autre d'origine
sacerdotale. Il fait également référence à l'ouvrage de P. Frei et à
l'autorisation impériale perse pour expliquer l'origine du Pentateuque
actuel. »
Si l'auteur de la Watchtower a vraiment lu le livre de Blenkinsopp
qu'il cite, il connait parfaitement l'avis de celui-ci. A vrai dire,
en lisant les nombreuses notes en bas de page du livre de Jean-Louis
Ska, on arrive à savoir le contenu du livre de Blenkinsopp puisqu'il y
ait abondamment cité. Toutes les informations données dans cette page
sont contenues dans le livre de Blenkinsopp.
Je vous laisse juger par vous-même de l'honnêteté intellectuelle de
l'auteur de l'article de la Watchtower.
l'article continue:
Dans Introduction à la Bible (angl.), John Laux fournit
l'explication suivante: " La théorie documentaire se fonde sur des
idées qui sont soit arbitraires, soit entièrement fausses. [...] Si
cette théorie extrême (la théorie documentaire) était fondée, les
Israélites auraient été les victimes d'une tromperie absurde
lorsqu'ils se sont laissé imposer le lourd fardeau de la Loi. Cela
aurait été le plus grand canular de l'Histoire. "
Notez d'abord l'argumentation ici en présence. Il ne s'agit que
d'affirmations. En effet on aimerait que John Laux nous explique en
quoi les idées de la théorie documentaire sont « soit arbitraires,
soit entièrement fausses. »
John Laux a tout à fait le droit, tout comme les Témoins de Jéhovah,
de critiquer la théorie documentaire, et de ne pas y croire, néanmoins
si il veut être pris au sérieux, il faut qu'il argumente et pas
seulement qu'il affirme.
Le livre cité est un classique du catéchuménat catholique
outre-atlantique. Ce livre a été publié en 1932. Il n'est donc pas
tout jeune.
Outre qu'il n'apporte aucun argument, on peut notez ceci en ce qui
concerne la position de l'Eglise Catholique sur la théorie
documentaire:
« N'oublions pas que, au sein de l'Eglise Catholique, la Bible de
Jérusalem, dans sa première édition de 1956, fut la première Bible et
le premier ouvrage d'exégèse qui put parler ouvertement, et avec
l'imprimatur, de la théorie documentaire. » Introduction à la lecture
du Pentateuque Jean-Louis Ska. P. 178.
Il n'est dès lors pas très étonnant de lire qu'un catholique de 1932
était opposé à cette théorie, son église donnera l'autorisation d'en
parler et d'y croire en 1956.
En dehors de citer une autorité qui pensent comme la société
Watchtower et faire du remplissage, cette citation est inutile. Il est
particulièrement étonnant de voir comment la société Watchtower
critique amèrement les auteurs et théologiens catholiques quand ils
sont en désaccord avec ses points de vue, et comment ils deviennent
des autorités importantes quand ils sont d'accord avec la société
Watchtower !
L'article continue:
« Les différences stylistiques à l'intérieur du Pentateuque sont un
autre argument avancé en faveur de la multiplicité des auteurs. À
cela, voici ce que rétorque Kenneth Kitchen dans L'Orient ancien et
l'Ancien Testament (angl.) : " Les différences stylistiques sont
insignifiantes et ne font que suivre les différences de contenus. "
On trouve des variations de style semblables " dans des textes anciens
dont l'unité littéraire ne fait aucun doute ". »
Remarquez les deux arguments qui fondent la théorie documentaire selon
les Témoins de Jéhovah: les différences de styles, et les variations
des noms de Dieu. On ne peut qu'être d'accord avec eux, des variations
de style ou de noms ne sont pas des preuves d'auteurs différents.
Le problème vient du fait que l'auteur de la Watchtower confond les
preuves d'avec les indices. Les preuves se sont les nombreux exemples
de contradictions dont j'ai présenté deux cas, on peut en examiner
bien d'autres dans le livre de Jean-Louis Ska. Les indices, c'est une
fois que nous savons qu'il y a plusieurs sources, fragments ou ajouts
comment arriver à les identifier. Il est clair que les indices ne
peuvent devenir des preuves. Les indices sont subjectifs et
critiquables, et les exégètes n'ont pas attendus les témoins de
Jéhovah pour critiquer les différentes théories sur la constitution du
Pentateuque.
Kenneth Kitchen a écrit son livre en 1966. Il a été égyptologue à
l'université de Liverpool, il est depuis à la retraite. Il s'est
manifesté par l'écriture de plusieurs livres pour défendre la
littéralité de la Bible au point même de chercher la localisation
exacte du Jardin D'Eden dans son dernier livre. On peut donc le
qualifier d'auteur « fondamentaliste » , ou au moins « conservateur ».
Comme je le disais il ne faut pas confondre les preuves de différents
rédacteurs dans le Pentateuque d'avec les pistes ou les indices qui
nous pourrions utiliser pour chercher à délimiter les différents
textes.
Les arguments de Kenneth Kitchen sur les différences de styles sont
contenus dans les pages 118 à 125 de son livre. Il y cite un texte
égyptien officiel de -1400 avant notre ère qui contient des parties
narratives, un hymne de victoire, des résumés ainsi que deux «
refrains » différents apparaisssant à différents endroits du texte.
Si la théorie documentaire ne se basait que sur ce genre d'arguments,
évidemment Kenneth Kitchen et les Témoins de Jéhovah auraient sûrement
raison. Malheureusement Kitchen, tout comme les Témoins de Jéhovah,
utilise un « homme de paille ». Ce n'est pas là-dessus que repose
cette théorie. Il est facile de redéfinir l'argumentation de son
adversaire pour pouvoir plus facilement la contredire. C'est ce que
fait ici l'auteur de Réveillez-vous.
L'article continu:
« L'argument selon lequel l'emploi de noms et de titres différents
pour désigner Dieu serait la preuve de la multiplicité des auteurs est
particulièrement léger. Ne serait-ce que dans une courte portion de
la Genèse, Dieu est appelé " Dieu Très-Haut ", " Celui qui a produit
le ciel et la terre ", "Souverain Seigneur Jéhovah Dieu de vision ", "
Dieu Tout-Puissant ", " Dieu vrai Dieu " et " le Juge de toute la
terre ". (Genèse 14:18, 19 ; 15:2 ; 16:13; 17:1, 3,18; 18:25.) Ces
versets ont-ils pour autant été écrits par différents auteurs ? Que
dire encore de Genèse 28:13, où les termes" Élohim " (Dieu) et "
Jéhovah " sont utilisés conjointement ? Deux auteurs ont-ils collaboré
à l'écriture de ce seul verset ?
La faiblesse de cette argumentation se révèle particulièrement
évidente si on l'applique à un ouvrage contemporain. Dans un livre
récent consacré à la Deuxième Guerre mondiale, le chancelier allemand
est désigné par le terme " Führer ", " Adolf Hitler " et " Hitler "
tout court en l'espace de quelques pages seulement. Qui oserait
prétendre qu'il faille y voir l'uvre de trois auteurs différents ? »
Nous sommes toujours dans la caricature de la théorie. Dès lors il est
facile d'avoir raison. Notons seulement que les théories documentaires
en vogue actuellement retiennent de moins en moins ce critère de nom
divin comme indice d'une source ou d'un fragment distinct. Il faut
d'ailleurs noté au passage que certains textes classés comme faisant
parti de « l'élohiste » comportaient déjà le tétragramme: Autant dire
que ce critère n'a jamais été le critère définitif du choix de
classement d'un passage biblique dans tel ou tel document, ce que
semble ne pas comprendre l'auteur jéhoviste.
On peut tenter de faire un résumé des méthodes qu'utilisent les
exégètes pour classer les versets bibliques dans tel ou tel document.
Si effectivement l'utilisation du nom divin, ou les différences de
style sont des critères ou des indices, le livre de Jean-Louis Ska
dresse une liste n'incluant pas ces critères en premier. Il note par
exemple les effets de « reprise », de « repère linguistique »,, d' «
insertion rédactionnelle », de « doublets à l'intérieur d'un même
récit » comme l'histoire de Joseph en Genèse 37, ou de « différentes
versions d'un même événement comme le triple récit de l'épouse/soeur
(Genèse 12:10-20 ; 20:1-18 ; 26:1-11). Enfin et surtout les
variations théologiques entre les passages est aussi un critère de
choix. Notons enfin que beaucoup de théories n'essayent pas de classer
tout le Pentateuque dans tel ou tel document, car pour ces théories,
ce sont de nombreux fragments qui sont à l'origine du Pentateuque et
il serait trop fastidieux de les classer.
Tout cela mérite bien plus qu'une simple page Web ou qu'un simple
article dans un Réveillez-vous. Dès lors, si cela vous interesse
vraiment l'achat d'un livre comme celui de Jean-Louis Ska s'impose.
Non seulement vous aurez un aperçu de toutes les difficultés que pose
le Pentateuque mais vous aurez aussi un résumé des différentes
théories passées et présentes.
Etudions la conclusion de l'auteur de Réveillez-vous:
Et pourtant, des variations sur les théories de Wellhausen continuent
de proliférer. Parmi celles-là, une théorie proposée par deux
exégètes concerne le dénommé J.
Selon eux, non seulement il ne s'agit pas de Moïse, mais en plus " J
était une femme ".
L'auteur de cet article sait pertinemment s'il a lu la source qu'il a
cité, à savoir le livre Pentateuch de Blenkinsopp, que la théorie
documentaire ne se limite pas à croire que les différences de styles
et les variations du nom divin dans le Pentateuque sont des preuves de
différentes sources. Dès lors il devrait comprendre que ce n'est pas
en critiquant à juste titre ces deux arguments que l'on pourra
éradiquer la théorie documentaire.
Néanmoins l'auteur de Réveillez-vous va plus loin dans sa tentative
d'égarer ses lecteurs.
Il cite une théorie complètement farfelue, et essaye de faire croire
que cette théorie est en vogue dans les milieux de l'exégèse. Il va
d'ailleurs jusqu'à affirmer que les auteurs de cette théorie seraient
des « exégètes ».
Autant le dire toute suite, cette théorie, n'est pas reprise par les
exégètes sérieux. Jean-Louis Ska faisant un point de toutes les
théories en cours, n'en fait aucune mention. Et pour cause, une simple
recherche sur Internet, révèle l'affaire.
Il s'agit d'un livre de 1990, écrit par Harold Bloom intitulé The Book
of J , la traduction du Pentateuque étant effectué par David
Rosenberg. Notez déjà un simple détail mais qui en dit déjà long sur
l'érudition de l'auteur de Réveillez-vous, David Rosenberg n'est
responsable que de la traduction (très médiocre selon certains textes
sur le net) et pas de la théorie selon laquelle l'auteur de J est une
femme.
Harold Bloom n'a jamais été un exégète. Il est professeur de Sciences
Humaines à l'Universite de Yale. De lui-même dans son livre, il
reconnaît qu'il n'a jamais été un chercheur dans le domaine de la
Bible, au contraire il semble même avoir émis des critiques envers «
les théologiens ». De son propre aveu, il a essayé de provoquer un
choc avec sa théorie. Et effectivement son livre s'est vendu par
millions aux Etats-Unis.
En conclusion.
Quand une théorie ne nous plait pas, il suffit de la caricaturer, de
critiquer aisément la caricature que l'on a produite. Enfin, il ne
faut pas oublier d'en rajouter à la fin dans la caricature quitte à
transformer la théorie qui ne nous plait pas en stupidité la plus
crasse. L'auteur du Réveillez-vous a réussit à faire cela en ce qui
concerne la théorie documentaire. Là où il n'a aucune excuse, c'est
que si il a lu ce qu'il cite, il sait très bien ce qu'il fait. C'est
tout simplement du mensonge. Cela surprendra le fidèle Témoin de
Jéhovah, pas vraiment ceux qui suivent l'histoire de ce mouvement
depuis le début.